André Gibert
Table des matières :
2 - Les yeux levés vers Sodome
3 - Une tribulation sans effet
4 - « L’Éternel ayant pitié de lui… »
ME 1982 p. 281-287
Comment pouvons-nous dire : « Ne nous induis pas en tentation », et puis nous établir dans Sodome ? — Ainsi parlait dans ce périodique il y a plus d’un siècle un serviteur de Dieu (*). Il disait encore : « Toutes les richesses et les honneurs de ce monde ne sont rien comparés à une heure de vraie communion avec le Seigneur ». Que nos oreilles s’ouvrent à un tel langage. Il ne fut jamais plus actuel.
(*) C. S. « Et ainsi qu’il arriva aux jours de Lot » Mess. Ev., 1867, p. 237.
Lot était un « juste » (2
Pierre 2:7-9), un croyant. Sa conscience ne pouvait que réprouver les infamies
qui se commettaient à Sodome. Mais « il habitait
dans Sodome
» (Gen.
14:12). C’est pourquoi il était aussi impuissant qu’« accablé par la conduite
débauchée de ces hommes pervers » ; il ne pouvait qu’en « tourmenter son âme
juste ». Sans participer à leur conduite il leur était associé dans le courant
ordinaire de la vie, bien des choses légitimes en elles-mêmes, comme manger,
boire, acheter, vendre, bâtir (Luc 17:22), mais dont le seul objet pour eux
était de leur permettre la satisfaction de convoitises toujours plus coupables,
sans se soucier de Dieu que l’on provoquait par tant d’immoralité. Si réelles
que fussent sa justice personnelle et sa crainte de Dieu, Lot se trouvait
constamment exposé à des contacts impurs et soumis aux contraintes d’une vie
sociale dans laquelle il s’était approprié un rôle. Sa piété ne pouvait que
dépérir et sa communion avec Dieu devenait impossible.
Le plus grave peut-être était que Dieu ne l’avait jamais laissé sans preuves de l’intérêt qu’il lui portait, ni sans avertissements de sa discipline paternelle. Lot les a pratiquement méconnus, persistant dans la position qu’il avait prise jusqu’à n’être finalement sauvé que « comme à travers le feu ».
Voyons sommairement sous cet angle les étapes de la vie de Lot. Elle nous fait toucher du doigt ce qu’ont de périlleux tant de compromis par lesquels nous laissons la mondanité ravager, dans le présent siècle, le peuple de Dieu.
Toute la première partie de la vie de Lot a été marquée d’une faveur exceptionnelle : il l’a passée à l’ombre du « père des croyants », son oncle Abram. Ce dernier l’avait associé à son appel quand le Dieu de gloire lui était apparu, il l’avait pris avec lui pour quitter Ur des Chaldéens, puis Charan, et venir en Canaan où il avait pu entendre la promesse de Genèse 12:7.
Lot avait eu à faire ensuite avec Abram l’humiliante mais salutaire expérience de l’Égypte, quand le patriarche et les siens, fuyant la famine, avaient cherché asile dans ce pays. Il était « remonté avec lui » dans la terre de la promesse, riches l’un et l’autre en troupeaux de tout bétail.
Si riches qu’ils sont obligés de se séparer. Ce serait le moment pour Lot d’inaugurer sa carrière propre, avec sa foi personnelle développée ensuite en vivant comme Abram, lui, continuera de le faire, étranger et pèlerin sur cette terre qui leur appartient en espérance.
Hélas,
Lot a ramené d’Égypte de grands
troupeaux, mais il n’a pas tiré la leçon de l’Égypte. Les plaines du Nil, bien
arrosées, ont fait sur ce pasteur de bétail une forte impression. Il en a gardé
le souvenir. Quand Abram le laisse généreusement choisir son lieu, il « lève ses
yeux » vers les plaines du Jourdain, bien arrosées elles aussi, « comme ce pays
d’Égypte » où les facilités de l’existence donnaient l’illusion des délices d’un
jardin de l’Éternel. Il ne consulte pas Dieu, ni ne s’arrête à considérer que
« les hommes de Sodome étaient méchants, et grands pécheurs devant l’Éternel ».
La famine pouvait expliquer qu’Abram fût descendu en Égypte, mais c’est la
convoitise qui fait se tourner vers Sodome un Lot pourtant comblé. Il étend ses
tentes jusqu’à la ville dissolue, il y touche, il y habite
.
Nous voici au coeur même de
son cas, qui plus ou moins est trop souvent le nôtre : pourquoi
Lot habitait-il dans
Sodome ? Il avait pensé pouvoir jouir des avantages de Sodome tout en se
gardant des iniquités des Sodomites. Résultat : le « tourment de son âme
juste ». L’Écriture ne parlera de ces tourments que bien plus tard, à notre
intention, et elle insiste sur leur intensité et leur continuité — « de jour en
jour » ! Il était allé au-devant, par sa propre volonté. Il en eût été tout
autrement si l’Éternel lui avait dit : « Va à Sodome, je t’y veux comme mon
témoin ». La vue du péché et de ses fruits l’eût affligé sans doute, mais non
avec cette amertume. Jésus a été « attristé » devant l’endurcissement de ses
ennemis (Marc 3:5). Lot aurait pu être « attristé mais toujours joyeux », et,
ayant les promesses de la vie présente, aimer cette vie (1 Pierre 3:10 ; 2
Cor. 6:10 ; en contraste, Eccl. 2:17). La question pour tout croyant est
d’être où Dieu le veut, d’aller où Il l’envoie. On entend dire : Il faut
bien qu’il y ait des chrétiens partout, mêlés au monde pour y porter Christ.
Que nous soyons envoyés dans ce monde, cela est incontestable, mais nous ne le
sommes pas pour être du
monde ;
et, par-dessus tout, qui décidera de la place à assigner à chacun, sinon Dieu
lui-même, dont l’Esprit soufflant où il veut distribue comme il lui plaît les
services et les dons ? À nous d’obéir. Cela nous amène à examiner chacun
notre voie, comme aussi à nous garder de juger nos frères, car « chacun rendra
compte pour lui-même à Dieu » (Rom. 14:12). Un Daniel et ses compagnons, un
Néhémie, un Mardochée, ont été des étrangers dans des postes difficiles.
Mardochée pouvait dire à Esther hésitante à entrer devant le roi : « Qui
sait si ce n’est pas pour un temps comme celui-ci (la détresse des Juifs) que
tu es parvenue à la royauté ? »
Mais Dieu n’avait pas fait sortir Lot d’Ur, ni ne l’avait ramené d’Égypte, pour le faire ensuite habiter à Sodome. Parents soucieux de l’avenir de vos enfants, et vous, jeunes gens qui confessez le Seigneur, vous ne sauriez trop, quand il s’agit de choisir une profession, un conjoint, une résidence, être pénétrés de la nécessité absolue de faire passer, avant toute autre considération, celle-ci : « Quelle est la volonté du Seigneur ? », et cette prière : « Seigneur, choisis pour moi et rends-moi attentif ».
Lot est sans force pour réagir, il a lié son existence à celle de Sodome, il n’éprouve pas le désir de s’en dégager, Dieu va l’obliger pour ainsi dire à mettre au jour ce qu’il en est de son état profond. Il place devant lui, par une rude discipline, l’occasion de s’arracher à ce lieu de tourments. Lot le comprendrat-il ?
Habitant dans Sodome, Lot est impliqué dans un conflit entre nations. Il est emporté par la tempête qui fond sur la ville impie, objet elle-même par là d’un sévère avertissement de la part de Dieu. Ruiné, emmené en esclavage par les rois orientaux, Lot serait perdu sans l’énergie de la foi d’un autre ; la sienne est sans force, hélas. Celle de son oncle triomphe par la force de Dieu. Abram le délivre, et par là même Sodome et son roi. Lot peut voir ensuite Abram que bénit Melchisédec de par le Dieu Très-Haut, et bénissant lui-même ce Dieu Très-Haut à qui il attribue la délivrance. Il peut voir Abram qui, dominant de bien haut tous les événements par sa foi, refuse les présents du roi de Sodome et remonte à Mamré, où il jouira de la relation avec ce Dieu qui est « son bouclier et sa très grande récompense ». Quel exemple pour Lot ! quelle sollicitation à recouvrer pour lui-même la jouissance de cette relation, revenir sur le triste choix fait naguère et remonter avec son oncle (devenu Abraham peu après), comme il était remonté avec lui de l’Égypte !
Mais non. Fasciné par Sodome,
il en reprend le chemin, il y habite
à nouveau. Il tourmentera encore
son âme juste, et toujours davantage, car Sodome, insensible à sa visitation
solennelle, va jusqu’à ce que son péché soit très aggravé (Gen. 18:20). On
reprend la vie prospère, mais impie, comme si de rien n’était. Aux jours de Lot
on mangeait, on buvait, etc. (Luc 17:28). « On ne veut pas voir que l’on va vers
le jugement. Les tourments du juste ne l’empêchent pas de fonder et d’établir
sa famille, avec pour gendres des fils de Sodome, d’y bâtir une maison confortable,
d’occuper une place honorable parmi les dirigeants, de siéger à la porte de la
ville.
La patience de Dieu a atteint ses limites, le péché de Sodome est monté jusqu’au ciel. Le jugement final tombe. Et Lot y est englobé. Abraham intervient comme intercesseur, non plus en libérateur : Dieu agira par ses anges, exécuteurs du jugement mais serviteurs de la pitié souveraine (19:16). La ville est décisivement condamnée, Abraham plaide pour « le juste », sans mentionner expressément Lot ; il sait que l’Éternel ne fera pas périr le juste avec le méchant. Mais combien difficilement est-il sauvé ! (1 Pierre 4:17, 18). Si « Dieu a délivré le juste Lot » c’est comme malgré celui-ci. Tourmenté plus que jamais, couvert d’opprobre vis-à-vis de ses invités, et de la part des pervers eux-mêmes, il s’accroche à la cité dont il retarde la subversion : il aura compromis son salut au point de ne plus représenter qu’un misérable objet des compassions de Dieu. Il faut que les anges l’entraînent défaillant à la fois de regret et d’épouvante. Il perd tout sauf sa vie, et encore pour achever celle-ci, après le répit de Tsoar, dans la plus lamentable souillure. Et la tristesse d’un tel dénouement se prolonge dans l’histoire de ses descendants, perpétuels ennemis du peuple de l’Éternel, même si à l’aube du règne du Fils de l’homme ils devront se soumettre à lui.
Oui, triste histoire que celle de Lot. Certes, sa délivrance finale témoigne de la fidélité de Dieu à l’égard des siens. L’apôtre Pierre souligne cette merveille de la grâce. Elle avait fait pour jamais de Lot un « juste », un saint ; mais ce saint à dû payer des tourments de son âme la débilité de sa foi. Lot a sa place parmi les justes « consommés » d’Hébreux 12, il ne l’a pas parmi les patriarches dont la foi est honorée en Hébreux 11.
Une vie perdue. Dieu en conserve le récit pour qu’en tous temps les siens en tirent instruction. Redisons que « tous les honneurs et toutes les richesses de Sodome sont moins que rien comparés à une heure de vraie communion avec Dieu ». Mais plus que cela, l’opprobre de Christ n’est-il pas, comme Moïse l’a estimé, un plus grand trésor que les richesses de l’Égypte ? Et plus encore peut-être, l’âme qui a vraiment compris ce que son rachat a coûté à notre Sauveur peut-elle désirer quelque chose de plus grand et de plus précieux que lui rendre en reconnaissance et en témoignage un peu de ce qu’Il a fait pour des pécheurs comme nous ?
Le monde couvre du bruit de ses activités dévorantes et de ses plaisirs trompeurs le mélange d’angoisse et de jactance qui l’agite, les conflits qui le consument, les convulsions qu’il ne peut maîtriser. Le jugement est suspendu sur lui et il ne veut pas s’en rendre compte. Dieu permet que les siens souffrent au milieu d’un tel état de choses, mais afin qu’ils s’en détachent moralement, eux qu’il a faits citoyens du ciel. Nos générations ont connu et connaissent des leçons particulièrement cuisantes. Comprenons-nous que le Seigneur nous presse de sortir vers Lui, d’Ur comme de Sodome, et de « revenir » d’Égypte ? Jugeons nos inconséquences ; le monde lui-même nous jette parfois au visage nos contradictions : « Cet individu est venu pour séjourner ici, et il veut faire le juge… ». Soyons de ceux que Christ envoie ici-bas pour y être ses témoins, et non pour être de « ceux qui habitent sur la terre ».