ME 1961 p. 33
Dans sa dernière lettre, la seconde épître à Timothée, l’apôtre Paul reprend deux comparaisons qui lui sont familières, celles du lutteur et du coureur ; on sait qu’aux jeux olympiques l’athlète par excellence devait avoir triomphé dans diverses compétitions dont les principales étaient précisément la lutte et la course. Voici Paul au terme de ces épreuves : il a « combattu le bon combat », il a « achevé la course ». Ses derniers jours sont arrivés, — « le temps de mon départ », dit-il.
Il y arrive dans des
conditions telles que ses adversaires pourraient le croire totalement défait et
tenir pour anéanti le fruit de son effort. Mais lui, bien au contraire, fait
entendre les accents de l’athlète
vainqueur.
Il a « gardé la foi », il a gagné. Il peut quitter le stade, la
couronne est à lui, — pour la gloire de son Maître. Il n’éprouve aucun doute
quant à son avenir personnel, et il n’en a pas davantage sur l’avenir de son
oeuvre. Mais il veut que Timothée et d’autres qui entreront en lice à leur tour
ne se frustrent pas de la riche part qui le fait rendre grâces (4:18). Aussi
presse-t-il Timothée, plus encore, il l’adjure
de garder et de répandre la Parole.
Le temps n’était plus où Paul rendait grâces à Dieu qui le menait toujours ouvertement en triomphe dans le Christ et manifestait par lui l’odeur de sa connaissance en tout lieu (2 Cor. 2:14-16), l’employant à étendre « dans toute la création qui est sous le ciel » le domaine de l’évangile (Col. 1:23).
(*) Le verbe grec traduit par « adjurer » en Luc
16:28, 1 Tim. 5:21 et 2 Tim. 4:1 et rendu ailleurs par : conjurer
(Actes 2:40), attester (Actes 10:42), rendre témoignage de (Actes
8:25, 18:5 ; 20:23, 24 ; 23:11 ; 28:23 ; Hébreux 2:6), affirmer
(1 Thes. 4:6), insister sur (Actes 20:21), protester (2 Tim.
2:14). Il signifie s’adresser à quelqu’un de façon solennelle et pressante, devant
témoins, plus spécialement devant Dieu.
Le sens d’« adjurer » diffère, et le mot n’est pas le même dans l’original,
en Matth. 26:63, Marc 5:7 et Actes 19:13, enfin en 1 Thes. 5:27. Il
s’agit là de faire jurer, de placer quelqu’un sous l’obligation d’agir ou de
parler en le liant par un serment (comp. Gen. 24:3, 1 Rois 22:16, Néh. 13:25,
etc.).
À vue humaine tout semblait perdu. Lié tel un malfaiteur dans un cachot difficile à trouver, voué à la mort, il voyait le vide se faire autour de sa chaîne. De ses compagnons d’oeuvre Luc seul lui demeurait. Ceux d’Asie s’étaient détournés de lui et à Rome personne n’avait été avec lui lors de sa première comparution. Son coeur souffrait comme son corps, et il pressait son enfant bien-aimé de venir, avant l’hiver, avec son manteau. Il entendait la persécution faire rage, inévitable pour ceux qui voudraient vivre pieusement dans le christ Jésus : la violence païenne relayait désormais l’acharnement des Juifs envers « cette secte » partout contredite. Il discernait pire encore, savoir l’aggravation des dangers intérieurs à l’Église. On se détournait non seulement de l’apôtre mais de la vérité. Comme il l’avait prédit aux anciens d’Éphèse, des hommes se levaient d’entre les bergers même pour attirer les disciples après eux par des doctrines perverses, et le manque de vigilance des surveillants laisserait toujours plus entrer les loups redoutables au troupeau. Les auditeurs allaient se relâchant. L’apôtre pouvait, dès ces derniers jours à lui, voir se dessiner les traits des derniers jours de la chrétienté : la forme de la piété mais le reniement de sa puissance, l’enseignement subordonné aux convoitises, la grande maison où la coexistence de vases à honneur et de vases à déshonneur imposait la séparation. Les portes du hadès devaient se réjouir, convaincues de prévaloir sur l’Église après avoir fait disparaître son grand serviteur.
Mais pas un mot de
découragement, ni de désillusion. Eh quoi, rien de ce qu’il rencontrait et
prévoyait avec tant de lucidité pouvait-il le surprendre ? Il savait qu’il
devait en être ainsi. Mais il savait aussi que le Seigneur, en prévenant les
siens qu’ils auraient de la tribulation dans le monde, leur avait dit d’avoir
bon courage car Lui avait vaincu le monde. Le véritable terme des derniers jours,
pour l’apôtre comme pour
l’Église, est non point la défaite mais la victoire, non la mort mais la vie et
la gloire.
Pour lui-même, quelles que dussent être les dernières foulées de la course, les dernières reprises de la lutte, rien ne pouvait lui ravir cette victoire. De quelque façon qu’il eût délogé, mourir était un gain car « être avec Christ est de beaucoup meilleur » ; mais la mort du martyre, la couronne de vie et la couronne de justice, quelle magnifique promotion ! Le « prix de l’appel céleste dans le Christ Jésus », en haut, était à portée de sa main, et ici-bas le Seigneur le délivrerait de toute mauvaise oeuvre et le conserverait pour son royaume céleste. La fin de sa carrière était même pour lui l’occasion de l’évangélisation la plus éclatante : la prédication avait été « par lui pleinement accomplie », pour que « toutes les nations l’entendissent » (4:17). Enfin le Seigneur s’était tenu près de lui et l’avait fortifié, et si tant d’anciens compagnons étaient loin, Il avait permis que des frères et des soeurs de Rome (4:21), un Onésiphore venu d’Éphèse, en attendant Timothée, pussent lui apporter d’inestimables consolations. En vérité il était « plus que vainqueur en Celui qui l’avait aimé » : du jour présent à « ce jour-là », celui de l’apparition de Christ qu’il aime, tout est triomphe pour Paul.
Mais son oeuvre ? Mais « le témoignage de notre Seigneur » ? Mais l’Assemblée ? Eh bien, « je suis persuadé qu’Il a la puissance de garder ce que je lui ai confié, jusqu’à ce jour-là » (1:12). Celui qui va conserver Paul pour le royaume céleste peut aussi garder, autant qu’il le faudra, ses enfants dans la foi, l’Église, la doctrine. « Ce jour-là » est une certitude. Que la nuit se fasse plus profonde, c’est que l’aube approche. Si des temps fâcheux s’annoncent, ce sont ceux des derniers jours de l’Église sur la terre, non point la fin de l’Église mais les derniers jours de l’ère de la grâce, que le monde refuse, de sorte qu’il sera jugé (4:1). Malgré les apparences et malgré la ruine, trop réelle hélas, la foi considère, après tant de misères et de combats, non point la défaite finale mais le triomphe de l’Église par et avec son chef. « Nous règnerons avec lui » est une promesse chère au fidèle, que « son apparition » réjouit toujours davantage à mesure qu’elle est plus prochaine.
Glorieuse assurance de la foi ! Si difficiles que soient les temps, ces fidèles ont le christ Jésus et en Lui la promesse de la vie ; l’Esprit saint habite en eux ; et ils ont la Parole de Dieu, jamais liée. Paul, son porteur, ne sera pas déçu. Sa voix va s’éteindre, mais ce qu’elle a enseigné prend place dans cette Parole qui demeure éternellement ; n’a-t-il pas été suscité pour la compléter, conjointement avec d’autres enseignements apostoliques (Col. 11:25 ; 2 Pierre 3:16) ? Par elle le ministère de Paul, que l’ennemi croyait frapper à mort, vit jusqu’à la fin des temps.
Mais que Timothée et ceux qui
suivront retiennent fermement la doctrine
qu’ils ont reçue de
lui !
C’est là ce qui préoccupe l’apôtre, et le fait écrire sa lettre : que ce qu’il a enseigné, soit gardé avec intégrité. Il endure les souffrances et va mourir pour avoir été fidèle à son apostolat. Il tient celui-ci de la volonté de Dieu, c’est pourquoi les fruits lui en sont si chers. Lui a tenu ferme. D’autres le feront-ils ? Il les en adjure.
C’est sa
doctrine, son
évangile (2:9 ; 3:10), mais c’est la Parole de Dieu, l’évangile de Dieu.
Il a été établi prédicateur et apôtre des nations pour cet évangile par lequel
notre Seigneur Jésus Christ, « qui a annulé la mort », « a fait luire la vie et
l’incorruptibilité » (1:10). Timothée a pleinement compris ce que Paul
enseignait, et rien ne peut y être ajouté, rien en être retranché. Christ tout
pour le croyant, sagesse, justice, sainteté et rédemption, — le chrétien mort
et ressuscité avec Lui, assis dans les lieux célestes en Lui, — le retour du
Seigneur, — l’Église corps de Christ et maison de Dieu, et d’autres vérités que
les autres épîtres de l’apôtre nous apprennent, Timothée avait appris tout cela
de sa bouche.
Aussi cette lettre ne comporte-t-elle pas de développement doctrinal, mais — et il est de toute importance de le noter — la doctrine, supposée connue, est sans cesse mentionnée. Les exhortations se ramènent à ce que Timothée n’en abandonne rien, mais la prêche exactement, en temps et hors de temps, la mette en pratique et veille à ce que les autres fassent de même. Si elle est « la parole de la vérité », il est capital de ne pas s’en écarter, même si beaucoup lui résistent et si le grand nombre s’en détourne. « Mais toi, demeure dans les choses que tu as apprises et dont tu as été pleinement convaincu » (3:14). L’Écriture à laquelle elles s’incorporent est tout entière divinement inspirée pour enseigner, convaincre, corriger, instruire dans la justice, rendre accompli l’homme de Dieu. D’elle découlent la vie pratique et la position à prendre vis-à-vis du monde et de la profession chrétienne sans vie qui partagera son sort.
C’est là le « bon dépôt « à garder « par l’Esprit saint qui habite en nous ». Timothée devait le commettre à des hommes fidèles, capables d’instruire aussi les autres. Il devait repousser toute dispute de mots à son sujet, et prendre soigneusement garde que des hommes n’y introduisent pas des nouveautés. Il y a dans ce que l’Esprit a donné par les apôtres toute la nourriture voulue pour l’Église dans tous les temps, spécialement ces temps fâcheux des derniers jours, que nous vivons. Plus que jamais il importe de ne pas s’écarter des choses que nous avons entendues (Hébr. 2:1), d’éviter les discours vains et profanes, et de nous détourner des enseignements qui flattent la chair. La vérité demeure même si la multitude se tourne vers les fables. Elle est de Dieu. « Je sais qui j’ai cru », dit Paul.
Et, en définitive, n’est-ce pas pour cela qu’il pouvait tenir le langage du triomphe comme celui de l’adjuration ? Il parlait « devant Dieu » (2 Cor. 2:17 ; 2 Tim. 4:1), Dieu qu’il connaissait. Il n’était pas une simple cymbale retentissante, un messager indifférent à son message et à l’auteur de ce message. Le Dieu qu’il servait était le Dieu qu’il suivait (Actes 27:23). « Mon Dieu », dit-il aux Philippiens.
De ce Dieu il connaissait la grâce
, selon laquelle nous avons été sauvés et appelés (1:9). Il
avait eu maintes fois les preuves de sa puissance
; il savait
ce qu’est cet Esprit de puissance qu’Il nous a donné ; cette puissance
garderait ce qu’il lui confiait, et rendrait capable Timothée de prendre part
aux souffrances de l’évangile et de ses serviteurs (1:8 ; 3:12). Et la fidélité
de ce même Dieu permettait à Paul d’être inébranlable, et sans honte quand il
était traité comme un malfaiteur ; le Seigneur est fidèle pour tenir ce
qu’Il a promis, fidèle quoi qu’il en puisse être des siens, « car il ne peut se
renier lui-même » (2:11-13).
Dieu connu en Christ, tel est le secret de l’attitude de Paul dans ces derniers jours de sa carrière, face aux derniers jours sur la terre de cette Église pour laquelle il a tant peiné. Il sait la solidité du fondement de Dieu alors que tout semble crouler. Cela lui suffit.
Cela doit nous suffire aussi. Exposés aux pires remous des temps fâcheux, assurons nos pieds sur ce fondement et prenons garde à son double sceau. Les sujets de tristesse et de profonde humiliation se multiplient. L’ennemi, loin de se relâcher, conjugue assauts et ruses. Paul a déjà ressenti tout cela, et beaucoup plus encore. Mais on ne le voit pas se lamenter, ni récriminer. Il demande que leur défaillance ne soit pas imputée à ceux qui l’ont abandonné, et il recommande à Timothée d’user de douceur en redressant les opposant. Le triomphe de sa foi est complet, parce que c’est le triomphe de la vie : non, les portes du hadès ne prévaudront pas contre ce que bâtit le Fils du Dieu vivant !
Prenons courage à notre tour. Aimons l’apparition de Christ, maintenant si proche, et, réveillés du sommeil à la fin de la nuit, revêtons les armes de la lumière (Rom. 13:11). Les temps moralement les plus sombres précèdent la délivrance. La lumière qui luisait au bout du chemin des apôtres est tout près de nous, et c’est la même : il n’y a pas deux étoiles du matin. La fidélité au Seigneur se traduit non en paroles amères et acrimonieuses, en gémissements et en reproches mutuels, mais dans le dévouement du soldat à son chef, la rectitude de l’athlète soucieux de vaincre selon les lois, le travail patient du laboureur (2:4-6). Tous regardent en avant, vers la satisfaction du maître, la couronne de la victoire, le fruit du labeur.
« Je sais qui j’ai cru », quelle sûre base de départ ! — l’apparition de Christ, quel but glorieux ! En attendant, et tandis que Dieu garde ce que l’apôtre lui a confié jusqu’à ce jour-là, gardons intact le bon dépôt. Intact, mais pas à la manière dont le méchant et paresseux esclave conservait le talent qu’il avait reçu, le déposant dans un linge ou le cachant dans la terre. Certains chrétiens traitent la Parole comme un fossile rare, une pièce de musée conservée avec soin, qui évoque seulement des temps lointains, et bien passés, où la vie logeait là. La Parole est vivante et opérante. Ce n’est pas un ensemble de textes morts sous le couvert desquels agirait l’intelligence naturelle toujours prête à se substituer à l’Esprit de Dieu. Ce n’est pas davantage un formulaire dont s’accommodent la routine, le légalisme et la superstition. Qu’elle agisse en nous, et par nous. Son action est de former « pour toute bonne oeuvre » tant l’homme de Dieu que le vase sanctifié, séparé de l’iniquité, utile au Maître. La ferveur d’esprit, par cet Esprit saint qui habite en nous, doit faire valoir ce dépôt en servant le Seigneur, dans le renoncement, la vigilance, la séparation du mal et la poursuite de la justice, la foi, l’amour, la paix, avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un coeur pur.
Quel racheté ne voudrait pas être de ceux-là, aspirant au privilège auquel Paul nous convie, celui d’être vainqueur ici-bas, couronné là-haut, — oui, à la gloire du Maître ! « À Lui la gloire, aux siècles des siècles ».