par Henri Rossier
TABLE DES MATIÈRES
1 - INTRODUCTION : Quelques réflexions sur l’histoire d’Isaac
2 - Chapitre 1 : Jacob dans la maison paternelle
2.1 - Gen. 25:19-26 : Deux principes et deux races
2.2 - Gen. 25:27-34 : Le profane et le suborneur
2.3 - Gen. 26:34, 35 : Les filles de Heth
2.4 - Gen. 27 : La bénédiction dérobée
3 - Chapitre 2 : Jacob proscrit (*)
3.1 - Gen. 28 : Le songe de Béthel
3.2 - Gen. 29-31 : Servitude et châtiment
3.3 - Gen. 32 : La lutte avec Dieu
3.4 - Gen. 33:1-16 : La rencontre avec Ésaü
4 - Chapitre 3 : Jacob au pays de Canaan
4.1 - Gen. 33:17-20 : Succoth et Sichem
4.2 - Gen. 34 : La discipline de Sichem
4.3 - Gen. 35:1-5 ; 9-15 : La communion de Béthel
4.4 - Gen. 35:6-8 ; 16-29 : Nouvelle discipline
4.5 - Gen. 37-45 : Jacob perd Joseph
4.6 - Gen. 42:35-38 ; 43:1-14 : La famine et la perte de Benjamin
4.7 - Gen. 45:26-28 : Joseph vivant
4.8 - Gen. 46:1-7 : Beër-Shéba
5 - Chapitre 4 : Jacob en Égypte
5.1 - Gen. 46:28-30 : Jacob devant Joseph
5.2 - Gen. 47:7-12 : Jacob devant Pharaon
5.3 - Gen. 47:27 à ch. 48 : Jacob devant la mort
5.4 - Gen. 49 : Jacob devant l’avenir
L’histoire d’Isaac offrant plusieurs points de contact avec celle de son fils Jacob, il ne sera pas hors de propos d’en dire quelques mots avant de considérer la vie de celui-ci.
Isaac, au début de sa carrière, est un beau type du Fils de Dieu, tandis que les débuts de Jacob ne sont, hélas ! qu’un tableau des ruses et des manquements de l’homme. Isaac, vraie semence d’Abraham, et comme tel héritier des promesses, naît « contre espérance » d’un père « amorti » et d’une mère dont le sein était en « état de mort » (*). Il représente, dès son entrée dans le monde, une vie étrangère à la nature et victorieuse de la mort. Il est le fils accordé à la foi, et cette situation exceptionnelle attire sur lui l’inimitié d’Ismaël, son frère selon la chair. Dès ses premiers pas, comme, du reste, dans toute la première partie de son histoire (chap. 21-24), Isaac est donc le type du Christ.
(*) Rom. 4:18, 19.
Un grand fait domine sa vie. Lui, le fils unique, le bien-aimé
(Gen. 22:2), offert en holocauste sur la montagne de Morija, il ressuscita d’entre les morts,
car c’est
ainsi qu’Abraham le reçut en figure
(Héb.
11:19). Comme homme ressuscité, il reçoit une épouse (*)
selon le « dessein préordonné de son père » (Gen. 24:1-8). Éliézer, image
frappante du Saint Esprit, va la chercher et la lui amène à travers le désert.
(*) Rebecca est le seul type complet de l’Église et de son appel dans l’Ancien Testament.
Conformément à l’ordre d’Abraham, l’épouse d’Isaac ne pouvait
être prise « d’entre les filles des Cananéens » ; il fallait qu’elle
appartînt à la famille de la foi, au « pays et à la parenté » d’Abraham. Mais
cette parenté elle-même présentait un assez triste spectacle. Nakhor, suivant
de loin les traces de son frère Abraham, était venu, après lui, s’établir au
pays de Charan (Gen. 24:10), sans songer à suivre, comme lui, l’appel de Dieu
jusqu’au bout. Quoique se tenant à part du culte public des idoles (conf. Gen.
31:29, 53), que l’on vénérait « de l’autre côté du fleuve », ses fils, sinon lui,
n’avaient point abandonné leurs théraphim, ou dieux domestiques, tout en
reconnaissant l’Éternel comme leur Dieu (Gen. 31:19, 53). Aussi Isaac, s’il
pouvait prendre sa femme au pays de Charan, devait se garder d’y retourner
(Gen. 24:6). Rebecca, de son côté, pour appartenir entièrement à son époux,
devait « oublier son peuple et la maison de son père » et vivre dans le pays de
la promesse en compagnie de l’homme ressuscité ; il ne devait y avoir chez
elle ni mélange, ni compromis. Elle l’avait compris, car, devant les instances
de ses frères, un seul mot sort de sa bouche : « J’irai ». Belle parole, digne de
l’époux qu’elle aime sans l’avoir vu, en qui elle croit sans le voir
encore ; parole de confiance
en
celui dont elle apprécie la valeur, parole de décision,
car il est l’aimant souverain qui l’attire, parole de soumission,
car sur un mot d’Éliézer :
« Ne me retardez point », elle le suit à travers le désert, jusqu’à ce qu’enfin
rencontrant son seigneur, elle descend de sa monture, en témoignage de
soumission, et se couvre de son voile devant lui.
Quelle joie pour elle, de voir Isaac, l’homme céleste, venir à sa rencontre de Lakhaï-roï, du puits du « Vivant qui se révèle ! » (24:62). C’est là qu’il habitait avant cette rencontre, et qu’il habite encore après son union avec Rebecca (25:11). Jadis l’Éternel avait trouvé Agar près de ce puits qui est « sur le chemin de Shur » (16:7), et Agar avait dit : « N’ai-je pas aussi vu ici, après qu’il s’est révélé ? » Ni Ismaël, né de la chair, ni ses fils après lui, n’en avaient profité, car ils « habitèrent jusqu’à Shur », sans connaître le puits de la révélation et sans boire de cette eau qui ouvre les yeux des misérables. L’homme spirituel seul s’abreuve à la révélation de Dieu.
Ô puits de Lakhaï-roï, Parole
divine, révélation du Père et du Fils,
source profonde, lieu de délices
pour l’homme ressuscité, eau fraîche où se désaltère celle dont il a fait son
épouse ; puits où l’on voit l’Invisible, où l’on connaît sa grâce, où l’on
apprend à jouir de lui dans l’intimité de sa communion, où l’on trouve conseil
et direction, qui fait verdir les lieux arides en une fraîche oasis ;
monte, ô puits du désert, pour moi, pour tout le peuple du Seigneur, et que ta
famille, ô Christ, habite sans cesse autour de ta Parole, auprès du puits du
Dieu vivant !
* * *
Au chapitre 26, qui forme la seconde partie de l’histoire
d’Isaac, le patriarche n’est plus le type de Christ, mais celui du croyant,
appelé à marcher ici-bas avec son caractère d’homme céleste et ressuscité.
Hélas ! ici, comme toujours, nous voyons l’homme incapable de se maintenir
à la hauteur de sa vocation. Jadis la famine avait conduit Abraham en
Égypte ; c’est encore la famine qui pousse Isaac vers Guérar ; Dieu
lui dit : « Ne descends pas en Égypte », car il devait demeurer
en Canaan ; il lui permet cependant de séjourner
à Guérar, alors qu’il y a déjà
élu domicile. La conséquence ne se fait pas attendre ; Isaac renie sa
relation avec son épouse, type de la relation de Christ avec l’Église. Ce
qu’Abrabam avait fait en Égypte, il le fait en Philistie. L’Égypte représente
le monde ; la Philistie, le monde qui est établi sur le territoire du pays
de la promesse, le monde ennemi des croyants, bien qu’il ait une part avec eux dans leurs limites.
Ce fait nous
apprend qu’il est aussi impossible d’avouer et de maintenir ouvertement ses
relations avec l’Église, au milieu du monde associé au peuple de Dieu, qu’au
milieu du monde représenté par l’Égypte. Ni l’un, ni l’autre ne supportent ce
témoignage. Le chrétien qui habite à Guérar s’y laisse dépouiller de son
meilleur trésor, de la communion entre l’Époux et l’Épouse ; ses
relations, son témoignage, sont brisés ; le monde s’empare de l’épouse et
la retient captive. Comme Abraham, Isaac en fait l’humiliante expérience. Cette
fausse position de l’homme de Dieu semble, au premier abord, lui attirer de
grands avantages. Il sème dans le pays de Guérar pour y récolter au
centuple ; il y reçoit beaucoup de bénédictions temporelles ;
peut-être y grandira-t-il jusqu’à y devenir fort grand ; il y trouvera,
comme autrefois Abraham, quantité de troupeaux et de serviteurs, mais la joie
de la communion est éteinte, les liens les plus intimes de l’âme sont
rompus ; et, de plus, l’alliance avec le monde aux formes religieuses qui
nous a privés de ces trésors, nous apporte les disputes, l’opposition et la
haine ; car l’enfant de Dieu, quelque faible qu’il soit, tant qu’il n’a
pas entièrement renié son caractère céleste, souffrira toujours de l’animosité
du monde contre Christ. C’est ce que rencontre Isaac, pour s’être établi à
Guérar.
Isaac, type de l’homme céleste, est un « creuseur de puits ».
Le chrétien lui ressemble. Son bonheur est de
chercher les eaux rafraîchissantes, pour lui-même d’abord, ensuite pour en
faire part à d’autres. « Isaac recreusa les puits d’eau qu’on avait creusés aux
jours d’Abraham, son père, et que les Philistins avaient bouchés après la mort
d’Abraham » (v. 18). C’est ainsi que les témoins du Seigneur remettent en
lumière des vérités anciennes ; mais, lorsque ces témoins ne sont pas
séparés du monde, ce dernier s’empare des vérités de leur témoignage, comme si
elles provenaient de lui et lui appartenaient. Il en fut ainsi des grandes
vérités retrouvées à la Réformation, la justification par la foi, et le salut
par grâce. Le témoin de l’Éternel qui reste au milieu des Philistins y perd le
fruit de son travail spirituel.
Isaac creuse alors des puits
nouveaux,
images de vérités nouvelles ; mais Esek
et Sitna
sont des
objets de dispute et de haine ; le patriarche est obligé de les abandonner
entre les mains de l’ennemi sans pouvoir les utiliser. Il n’est au large qu’en s’éloignant
de la Philistie ; là il creuse le puits de Rehoboth
(espaces), parce que, dit-il, « l’Éternel nous a maintenant
donné de l’espace ». Lorsque nous sommes affranchis de tout lien avec le monde,
il est impuissant contre notre témoignage. Le culte et le vrai caractère du
chrétien, ne se rencontrent que dans une séparation complète d’avec le monde
religieux. Isaac en fait l’expérience à Beër-Shéba, dans le pays de son père,
car, de même qu’Abraham remontant d’Égypte, ce n’est que là qu’il bâtit un autel
en invoquant le nom de l’Éternel,
et qu’il dresse sa tente. À
Beër-Shéba,
Isaac est rentré dans son propre domaine, et c’est ce que le monde est obligé
de reconnaître, sans toutefois se juger lui-même (*).
Le puits de Rehoboth est la dernière étape de cet homme de foi : simple et calme
témoignage rendu aux vérités éternelles, en présence d’un monde qui les ignore,
mais qui voit clairement que l’Éternel est avec nous (v. 28). Toutes ces choses
nous parlent d’un progrès d’Isaac, comme homme de Dieu, mais nous montrent
aussi à quelle distance il est, dans la pratique, de Celui dont il était le
type dans la première partie de son histoire. Hélas ! dans le cours de
notre récit nous assisterons à un véritable déclin du patriarche. La troisième
partie de sa carrière, étant intimement liée à celle de Jacob, nous
l’étudierons dans ses rapports avec elle, au fur et à mesure des événements.
(*) « Vous me haïssez et… vous m’avez renvoyé d’auprès de vous », leur dit Isaac. Ils répondent : « Nous ne t’avons fait que du bien » (26:29).
Comme Sara, Rebecca était stérile. Ces femmes sont en cela des figures d’Israël, de l’homme selon la chair sous l’ancienne alliance. Rachel, plus tard la femme de Manoah et Anne, plus tard encore Élisabeth, furent visitées de la même manière. Leur stérilité, marque d’impuissance, signifiait que la chair n’a ni le droit, ni le pouvoir de faire entrer dans la famille de la foi. Seules la grâce et la puissance divines nous y donnent accès, car Dieu se réserve d’être le seul ouvrier de notre bénédiction.
Dans cette épreuve, Sara et Abraham avaient manqué d’intelligence et de foi. Par l’artifice d’une transaction humaine (16:1-3), Sara chercha à se procurer ce que Dieu ne lui avait pas encore accordé, mais ce qu’il avait solennellement promis à Abraham en lui disant : « Celui qui sortira de tes entrailles, lui, sera ton héritier » (15:4). Isaac eut plus de foi que Sara : il s’attendit à Dieu et, dépendant de lui seul, il pria instamment « au sujet de sa femme, car elle était stérile ». Plus tard, Jacob imita son grand-père Abraham, quand Rachel lui donna sa servante Bilha ; au lieu de prier comme Isaac, sa colère « s’enflamma contre Rachel » (30:2). Tout autre était Anne, lorsque, dans l’affliction et l’amertume de son âme, elle pria l’Éternel en pleurant abondamment et que le « désir de la femme » fut exaucé par la naissance de Samuel (1 Sam. 1). Zacharie, lui, n’eut qu’une foi mitigée ; il avait fait des supplications au sujet d’Élisabeth (Luc 1:13), mais il douta lorsque l’ange vint lui dire qu’il était exaucé, aussi fut-il muet jusqu’au jour de la naissance du précurseur.
Abraham eut deux fils, l’un de la servante, l’autre de la femme
libre : Ismaël, le fils selon la chair, Isaac, le fils selon l’Esprit. À peine
Isaac fut-il sevré que « celui qui était né selon la chair », persécuta « celui
qui était né selon l’Esprit » (Gal. 4:29). La chair, un principe surgissant du dehors
dans la personne d’Ismaël,
s’élevait contre ce qui était né de Dieu. De même Jésus, et tous les siens à sa
suite, ont rencontré l’opprobre, les moqueries et les hostilités de la chair,
cet ennemi du dehors.
Rebecca « conçut d’un,
d’Isaac »
(Rom. 9:10) et eut de lui deux enfants qui « s’entrepoussaient dans son sein ».
Ici, les deux principes se trouvaient en
elle
et se combattaient en elle,
selon
qu’il est dit : « La chair convoite contre l’Esprit, et l’Esprit contre la
chair ; et ces choses sont opposées l’une à l’autre ». Mais il faut que,
dans le croyant, l’un soit asservi à l’autre, afin que nous ne pratiquions pas
les choses que nous voudrions (Gal. 5:17). Et c’est ainsi que Jacob sortit, sa
main tenant le talon d’Ésaü. Mais l’opposition des deux natures ne se borne pas
au sein de Rebecca ; elle persiste après que les enfants sont nés, selon
ce que Dieu dit : « Deux peuples se sépareront en sortant de tes entrailles ».
Combien de chrétiens, ne voulant pas abandonner le monde, opposent à
l’obligation de s’en séparer, le fait que nous
portons le monde dans notre coeur.
Ce n’est pas ce qu’enseigne la Parole.
Elle montre, à la vérité, qu’il y a dans
le
croyant une opposition nécessaire entre la chair et l’Esprit et que la
mondanité de son coeur ne peut se justifier ; mais la présence et
l’opposition des deux natures en lui n’affaiblissent nullement cette autre
vérité, qu’une séparation est nécessaire entre ce qui est né de l’Esprit et ce
qui est né de la chair. Il y a là deux familles distinctes qui ne peuvent avoir
rien en commun, ni titres, ni privilèges, ni bénédictions. « Ce ne sont pas les
enfants de la chair qui sont enfants de Dieu ; mais les enfants de la
promesse sont comptés pour semence » (Rom. 9:8).
Vous demandez peut-être : Pourquoi les uns sont-ils bénis et pas
les autres ? Dieu répond que c’est afin de prouver que son propos selon l’élection
demeure (Rom. 9:11).
L’élection de Dieu est souveraine ; il n’en doit compte à personne. Il la
met en contraste avec les oeuvres,
c’est-à-dire
avec la prétention de l’homme à acquérir, de son chef, les grâces de l’élection.
Mais, dira-t-on, dans ce cas Dieu choisit les uns pour la bénédiction, les
autres pour la malédiction, et que pouvons-nous contre la volonté de
Dieu ? Question insensée, car jamais Dieu ne choisit pour la perdition. Il
montre son libre choix de grâce,
quand
il dit : « Le plus grand sera asservi au plus petit », mais il montre aussi les
conséquences de la responsabilité de
l’homme,
quand, après avoir dit : « J’ai aimé Jacob », il ajoute : « et j’ai haï
Ésaü » (Mal. 1:2, 3). Quand a-t-il aimé Jacob ? Au premier livre de la
Bible et déjà dans le sein de sa mère. Quand a-t-il haï Ésaü ? Au dernier
livre de l’Ancien Testament, lorsque, malgré la longue patience de Dieu, Edom
(Ésaü) s’était montré jusqu’à la fin l’implacable ennemi de l’Éternel et de son
peuple. C’est ainsi que se manifestent, d’un côté, les fruits de la grâce de
Dieu, de l’autre, les fruits de la responsabilité de l’homme. Jamais Dieu ne
sacrifie l’un de ces principes à l’autre, ni ne les affaiblit l’un par l’autre,
comme les faux raisonnements des hommes n’y tendent que trop souvent.
Les enfants grandissent, leur caractère se dessine. « Ésaü était
un homme habile à la chasse, un homme des champs ». Il représente l’homme de
l’activité extérieure, de la force corporelle, qui trouve dans ce monde la
sphère propre à son développement, et qui met son habileté naturelle au service
de ses convoitises. Nouveau Nimrod, il aime la chasse et ses énergies
convergent vers la satisfaction de cette passion. Mais « Jacob était un homme
simple, qui habitait les tentes » : on reconnaît ici un rejeton de la famille de
la foi. La simplicité chez lui n’est pas le contraire de la ruse ; nous ne
verrons que trop, hélas ! quel rôle la ruse joue dans la carrière de
Jacob, et à quelle discipline Dieu dut le soumettre pour l’en purifier. La simplicité
de Jacob était celle d’un
homme qui n’a pas de besoins, qui se contente de ce que Dieu lui donne, sans
ambition d’aises ou de renommée ; traits de caractère opposés à ceux
d’Ésaü. C’est pourquoi aussi il « habitait les tentes », vrai fils de ces hommes
de foi, Abraham et Isaac. Abraham, est-il dit, demeurait « sous des tentes avec
Isaac et Jacob,
les cohéritiers de la
même promesse » (Héb. 11:9). Au début de sa carrière, Jacob est donc un témoin
de Dieu, vivant en étranger dans un monde où il ne cherche pas une cité
permanente, car il s’attache à la promesse de Dieu et de son héritage, et ces
choses suffisent à sa foi.
À ce point du récit commence la troisième partie de l’histoire
d’Isaac ; histoire désormais liée à celle de ses deux fils. Isaac n’est
plus ici l’homme de Dieu, réalisant, partiellement toutefois, son caractère
céleste ; il se laisse au contraire diriger dans sa conduite par des
motifs purement terrestres. « Isaac aimait
Ésaü, car le gibier était sa viande
». Un simple goût gastronomique, un
penchant pour ce que le monde appelle « les plaisirs de la table », voilà ce qui,
sans qu’il s’en doutât, faisait dévier les affections d’Isaac. La chair attire
toujours la chair. N’est-il pas douloureux de penser que le pieux Isaac, s’il l’avait pu,
aurait fait du fils de
la chair l’héritier des promesses, parce qu’il aimait le gibier ! « Rebecca
aimait Jacob » ; peut-être était-ce l’affection d’une mère pour celui de
ses fils qui était le plus faible et que son père tenait en moindre
estime ? La raison n’est pas donnée, mais nous aimons à croire que
Rebecca, femme de foi malgré tout, avait
gardé dans son coeur la réponse de l’Éternel quand elle était allée le
consulter (vers. 22,23).
Aux v. 29-34, le caractère des deux frères se dessine
entièrement. Ésaü est « profane » et « pour un seul mets » vend son droit de
premier-né (Héb. 12:16). Accablé de fatigue il s’écrie : « Je m’en vais
mourir ; et de quoi me sert le droit d’aînesse ? » Le malheureux ne
comprend pas qu’il ne vend pas seulement son droit à certains avantages
temporels, mais à des bénédictions plus élevées promises à Abraham, et à sa
semence, « qui est Christ ». Oui, il vend à Jacob son droit à la lignée du
Messie, privilège qui fut conféré à Jacob, car il est dit : « Abraham engendra
Isaac ; et Isaac engendra Ja
cob »,
et ainsi de suite jusqu’à « Jésus, qui est appelé Christ » (Matt. 1). Ésaü méprise
le don de Dieu (v. 34) et lui
préfère un potage de lentilles, misérable satisfaction d’un besoin passager de
sa chair. Quelle indifférence ! Ayant le choix, il abandonne de propos
délibéré son droit à la bénédiction. Il mange et boit, se lève et s’en va…
Ah ! quand ensuite, voulant hériter de la bénédiction, il la recherchera
avec larmes, il sera trop tard… Oui, trop tard !… « Il fut rejeté, car
il ne trouva pas lieu à la repentance » (Héb. 12:17).
Ce terrible exemple est fait pour rendre attentif. Le monde est rempli d’Ésaüs, qui sacrifient un avenir de bénédictions mis à leur portée, pour satisfaire le désir d’un moment, qui vendent leur âme pour un plat de lentilles et, après avoir mangé et bu, « se lèvent et s’en vont », insensibles à l’énormité de leur acte. Songent-ils qu’un jour se lèvera, où jetant un cri très grand et très amer, ils diront en pleurant : « Bénis-moi, moi aussi, mon père », et où ils ne trouveront « pas lieu à la repentance » ?
Certes, la conduite d’Ésaü n’excuse en aucune manière celle de
Jacob. Ce dernier n’a rien qui nous attire. S’il y avait quelque noblesse,
quelque franchise naturelle, ce serait chez Ésaü qu’il les faudrait chercher.
Jacob guette les éventualités et en profite fort habilement pour arriver à ses
fins. Il pense, dès le début de sa carrière, qu’il ne faut pas négliger les
moyens humains pour s’assurer les bénédictions promises. Erreur très
commune ! On emploie la chair à acquérir les choses de Dieu, tout en
laissant une part
à l’activité de la
foi. Jacob devra traverser plus de vingt années de souffrances et de
discipline, pour apprendre que l’activité de la chair ne sert qu’à créer des
difficultés au croyant et à l’amener sous le jugement de Dieu, qu’elle est, en
un mot, un instrument de défaite et que la foi seule
assure la victoire. Ésaü agissait purement et simplement par
la chair ; Jacob mettait sa chair, ou, si vous le préférez, ses capacités
et son intelligence naturelle, en ligne avec sa foi, sans comprendre que l’une
est ennemie de l’autre.
Nous avons dit : le monde est peuplé d’Ésaüs ; nous pouvons
dire tout aussi justement : la chrétienté est peuplée de Jacobs. Est-il nécessaire
de le prouver par des exemples ? Dans la chrétienté, ne se sert-on pas de
l’intelligence naturelle, des études, de la volonté humaine qui pense pouvoir
se consacrer à Dieu, pour acquérir les choses que la grâce de Dieu veut
nous donner ? Quand Dieu prépare aux
siens des oeuvres de foi pour qu’ils y marchent, ne les remplace-t-on pas par
des oeuvres volontaires
qui font
obstacle à celles de Dieu ? N’est-ce pas par des règlements humains qu’on
a la prétention de s’assurer les bénédictions que le Seigneur accorde à son
Église ? L’évangélisation, les dons de l’Esprit, l’édification des saints,
la prière même, tout est entaché de ce vice. Le chrétien sincère, où qu’il se
tourne, découvre l’esprit et les principes de Jacob, même dans la famille de la
foi et parmi ceux qui ont le privilège d’invoquer en vérité le nom du Seigneur.
Une chose consolante, c’est que, malgré tout, il y a de la foi chez plusieurs de ceux qui agissent ainsi. Jacob, en dépit de ses procédés charnels, accordait de la valeur à la promesse. La parole de Dieu, confiée à sa mère, était restée gravée dans son coeur. Il avait conscience de la prééminence à laquelle il était appelé, et cet homme simple, habitant sous des tentes, avait des visions de gloire future qui lui faisaient mépriser les choses présentes, alors que son frère Ésaü méprisait les choses à venir !
« Et Ésaü était âgé de quarante ans, et il prit pour femmes Judith, fille de Beéri, le Héthien, et Basmath, fille d’Elon, le Héthien ».
Le mariage est un témoin de l’état de notre religion. Abraham, l’homme de foi, enseigné par les amertumes d’un partage entre Sara et Agar l’Égyptienne, veut, pour son fils Isaac, une fille de la race de la foi ; il ne veut pas d’une Cananéenne, ni même que son fils retourne se fixer au pays de Nakhor, car Abraham en était sorti. Éliézer remplit fidèlement cette mission ; il en est toujours ainsi quand l’Esprit de Dieu nous dirige. Isaac ne s’est pas écarté de ce précepte (28:1). Jacob y marcha, lui aussi, quoique avec moins de simplicité et de franchise que son père. Pour eux, la foi excluait absolument toute alliance avec les filles du monde.
Cette même règle de conduite est recommandée au peuple de Dieu
dans Dent. 7:3, 4, en Josué 23:12, 13. Au milieu d’une grande affliction,
Esdras (10:3, 11) agit sur la conscience du peuple pour qu’il se purifie de ses
alliances profanes. Néhémie (10:30) confirme encore ce principe. Dans le
Nouveau Testament, il est important de s’en souvenir, la seule condition du
mariage chrétien est formulée par ces mots : « Seulement
dans le Seigneur » (1 Cor. 7:39).
Ésaü fait montre en cette circonstance de son esprit profane. Il prend les filles des Héthiens pour femmes, et « elles furent une amertume d’esprit pour Isaac et pour Rebecca ». Comment pouvait-il en être autrement pour ce couple de croyants, associés involontairement par leur fils à un peuple chargé de la malédiction divine et qui, tout en restant purs eux-mêmes, ne pouvaient se dégager de ce voisinage idolâtre ? Ils en souffraient, c’était justice ; ils ne pouvaient changer cet état de choses, car les principes divins n’avaient pas de prise sur Ésaü. C’était l’épreuve de ce ménage de croyants et ils la ressentaient cruellement ; Rebecca, d’une façon plus vive, car son affection pour Ésaü était moins aveugle que celle de son mari : « J’ai la vie en aversion », dit-elle, « à cause des filles de Heth » (27:46). Aussi le fâcheux exemple donné par Ésaü les engagea-t-il d’autant plus à agir selon les pensées de Dieu, envers le fils qui reconnaissait leur autorité et dont la foi correspondait à la leur. « Isaac », est-il dit, « appela Jacob, et le bénit, et lui commanda, et lui dit : Tu ne prendras pas de femme d’entre les filles de Canaan. Lève-toi, va à Paddan-Aram, à la maison de Bethuel, père de ta mère, et prends de là une femme d’entre les filles de Laban, frère de ta mère » (28:l, 2).
Le chapitre 27 nous présente un tableau humiliant des choses qui
peuvent se passer au sein de la famille de Dieu. Isaac, chef de cette famille,
« l’homme céleste » des chapitres précédents, cède à une
convoitise terrestre : « le gibier était sa viande ». Il dit à
Ésaü : « Tu vois que je suis vieux ; je ne sais pas le jour de ma mort. Et
maintenant, je te prie, prends tes armes, ton carquois et ton arc, et sors dans
les champs, et prends-moi du
gibier ; et apprête-moi un mets savoureux comme j’aime, et apporte-le-moi,
et j’en mangerai, afin que mon âme te bénisse avant que je meure ».
Poussé
par cette convoitise, il en vient à préférer le fils de la chair à l’héritier
selon Dieu, à qui Ésaü devait être asservi. Nous le voyons encore, cherchant
dans la nourriture qu’il aime la force pour le service de Dieu, comme si cette
force factice pouvait venir en aide au don prophétique d’un patriarche ! En
est-il autrement de nos jours ? Que de fois une excitation de la chair
s’impose aux chrétiens comme étant la puissance de l’Esprit ! Le gibier et
le vin ne sont pas les seuls excitants de l’homme naturel ; tout ce que le
monde lui présente, la recherche du moi, le désir de s’élever, l’orgueil de la
vie, l’imagination, mille choses encore, contribuent à lui faire perdre la
sobriété dans le service du Seigneur qui seule en assurerait les fruits.
Chose bien plus grave encore, cette seule convoitise d’Isaac lui
fait oublier la Parole et le pose en adversaire des pensées de Dieu. Nous
l’avons dit plus haut : Isaac, s’il l’avait pu, aurait fait du fils de la chair l’héritier de la promesse
!
N’objectez pas qu’il était ignorant ; il aurait dû
se rappeler cette parole : « Le plus grand sera asservi au plus
petit ». Souvenons-nous que l’oubli de la parole de Dieu va de pair avec
l’entrée que nous donnons au monde dans nos coeurs. Quel terrible réveil pour
Isaac, quand, tout à coup, ses yeux s’étant ouverts, il découvre que par
affection pour son fils, il a failli contrecarrer les desseins de Dieu.
Voyez-le, « saisi d’un tremblement très grand ! » (v. 33). Ce n’est chez lui
ni la colère, ni la stupéfaction d’avoir été trompé par son plus jeune fils,
car il pouvait reprendre la bénédiction qu’on lui avait dérobée. Non, c’est
l’effroi du danger auquel la grâce de Dieu vient de le faire échapper. Aussi,
tout en jugeant la manière dont Jacob se l’est appropriée -« ton frère est venu avec ruse
et a pris ta bénédiction » (v.
35) — il maintient la bénédiction donnée, comme étant selon les pensées de Dieu : « Je l’ai béni : aussi il sera béni » (v. 33).
Sous l’humiliation, Isaac est restauré dans son âme ; néanmoins il est mis de côté, lui, le témoin de Dieu dans ce monde. Sa carrière de témoin est finie, brisée jusqu’à sa mort. Pendant près d’un demi-siècle, il ne verra plus dans son entourage que les fruits du vieil homme qui lui seront une amertume d’esprit, de cette chair d’Ésaü dont il avait voulu un moment se servir pour la satisfaction de sa propre chair.
Tandis qu’Isaac cherche à allier sa foi avec sa convoitise, la
foi de Rebecca
se mélange de son
caractère de famille. Nakhor son grand-père, Bethuel son père, Laban son frère,
sont d’une même lignée : religion mélangée, intérêt, fausseté et tromperie,
avaient présidé à son éducation. Et pourtant, un jour’, cette même Rebecca
avait dit par la foi : « J’irai » ; par la foi également elle avait compris
la valeur de la promesse faite à Jacob, mais sous l’influence de son caractère
de famille, elle abandonna le chemin de la foi, et voulut procurer par
tromperie, au fils qu’elle aimait, la bénédiction promise. Retournant aux
principes de conduite auxquels l’Éternel l’avait fait renoncer, elle cherche à
parer, par les manoeuvres frauduleuses de la chair, le coup dont la passion
charnelle d’Isaac la menace. Bien plus, elle donne sa conduite en exemple à son
propre fils et ose se charger de la malédiction (v. 13), pour l’engager à
tromper son père. Mais Dieu est un Dieu saint et se montre tel envers les siens.
Rebecca tombe sous la discipline de l’Éternel. Elle perd Jacob, sur lequel se
concentraient toutes les affections de son coeur de mère. Isolée désormais,
elle passe ses années, ayant « la vie en aversion », et meurt sans revoir celui
avec lequel elle espérait être réunie un jour (v. 45). Sa discipline, comme
celle d’Isaac, ne se termine qu’avec sa vie.
Jacob
obéit à sa mère
en étouffant la voix de sa conscience qui lui crie : Tu passeras aux yeux de
ton père comme un trompeur (v. 12) ; il ment à Isaac pour se procurer, à
sa manière, ce que Dieu lui avait promis. Il reçoit la bénédiction, mais ne
l’aurait-il pas reçue sans cela, même en présence d’Ésaü, comme Éphraïm la
reçut plus tard en présence de Manassé ? Il la reçoit, mais il est obligé
d’en attendre longtemps la possession, proscrit, réduit à un dur esclavage,
objet de la discipline de l’Éternel, jusqu’à ce qu’enfin, jugé et brisé, il ait
reconnu que sa chair était sans force pour le bien et que sa puissance ne
résidait que dans la foi toute seule.
Ésaü
enfin, « l’homme
animal », est battu d’abord de moins de coups, car il n’y a pas de discipline pour la chair,
mais il ne peut retrouver
la bénédiction perdue, quoiqu’il l’ait recherchée avec larmes. Il ne trouve pas
lieu à la repentance, c’està-dire à un changement de dispositions chez Isaac,
et son histoire se termine par cette parole d’une solennité terrible : « J’ai haï
Ésaü ! »
(*)
(*) Les dates consignées dans les chapitres 25 à 50 de la Genèse, permettent d’établir, avec quelque certitude, l’âge de Jacob aux différentes périodes de son histoire :
Jacob avait 40 ans, lorsque Ésaü prit pour femmes les filles de Heth. Il quitta la maison paternelle à 75 ans, après avoir été témoin Pendant trente-cinq ans de l’amertume d’esprit de ses parents, et avoir tremblé pendant un certain nombre d’années sous la menace de la vengeance d’Ésaü. À 83 ans, il prit Léa et Rachel pour femmes. Quittant le service de Laban, il rentra à 96 ans au pays de Canaan. Joseph, âgé de 17 ans environ, fut vendu par ses frères dans la 107° année de Jacob. À 120 ans, le patriarche ensevelit son père Isaac, âgé de 180 ans (la mort d’Isaac, au chap. 35:28, 29, ne semble pas indiquée selon l’ordre chronologique du récit), puis Jacob vécut encore dix ans au pays de Canaan. Descendu en Égypte à 130 ans, il y mourut à 147 ans.
La durée respective des quatre chapitres de notre livre s’établit donc ainsi :
1° Jacob vécut dans la maison paternelle 75 ans. 2° Proscrit et au service de Laban, 21 ans. 3° Au pays de Canaan, 34 ans. 4° En Égypte, 17 ans.
La première partie de l’histoire de Jacob est terminée. Nous l’avons suivi dans la maison paternelle, lui, objet des conseils de Dieu dès avant sa naissance, puis appelé à compter par la foi sur l’accomplissement de ces conseils. Mais la foi (ou plutôt Dieu, l’objet de la foi), ne suffisait pas à Jacob. Habile à profiter de l’occasion, il s’était emparé d’abord du droit d’aînesse que Dieu lui avait attribué ; ensuite, par ruse et tromperie, de la bénédiction paternelle, privilège de celui qui possédait ce droit d’aînesse. Son père le bénit, croyant bénir Ésaü : « Sois le maître de tes frères, et que les fils de ta mère se prosternent devant toi ! » (27:27, 29). En apparence donc, Jacob était arrivé à ses fins.
À ce moment-là Dieu intervient. Comment vat-il concilier sa
fidélité à ses promesses avec sa réprobation du caractère et des voies de son
serviteur ? Il ne peut, en rien, révoquer ses promesses et ses
bénédictions, car « les dons de grâce et l’appel de Dieu sont sans
repentir » ; il ne peut, d’autre part, accepter le mal sans en tenir
compte. Sa discipline répond aux
exigences de sa fidélité, d’une part, de sa sainteté de l’autre, et les
concilie.
Sous la discipline de Dieu, Jacob sera amené à juger et à
répudier ses voies, à prononcer une condamnation absolue sur lui-même et, ce
résultat obtenu, il entrera par la foi dans la jouissance des glorieuses
promesses qui lui avaient été faites.
Nous allons donc assister, dans la seconde partie de l’histoire de Jacob, ayant Béthel pour point de départ et Béthel pour point de retour, à la discipline de Dieu envers lui, soit pour le châtier, soit pour le purifier. La troisième partie de cette histoire nous montrera que la discipline a encore d’autres buts.
Isaac appelle Jacob et le bénit, sans un mot de reproche quant au passé. Ne serait-ce pas qu’il continue à s’accuser lui-même depuis le jour où il a été « saisi d’un tremblement très grand » ? La tromperie de Rebecca et de Jacob a été le commencement de sa discipline à lui, et lui a ouvert les yeux ; aussi retrouve-t-il la communion avec Dieu pour bénir son fils sans restriction (28:1). Rebecca cherche à éviter les conséquences de sa faute en envoyant Jacob à l’étranger, pour le soustraire à la colère d’Ésaü (27:43-45) ; Isaac, lui, accepte avec humilité les conséquences de la sienne. Il parle comme si rien d’anormal ne s’était passé ; et il bénit Jacob de la bénédiction d’Abraham, comme s’il avait toujours vu en lui l’héritier des promesses, agissant à son égard selon les principes divins qui avaient dirigé son père. Il ne lui permet pas d’imiter l’exemple d’Ésaü qui avait pris une femme parmi les filles des Cananéens. De plus, Jacob ne pourra rester comme lui dans le pays de la promesse ; il faudra qu’il parte ; seule différence d’avec son père (v. 5). Isaac reconnaît ainsi la discipline de Dieu, mais ne s’en fait pas l’instrument et ne l’exerce pas, car, étant lui-même un objet de discipline, il ne peut que s’y soumettre en « s’humiliant sous la puissante main de Dieu ».
Jacob sort de Beër-Sheba et s’en va à Charan, triste et proscrit, n’ayant que son bâton, comme il le dira plus tard (32:10). Séparé de ceux qu’il aime, laissant derrière lui le courroux d’Ésaü, avec, devant lui, l’inconnu, les privations à coup sûr, et au-dessus de lui ce Dieu qu’il a si gravement offensé en substituant ses propres artifices aux secours de Sa providence, comme si les moyens de Jacob avaient pu valoir mieux que les ressources de Dieu !
Il entreprend son pèlerinage, non pas comme Abraham qui, par la foi et dans la communion du Tout-Puissant, marchait en étranger dans le pays de la promesse, mais banni de ce bon pays contre sa volonté, à la suite de son manque de foi et de sa tromperie, et obligé de parcourir en sens inverse le chemin qui avait amené son grand-père de Charan au pays de Canaan. Il s’en va seul, sans communion avec Dieu, chargé du poids de sa faute, et arrive à Béthel. La nuit tombe ; il n’a que des pierres pour chevet… Combien d’amertumes devaient assaillir son pauvre coeur ! La nuit de Béthel n’était certes pas plus noire que les pensées qui remplissaient son âme !
Il se couche et s’endort… Une vision glorieuse lui apparaît : une échelle qui fait communiquer la terre avec le ciel. En haut de l’échelle, Dieu ; au bas de l’échelle, un proscrit sans asile, portant le lourd fardeau de son péché ; mais, entre Dieu et Jacob, des anges, ces « esprits administrateurs, envoyés pour servir en faveur de ceux qui vont hériter du salut », « montent et descendent », pour accomplir leur service envers lui (Héb. 1:14).
Scène touchante ! Dieu lui-même ouvre son ciel pour mettre
ses armées à la disposition d’un racheté coupable, et voilà ce qui est révélé à
Jacob au bout de sa première étape dans le chemin du châtiment ! Présents,
bien qu’invisibles, ces serviteurs de Dieu pourvoiront à ses besoins pendant
son séjour à l’étranger. Il les retrouvera plus tard à Mahanaïm, venant lui
souhaiter la bienvenue, mais il les rencontre d’abord, au moment le plus sombre
de son histoire, parce que Dieu est là (*).
Singulière occasion n’est-ce pas, pour confirmer à Jacob toutes les
bénédictions de Dieu ? Ah ! c’est que Dieu n’avait pu lui apparaître
jusque-là. Comment se révéler à lui auprès du plat de lentilles, ou bien au
chevet d’Isaac, quand il avait le coeur rempli de tromperie ? Mais
maintenant, dans cet endroit solitaire, effrayant, où le péché l’a conduit et
où le châtiment s’abat sur lui, Dieu le rencontre, car, la discipline étant Son
oeuvre, le lieu de la correction est un endroit où Il peut se révéler. N’est-il
pas touchant de voir ici que pas une parole de blâme ne sort de Sa bouche à
l’adresse de Jacob ? Dieu lui parle pour affirmer qu’Il est fidèle à ses
promesses : « Je suis l’Éternel, le Dieu d’Abraham, ton père, et le Dieu
d’Isaac ; la terre sur laquelle tu es couché, je te la donnerai, et à ta
semence ; et ta semence sera comme la poussière de la terre ; et tu
l’étendras à l’occident, et à l’orient, et au nord, et au midi ; et toutes
les familles de la terre seront bénies en toi et en ta semence » (v. 13, 14).
Ces promesses sont presque aussi riches, dans un sens, que celles d’Abraham. Je
dis : presque,
parce que Dieu ne donne
pas à Jacob une semence comme les étoiles des cieux, mais comme la poussière de
la terre (**). Je dis encore : dans un sens,
car, dans l’autre sens,
elles sont bien plus riches, inconnues même à Abraham. Le v. 15 assure Jacob de
l’intérêt que Dieu ne cessera de lui porter pendant ses années d’exil, grâce
inconnue à Abraham qui ne quittait pas la terre de la promesse : « Et voici, je
suis avec toi ; et je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai
dans cette terre-ci, car je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que j’aie fait ce
que je t’ai dit ». Quel baume pour le coeur affligé de Jacob : « Je suis avec
toi ! » Je te châtie, mais c’est une preuve de mon amour ; je te
garderai, je te ramènerai, je ne t’abandonnerai pas ! Pauvre Jacob !
Il pouvait donc compter entièrement sur
Dieu seul,
lui dont le péché consistait à en avoir douté ! Certes une
grâce pareille aurait dû lui réjouir le coeur… mais non ! il s’écrie, en
se réveillant de son sommeil : « Certainement l’Éternel est dans ce lieu,
et moi je ne le savais pas. Et il eut
peur,
et dit : Que ce lieu-ci est terrible
!
Ce n’est autre chose que la maison de Dieu, et c’est ici la porte des
cieux ! » (v. 16, 17). Que ce lieu est terrible ! Terrible, quand Dieu
l’assure de toute sa faveur ? Ah ! c’est que notre chair ne peut se
trouver à l’aise en présence de Dieu, non, pas même en présence du Dieu de
grâce, car cette présence nous juge. Il en est toujours ainsi ; témoin,
l’apôtre Pierre, quand le Seigneur remplit son filet de poissons.
(*) Remarquons en passant, que Jacob est ici un type d’Israël chassé de Canaan à cause de son infidélité, objet des soins de Dieu pendant sa proscription, mais portant dans son sein un peuple plus nombreux que la poussière de la terre. Le songe est la révélation qui lui est faite d’une communion future entre le ciel et la terre, entre la terre et le ciel, par l’intermédiaire des anges. Donc, à proprement parler, le sens de ce passage est moins Jacob, personnellement l’objet des soins de Dieu, qu’Israël, proscrit par sa faute, objet de cette sollicitude et anticipant un avenir où Dieu répondra à son peuple et Israël à son Dieu, par le ministère des anges. Ce que l’on trouve en Jean 1:52, est plus glorieux encore. Le Fils de l’homme y est seul en vue. Bien autrement abaissé que Jacob, puisqu’il est descendu en grâce jusqu’à subir la mort d’un criminel, il est l’objet du service des créatures les plus élevées. Le ciel est ouvert sur lui seul et contemple Celui qui s’est volontairement humilié. ll relie, dans sa personne, l’homme avec Dieu, la terre avec le ciel. C’est parce qu’il a souffert qu’il devient le centre unique de tout. Mais il a pris cette place, afin que l’homme en lui pût hériter de sa bénédiction.
(**) Abraham reçoit les deux (13:16 ; 15:5 ; 22:17) ; Isaac, l’homme céleste, reçoit une semence comme les étoiles des cieux (26:4).
Mais voici que Jacob reprend courage ! Pourquoi ? Parce qu’il imagine de faire un contrat avec Dieu. La chair se tranquillise toujours avec de bonnes résolutions. Si Dieu fait ce qu’il a dit, je ferai en retour quelque chose pour lui : « L’Éternel sera mon Dieu. Et cette pierre que j’ai dressée en stèle sera la maison de Dieu ; et de tout ce que tu me donneras, je t’en donnerai la dîme » (v. 20-22). La discipline qui ne fait que commencer n’a pas encore porté ses fruits pour le pauvre coupable. Il n’a pas encore compris qu’il ne dépend que de la grâce et que sa volonté propre ne peut être qu’inimitié contre Dieu. Son vieil homme n’est pas dépouillé. Il faudra plus de vingt ans d’épreuves, pour lui ouvrir enfin les yeux sur lui-même et lui faire comprendre le but de la discipline.
Jacob ne sait pas encore que le seul
moyen d’acquérir les bénédictions, c’est la foi
, et qu’essayer d’un autre moyen, c’est outrager la grâce.
Mais la tendance de l’homme naturel sera toujours celle de Jacob, non pas que
celui-ci manquât de foi ; seulement il estimait faussement que l’activité,
l’intelligence, les plans, les résolutions de l’homme, peuvent avantageusement
accompagner la foi et contribuer avec elle à lui assurer les promesses de Dieu.
Ce principe erroné est à la base de tout le système religieux de nos jours qui,
sans renier la foi, s’appuie, comme nous l’avons déjà dit, sur la connaissance,
l’intelligence, les études humaines, pour s’approprier les choses divines. Il
fallut un long travail de l’Esprit de Dieu pour déraciner du coeur du
patriarche cette notion qui offensait la grâce, et lui substituait, dans une
mesure quelconque, l’activité de l’homme naturel.
Jacob, arrivé à Charan, rencontre providentiellement Rachel auprès du puits, comme Éliézer avait jadis rencontré Rebecca. Mais Éliézer était en communion avec Dieu, et cette entrevue lui était donnée comme réponse à sa prière, tandis que rien de tel n’apparaît chez Jacob. Le Dieu qui lui avait dit à Béthel : « Je suis avec toi », fidèle à sa promesse, dirige les circonstances en faveur de son serviteur, mais c’est tout. Jacob avait Dieu avec lui, sans avoir lui-même de communion avec Dieu. Nous reviendrons plus tard sur ce sujet important. Qu’il nous suffise de dire ici, que la communion, cet état du coeur qui jouit des mêmes objets que Dieu, se manifeste dans la marche en commun avec lui vers un même but. Tel fut le cas d’Abraham ; il marchait avec Dieu, parce qu’il avait part à Ses secrètes pensées. Les résultats de cette communion se montrent chez lui en toute occasion : il vivait en étranger dans ce monde ; il intercédait par la prière pour les villes coupables de la plaine ; partout, bâtissant son autel, il rendait culte à Dieu et l’adorait. Tel n’était pas le cas de Jacob. Une seule fois il offre un sacrifice dans le pays de son exil, et encore est-ce au moment de le quitter (31:54). Il en est de même de sa prière ; c’est tout au plus s’il prie, quand un danger pressant le menace (32:9-12) ; et sa prière elle-même n’indique que bien faiblement sa dépendance, car, au même moment, il se sert de moyens humains pour apaiser Ésaü, comme si Dieu tout seul n’avait pu l’apaiser.
D’où venait cette absence de communion ? Du fait que la
communion ne peut accompagner le
châtiment.
Le père qui use de la verge pour punir son enfant, ne le couvre
pas de baisers, et l’enfant, sous la discipline, ne jouit pas de l’amour de son
père. Il y avait de la foi chez Jacob, et nous devons en tenir grand compte,
mais il est douteux qu’il eût, à un haut degré, conscience de la discipline de
Dieu.
Nous voyons, dans les chapitres qui nous occupent, cette discipline qui avait fait de Jacob un pauvre exilé, errant loin de sa patrie, s’exercer encore d’une autre manière. Il avait trompé son père, elle lui fait rencontrer la tromperie sous le toit de Laban. Les paroles flatteuses de Laban : « Certes, tu es mon os et ma chair » (29:14), cachent des vues intéressées. Il trompe Jacob en lui donnant Léa ; il le trompe encore, après avoir fait un accord avec lui au sujet des troupeaux. Jacob lui avait dit : « Je passerai aujourd’hui par tout ton bétail, j’en ôterai toute bête marquetée et tachetée, et tous les agneaux foncés, et ce qui est tacheté et marqueté parmi les chèvres ; et ce sera là mon salaire » (30:32). Laban répond : « Voici, qu’il en soit selon ta parole » (v. 34), mais il se hâte de passer lui-même parmi ses troupeaux, pour en ôter le salaire de Jacob et le remettre entre les mains de ses fils (v. 35). Dix fois, ce parent inhumain et trompeur lui change son salaire, quand Jacob le sert pour son bétail (31:7, 41). Au milieu de toutes ces traverses, dévoré de jour par la sécheresse, de nuit par la gelée, obligé de restituer à un maître avare ce qu’il n’avait pas perdu par sa faute (v. 38-40), que fait Jacob ? A-t-il appris sa leçon, par la discipline ? Hélas, non ! Il trompe celui qui l’a trompé, témoin l’histoire des brebis (30:37-43), témoin sa fuite clandestine, dont Dieu nous dit : « Jacob trompa Laban » (31:20). Pourquoi donc ces fraudes ? Parce que Jacob, qui manquait de confiance en Dieu, n’avait pas encore perdu confiance en ses capacités et en ses ruses. Etait-il nécessaire de peler des branches de coudrier, quand Dieu lui montrait en songe les boucs rayés et marquetés en lui disant : « J’ai vu tout ce que t’a fait Laban » ? (31:10-13). Etait-il nécessaire de s’enfuir en cachette, quand Dieu lui avait dit : « Maintenant, lève-toi, sors de ce pays, et retourne au pays de ta parenté » ? et encore : « Retourne au pays de tes pères… et je serai avec toi » (31:13, 3). Ah ! s’il avait eu quelque confiance en la parole de son Dieu, il serait sorti la tête haute, et pas un cheveu de sa tête n’eût été touché !
Malgré tant de fautes et de défaillances, Dieu avait accordé une famille nombreuse à Jacob, mais encore ici, il doit faire la triste expérience de ce que valent les moyens humains. Trompé par Laban, il lui faut se soumettre aux expédients de ses femmes et de leurs servantes (30:14-17). C’est ainsi que Jacob est châtié, mais sans être encore brisé. Par la grâce de Dieu, il le sera plus tard.
Malgré tout cela, la foi de Jacob à Charan offre plusieurs traits
remarquables. Dès qu’il a reçu Joseph, le fils de sa vieillesse (il avait alors
quatre-vingt-dix ans), mais le vrai fils de la promesse (Gen. 49:26), type
frappant de Christ, né de Rachel la bien-aimée, Jacob n’a plus qu’une pensée :
quitter le lieu de son exil et de son esclavage pour retourner dans son pays et
vers sa parenté (30:22-27). Son pays n’était pas celui de la religion de Laban,
mais celui d’Abraham et d’Isaac, adorateurs du vrai Dieu, sans mélange de
théraphim. Il en est encore ainsi de nos jours. La connaissance personnelle de
Christ est le plus puissant motif pour nous faire quitter le mélange religieux
qui caractérise la chrétienté et nous ramener, nous, les fils de la foi, vers
notre famille spirituelle. Au départ, Jacob répudie hautement les idoles de
Laban. Ce dernier lui réclame ses dieux lares : « Qu’il ne vive pas, celui auprès
de qui tu trouveras tes dieux !…
Reconnais
ce qui est à toi
», lui répond Jacob
(31:32). Rachel, en suivant son mari, les avait emportés. Cela arrive souvent à
ceux qui suivent la foi des autres, sans marcher par leur propre foi.
Jacob montre encore la patience
selon Dieu dans les épreuves, comme le prouve son discours à Laban
(31:36-42). Comme tout enfant de Dieu, quel que soit son caractère, il apparaît
supérieur au monde, parce qu’il a conscience de la dignité qui lui est
conférée, et c’est en vertu de cette dignité, qu’il offre le sacrifice sur la
montagne à la place de son beau-père (31:54).
Tous ces traits forment un contraste heureux, bien qu’imparfait,
avec ceux de l’Araméen. Laban s’attribue le beau rôle lors de la fuite de
Jacob ; il ne tient qu’à mettre les apparences de son côté, car sa
conscience ne lui parle aucunement. Peu lui importe le fond, il n’a pas affaire
à Dieu : « Qu’astu fait de m’avoir trompé, et d’avoir emmené mes filles comme
des captives de guerre. Pourquoi t’estu enfui en cachette, et t’es-tu dérobé
d’avec moi, et ne m’as-tu pas averti ? Et je t’eusse renvoyé avec joie, et
avec des chants, avec le tambourin et avec la harpe » (v. 26, 27). Avec
joie ! chose aussi fausse que facile à dire ! Le pauvre Jacob n’avait
jamais connu, dans les jours de sa discipline, les chants et les tambourins de
la maison de son beau-père ! « Tu ne m’as pas laissé baiser mes fils et mes
filles » (v. 28). Laban se donnant l’apparence d’un bon père de famille !
Certes ce n’était pas ce que ses filles disaient et pensaient de lui :
« Avons-nous encore une portion et un héritage dans la maison de notre
père ? N’avons-nous pas été réputées par lui des étrangères ? car il
nous a vendues, et a même toujours mangé notre argent » (v. 14, 15). Laban dit
encore : « J’ai en ma main le pouvoir de vous faire du mal » (v. 29). Il s’en
vantait, lui que Dieu empêchait avec menaces de le faire ! « Et maintenant
que tu t’en es allé, parce que
tu
languissais tant après la maison de ton père… » (v. 30). Parce que
! Quelle ruse ! Non, Jacob s’en allait, parce
que la mesure était comble, mais ce mot déchargeait Laban d’avoir poussé Jacob
à bout. Ah ! combien il est réellement dans la chair, cet homme qui
invoquait le Dieu de Taré, d’Abraham et de Nakhor ! (v. 53). Que Dieu nous
garde d’imiter ses voies !
Conduit par le Tout-Puissant qui lui avait dit : « Je suis avec toi », Jacob, après avoir échappé à tous les dangers, arrive à la frontière de Canaan. Les anges de Dieu, en deux bandes, viennent à sa rencontre (*). Jacob les connaissait ; il les avait vus à Béthel, empressés à le servir, quand il n’avait pour toute fortune que son bâton. Le Seigneur, fidèle à sa promesse, met ses anges à la disposition des deux bandes de Jacob. Ce dernier reconnaît les voies de Dieu envers lui, en appelant ce lieu du nom des anges qui l’ont servi (v. 2). Puis il prend une position d’humble dépendance vis-à-vis de Dieu (v. 9), et exprime son propre néant, en même temps que la grandeur de la grâce divine : « Je suis trop petit pour toutes les grâces et pour toute la vérité dont tu as usé envers ton serviteur » (v. 10). Cependant il n’a pas encore fait personnellement la connaissance de Dieu et, tout en lui témoignant sa confiance, il n’a pas encore perdu confiance en ses propres forces. Il fait un plan habile pour échapper au courroux d’Ésaü et prend toutes ses mesures, dans les moindres détails, pour se faire agréer de lui sans rien laisser au hasard. Mais est-il rassuré ? Non ! la nuit même ne lui apporte pas de repos : « Il se leva cette nuit-là, et prit ses deux femmes, et ses deux servantes, et ses onze enfants, et passa le gué de Jabbok. Il les prit, et leur fit passer le torrent ; et il fit passer ce qui était à lui » (v. 22, 23). Jusqu’ici l’obligation de penser à tout, apaise et soulage ses préoccupations.
(*) Mahanaïm signifie « deux bandes ». Comparez le verset 2 avec le verset 7
Enfin, ayant tout ordonné, il reste seul…
C’est là que Dieu le rencontre pour lutter avec lui ; c’est
là que celui-ci apprend à le connaître en réalité. Cette scène mémorable a deux
actes. Dans le premier, Dieu lutte avec Jacob, car il faut qu’il apprenne que
la force de l’homme et la volonté de la chair sont inimitié contre Dieu.
L’Éternel lui-même ne peut dompter, changer, assujettir cette nature
mauvaise ; il faut qu’il la juge et la brise. Ce n’est pas que la lutte
coûte aucun effort à Dieu : « Lorsqu’il vit qu’il ne prévalait pas sur lui », il
lui suffit de toucher
l’emboîture de
la hanche de Jacob, le siège de sa force dans la lutte, pour le réduire à
l’impuissance.
Alors seulement commence le second acte de cette scène : dans le
brisement du « moi », la foi se développe chez Jacob, et vient remplacer
l’énergie de sa nature. C’est lui maintenant qui lutte avec Dieu : « Je ne te
laisserai point aller sans que tu m’aies béni ». Il ne peut acquérir la
bénédiction de Dieu par des ruses humaines, comme il l’avait fait pour la
bénédiction d’Isaac, car celle-là n’appartient qu’à la foi,
produite dans un homme qui est démontré sans force quant à
lui-même, mais qui puise sa force dans la dépendance
de Dieu.
Un passage d’Osée jette une vive lumière sur cette scène. « Par sa force »,
y est-il dit, Jacob
lutta avec Dieu. C’est le premier acte de la lutte, mais voici le second :
« Oui », ajoute le prophète, « il lutta avec l’Ange et prévalut : il pleura et le supplia »
(Osée 12:4, 5). Cette foi qu’il
donne, Dieu la reconnaît comme une victoire sur
Lui et sur les hommes.
Jusque-là, Jacob, malgré son habileté, avait
toujours été vaincu par les hommes. Ésaü l’épouvante, et Laban l’asservit. Il
venait d’être vaincu par l’ange qui l’avait touché… Et maintenant Jacob était
enfin vainqueur !
L’ange lui dit : « Quel est ton nom ? » Il est appelé à le
prononcer lui-même, ce nom de Jacob.
Son
nom, c’est lui, le suborneur ! son
nom,
c’est toute son histoire. Désormais il aura un autre nom : Israël, vainqueur de Dieu !
Son premier nom exprimait ce qu’il
était en lui-même et vis-à-vis des hommes. Son nouveau nom exprime sa relation
vis-à-vis de Dieu. La force du supplanteur fait place à la puissance infinie de
la foi.
Mais Jacob, à son tour, voudrait connaître le nom mystérieux de
son adversaire. Dieu le lui refuse. Le moment n’est pas venu — il viendra plus
tard — pour un échange de nom entre Israël et Dieu, car, nous l’avons déjà dit
et nous le répétons, il ne peut y avoir de communion
sous la discipline qui juge et qui châtie.
Et Dieu « le bénit là ». À Béthel, au lieu de le bénir, Dieu lui avait seulement annoncé que toutes les familles de la terre seraient bénies en sa semence (28:14). Ce n’était qu’une partie de la bénédiction d’Abraham : Dieu avait dit à Abraham « Je te bénirai… » Maintenant Dieu bénit Jacob assurance précieuse ; mais il lui manquait encore cette communion dont Abraham jouissait et qui avait trouvé son expression parfaite lors de l’apparition de Melchisédec au patriarche.
Revenons au sujet si important et si peu compris de la
communion. En 1 Jean 1, deux choses concourent à prévenir le péché chez le
chrétien : d’une part, la communion ; de l’autre, le fait d’être dans la
lumière : « Mes enfants, je vous écris ces choses afin que vous ne péchiez pas »
(2:1). À Peniel, Jacob traversait la nuit solennelle du combat avec l’ange et
n’avait pas encore trouvé la communion. Qu’est-ce donc que la communion ?
C’est avoir une
part, une pensée, une
joie, une jouissance en commun avec Dieu, car il y a réciprocité
dans la communion. Elle ne peut avoir lieu dans sa plénitude
(*),
que lorsque Dieu s’est pleinement révélé, aussi la communion chrétienne estelle
bien supérieure à celle des fidèles de l’Ancien Testament. La vie tout entière
du chrétien découle du degré de sa communion et en porte l’empreinte ; la
marche, les sentiments, les pensées, le but, sont devenus communs. Si Dieu
marchait avec Abraham, Abraham marchait avec Dieu (Gen. 18:16). Il en était de
même d’Enoch (5:24) et de Noé (6:9). Il est dit des chrétiens : « Celui qui dit
demeurer en lui, doit lui-même aussi marcher
comme lui a marché ». C’est la communion dans la marche. Puis : « Marchez dans l’amour,
comme aussi le Christ nous
a aimés » (Éph. 5:2) ; la communion de sentiments. « Qu’il y ait donc en
vous cette pensée
qui a été aussi
dans le Christ Jésus… (Phil. 2:5) ; la communion de pensées. « Si vous
gardez mes commandements…
comme moi
j’ai gardé les commandements de mon Père » (Jean 15:10) ; la communion
d’obéissance. « Lui a laissé sa vie pour nous ; et nous, nous devons
laisser nos vies pour les frères » (1 Jean 3:16), la communion de dévouement ;
enfin, Phil. 3, la communion de ses souffrances.
(*) Mais elle a lieu chaque fois que Dieu se révèle. Quand le « Dieu Très-Haut », et plus tard le « Tout-Puissant » (Gen. 14:19 ; 17:1), se révèle à lui, Abraham trouve la communion avec lui. En 1 Jean 1, la communion chrétienne est le résultat de la pleine manifestation de la « vie éternelle » en Christ.
La communion implique encore des rapports de confiance réciproque. Dieu dit : « Cacherai-je à Abraham ce que je vais faire… car je le connais … » (Gen. 18:17, 19). Et Abraham, de son côté, ouvre son coeur à Dieu, sans doute dans la dépendance et la crainte qui conviennent à la créature vis-à-vis de son Créateur, mais il lui dit tout, selon la capacité et la mesure de son propre coeur.
On pourrait multiplier ces citations, mais de plus, pour connaître la communion dans sa perfection, il ne faut pas la considérer dans la manière plus que misérable dont nous la réalisons, mais dans les rapports du Seigneur lui-même, comme homme, avec son Père. C’est là que nous trouvons la communion absolue et sans nuage, et c’est en la contemplant que nous sommes appelés à reproduire l’image du Seigneur : « Je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté ». « Non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». « Moi et le Père, nous sommes un ». « Mon Père travaille jusqu’à maintenant, et moi je travaille ». « Quelque chose que le Père fasse, cela le Fils aussi de même le fait ». « Tout ce qui est à moi, est à toi ; et ce qui est à toi est à moi ». « Garde-les en ton nom… moi je les ai gardés en ton nom ».
Cette précieuse communion, Jacob, avons-nous dit, ne la connaissait pas encore. Il va la trouver à Béthel et nous le verrons la réaliser pleinement à la fin de sa vie, quand il bénira Éphraïm et Manassé, selon les pensées de Dieu.
Mais n’oublions pas que, de notre part, la communion, quand nous l’avons trouvée, est très facilement détruite. Une seule pensée, jetant une ombre passagère sur notre âme, suffit à l’interrompre. Nous ne la retrouvons que par le jugement de nous-mêmes et la confession de ce qui l’a interrompue. Combien de chrétiens, pareils à Jacob, avant sa seconde visite à Béthel, ne l’ont jamais connue ! Combien d’autres la laissent échapper, en lui préférant des choses vaines ! Soyons donc vigilants et vivons dans un jugement habituel de nous-mêmes. La première épître de Jean nous enseigne comment on la perd et comment on la retrouve.
« Jacob appela le nom du lieu Peniel » (face de Dieu), car,
dit-il, j’ai vu Dieu face à face. Ce qu’il disait était vrai, car il
connaissait désormais Dieu en personne, mais il ne l’avait vu que dans
l’obscurité, et il était bien loin de la plénitude de la révélation divine qui
lui serait faite plus tard. Ce qu’il avait vu, c’était un Dieu qui, tout en le
brisant, l’aimait, qui s’occupait de lui avec une tendre sollicitude, un Dieu
fidèle à ses promesses, un Dieu qui se laissait vaincre par la foi d’Israël,
mais pas encore le Dieu qui se révèle.
Jacob
avait encore trouvé deux choses à Peniel : « Mon âme a été délivrée ». Il
était affranchi de sa vieille nature avec ses plans et ses ruses ; il en
avait fini désormais avec ses voies anciennes, dont on ne retrouve qu’une trace
au chapitre suivant, mais « il boitait sur sa cuisse ». Dorénavant, il ira
« doucement tous les jours de sa vie dans l’amertume de son âme », rappelé par
son infirmité au sentiment de son impuissance et du jugement de Dieu sur sa
chair ; capable néanmoins de marcher à la lumière de ce soleil dont l’aube
« se levait sur lui comme il passait Peniel ».
Tout en constatant le fait qu’il ne s’agit pas encore de communion pour Jacob, nous avons vu qu’ayant appris à se connaître et à se juger, il sort délivré du combat. C’est dans ce caractère qu’il rencontre Ésaü.
Il reconnaît maintenant la suprématie de son frère selon la chair
en se prosternant en terre, par sept fois, car il a compris qu’être proclamé
premier par l’Éternel, ne donne pas le droit de se faire reconnaître premier
parmi les hommes. Lui, le premier de
fait,
se montre humble vis-à-vis du monde. Ses craintes se sont
évanouies ; ce qu’il rencontre l’humilie profondément. Lui qui avait peur
d’Ésaü, trouve que Dieu incline en sa faveur le coeur de son frère dont
l’hostilité subjuguée servira les desseins de sa grâce envers son serviteur. Le
coeur d’Ésaü est fondu à son égard (v. 4) ; ainsi les craintes et les
angoisses de Jacob (32:7) étaient vaines et ne trahissaient que son manque de
foi. Ésaü, après s’être enquis avec intérêt de sa famille (v. 5), ajoute : « Que
veux-tu avec tout ce camp que j’ai rencontré ? » Il n’avait pas même
compris le but de cette prudente organisation. Jacob répond maintenant en
vérité : « C’est pour trouver grâce aux yeux de mon seigneur » (v. 8). Ésaü
refuse le cadeau de son frère. Ce n’est pas au moyen de ses présents que Jacob
a trouvé grâce auprès de lui, mais parce que Dieu a daigné répondre à la prière
de son serviteur (32:11). Celui-ci ne peut plus dire : « Je l’apaiserai » par mon
présent (32:20), mais il offre son don comme une preuve
qu’il a trouvé grâce aux yeux d’Ésaü (v. 10). Il a vu maintenant
la face de son frère, comme s’il avait vu « la face de Dieu » (v. 10). C’était la
vérité et non pas une vile flatterie, comme quelques-uns le pensent. La face de
Dieu qu’il avait vue à Peniel, il la voyait maintenant dans la face d’Ésaü. Il
y reconnaissait la grâce et la faveur qui lui avaient été préparées par Dieu
même : « Dieu a usé de grâce envers moi ». Il connaît la grâce, il l’embrasse
maintenant tout entière ! Jusqu’à Peniel, il avait trouvé la grâce dans le
châtiment ; à Peniel, il rencontre la grâce dans le jugement ; après
Peniel, la grâce dans la délivrance.
Hélas ! cette assurance est vite ébranlée, quand Ésaü propose au craintif Jacob de l’accompagner. Le présent le rassurait, l’avenir l’effraie. Certes Jacob ne devait pas se rendre à Séhir, et il le savait bien ; Séhir n’était pas son domaine. Habiter avec le profane en dehors de Canaan, cela ne pouvait être. Il devait aller où l’Éternel voulait l’avoir : « Je te ramènerai dans cette terre-ci » (28:15). Quel beau témoignage il aurait pu rendre ici devant Ésaü ! Ces malheureuses paroles : « Jusqu’à ce que j’arrive auprès de mon seigneur, à Séhir » (v. 14), sont un mensonge et gâtent tout. Ésaü voulait le protéger ; Jacob pouvait invoquer la protection de l’Éternel et son caractère d’étranger, pour refuser cette offre ; mais il craint, il a peur ; il préfère mentir pour éviter la difficulté que son manque de foi lui fait redouter. Combien nous devons veiller à ce que notre témoignage vis-à-vis du monde soit compréhensible et clair, sans ambiguïté et sans arrière-pensée !
Mais Dieu punira Jacob affranchi, mille fois plus sévèrement qu’autrefois, pour une seule ruse, pour un seul mensonge.
Au lieu de suivre Ésaü à Séhir, Jacob se rend à Succoth.
Peut-être l’exemple de son frère n’estil pas étranger à ce qu’il y fait, car,
après avoir traversé le Jourdain, il laisse là sa tente et paraît vouloir s’établir
dans cette région de Canaan :
Il bâtit « une maison pour lui, et fit des cabanes pour son bétail ». À l’opposé
d’Abraham, il abandonne la jouissance par la foi du pays de la promesse, pour
une prise de possession matérielle ; il perd ainsi son caractère de
voyageur, lui qui désirait, mais sans
témoignage,
le maintenir en se séparant d’Ésaü.
Cependant il quitte bientôt Succoth pour Sichem, au-delà du
Jourdain. Éprouvait-il quelque malaise de sa nouvelle position ? Il le
semblerait, car il reprend sa tente
(v. 19), et campe en face de la ville. Mais ce n’était pas là le lieu d’un
campement. L’absence de témoignage devant Ésaü est un grand mal ; mais on
trouve aussi chez le croyant un témoignage malencontreux et déplacé qui dépend
d’un manque de communion. C’est ce qui arrive ici à Jacob, mais il n’en a pas
pour longtemps. L’abandon du chemin du témoignage avait produit l’erreur de
Succoth, et l’Éternel ne l’ayant pas repris pour la faute commise à Succoth, il
va retomber dans une erreur analogue. Nous le voyons acheter « la portion du
champ où il avait dressé sa tente ». Ici encore, il est loin des voies
d’Abraham. Ce dernier avait acheté un champ à Hébron pour y avoir un sépulcre ;
Jacob achète un champ à
Sichem pour y avoir une possession.
C’est
en étranger qu’il vit dans le pays, sous l’abri d’une tente ; et il achète
le terrain sur lequel sa tente est dressée. Triste contradiction entre sa
profession et sa conduite ! Hélas ! combien souvent, même chose nous
arrive !
Cependant il dresse là un autel (v. 20). L’autel s’allie
toujours à la tente, le culte à notre profession de voyageur. Mais notre culte
se ressent aussi toujours de l’état de notre âme, du degré de réalité de notre
vie spirituelle. Jacob appelle l’autel : El-Elohé-Israël : « Dieu, le Dieu
d’Israël », c’est-à-dire de Jacob,
car
Dieu lui avait donné ce nom. Un culte qui n’est que personnel est en somme un
culte d’un niveau peu élevé. Lorsque nous nous présentons devant Dieu comme
adorateurs, pouvons-nous ne lui rendre grâces que pour les délivrances que nous
avons personnellement reçues de lui ? Après l’expérience de Sichem, Jacob
trouvera le vrai culte à Béthel ; il y adorera le Dieu de Béthel : « le Dieu
de la maison de Dieu ! »
À Sichem, Jacob est daris le pays de la promesse, et c’est bien
là que Dieu le veut. Mais ce n’est pas assez que d’occuper extérieurement la
place préparée de Dieu. Il eût fallu que l’état moral de Jacob correspondît à
cette bénédiction. Malheureusement ce n’était pas le cas, malgré l’expérience
décisive faite à Peniel. Il y avait appris que sa force n’était en somme qu’une
lutte contre l’Éternel, et devait être réduite à néant, comme provenant d’une
volonté ennemie de Dieu ; remplacée par la force de la foi, qui avait fait
de lui un Israël,
un « vainqueur de
Dieu ».
Mais la leçon ne lui avait profité qu’en partie. Son caractère
trompeur avait reparu une dernière fois par défaut de confiance en Dieu.
N’oublions pas que toute la vie de Christ homme, s’est résumée en un seul mot :
la confiance. « Moi,
je me confierai
en lui » (Héb. 2:13). De cette confiance naît la dépendance :
« Garde-moi, ô Dieu ! car je me confie en toi ».
La dépendance elle-même se traduit par la
prière :
« Je t’invoque : sauve-moi ! » (Ps. 119:146). Telle était la vie
de Jésus ; telle aussi, quoique bien éloignée du divin modèle, la vie des
hommes de foi, David, Samuel, Élie, Ezéchias.
Cette vérité semblait lettre morte pour Jacob. Les haltes de Succoth et de Sichem en sont la preuve. Avait-il consulté l’Éternel pour s’établir en ces endroits ? Vous direz : Dieu ne lui avait pas parlé. Sans doute, mais Dieu lui parla après Sichem, quand il lui dit : « Lève-toi, monte à Béthel », et plus tard : « Ne crains pas de descendre en Égypte », ce qui rend son silence d’autant plus significatif lors des haltes précédentes. Si Dieu ne parlait pas, Jacob n’avait qu’à attendre, comme fit un plus grand que lui à la mort de Lazare. Mais Jacob doit apprendre une leçon, et Dieu le laisse suivre son chemin. Il lui parle ensuite, quand il a récolté les fruits amers de la convoitise, lui, l’étranger qui avait cru trouver un domicile et une possession dans le monde.
La terrible conséquence de tout cela ne se fait pas attendre. « Dina… sortit pour voir les filles du pays » (v. 1), une simple « visite de politesse ». Ah ! combien souvent ces visites de politesse nous engagent, à notre insu, dans les chemins du monde ! Cette visite est la ruine de Dina qui devient la proie sans défense de l’ennemi, humiliée d’abord contre son gré, puis le coeur engagé (v. 3) dans ce qui faisait la honte d’une fille d’Israël. Pauvre Jacob ! quelle fin, après un début insignifiant en apparence, mais dans lequel Dieu n’avait pas de part ! Quelle misère un seul acte d’indépendance peut accumuler sur notre tête !
Mais Jacob est un homme de foi. Il s’humilie sous la puissante
main de Dieu ; il fait ce que doit faire un homme humilié, il se tait
. S’il parle, c’est plus tard,
au sein de la famille, et parce qu’il ne pourra faire autrement ; et ce
n’est pas de sa bouche que ses fils apprendront la catastrophe. Ces mots : « Jacob se tut »,
rachètent bien des
choses. On voit, tout à la fin de sa carrière, dans la prophétie du chap. 49,
qu’il était entièrement étranger au ressentiment de ses fils ; cependant
ici, nous ne le trouvons pas à la hauteur de ce jugement définitif, car, au v.
30, il juge les représailles de ses fils au point de vue du tort qui lui est
fait, et non pas de celui qui est fait à Dieu : « Vous
m’avez troublé,
en
me mettant en mauvaise odeur auprès des habitants du pays, les Cananéens et les
Phéréziens, et moi je n’ai qu’un petit nombre d’hommes ; et ils
s’assembleront contre moi, et me frapperont, et je serai détruit, moi et ma
maison ». Jacob n’est pas seul à juger de la sorte. Quand le mal s’est introduit
parmi nous, dans l’assemblée, le : « Vous
m’avez troublé
» est souvent notre première et unique pensée. Nous blâmons
le mal, parce qu’il nous atteint et c’est dans cet esprit que nous en mesurons
la gravité. Un jugement si misérable ne saurait avoir lieu dans la communion du
Seigneur. Dans sa communion, nous jugeons le mal comme fait par nous
: « Nous avons péché, nous avons
commis l’iniquité » (Dan. 9:5), et de plus, comme fait contre lui
: « Contre toi, contre toi seul, j’ai péché » (Ps. 51:4).
Sichem, le monde entièrement ignorant des pensées de Dieu, est
moins coupable dans ces événements que les fils de Jacob. Avec les meilleures intentions,
Sichem et son père proposent à la famille de Jacob une alliance
et des possessions
avec
eux (v. 9, 10). Cela ne pouvait être, car, par l’une, Israël aurait renié sa
profession de séparation pour Dieu, par les autres, son caractère d’étranger et
de voyageur. Le témoignage rendu par Jacob à Sichem pouvait, en une certaine
mesure, autoriser de telles propositions. Mais Hamor agit dans l’ignorance des
pensées de l’Éternel ; il ignore la dignité de la famille de Dieu et croit
faire un sacrifice en offrant à cette dernière un partage et un échange.
« Haussez beaucoup pour moi la dot et le présent », ajoute-t-il (v. 12). Tout
cela fait preuve d’une singulière noblesse de procédés ; comme aussi le
discours aux hommes de leur ville, d’une singulière confiance : « Ces hommes sont
paisibles à notre égard… ces hommes s’accorderont avec nous… » (v. 21-24).
Ils respectent la famille de Dieu, et ne supposant pas la ruse chez les fils de
Jacob, ils ont foi en leur parole : Soyez circoncis… « et nous serons un seul
peuple » (v. 13-17). Ils vont être cruellement détrompés. Le coeur saigne en
pensant que les fils d’Israël déshonoreront à tel point le nom du Dieu auquel
ils professent appartenir. Quel témoignage que le leur ! Dans un temps où
« l’iniquité des Amoréens n’était pas venue à son comble », où la grande patience
de Dieu se montrait encore envers ce peuple, Siméon et Lévi prennent l’épée de
la vengeance et tuent des hommes qu’ils ont privés du moyen de se
défendre ! Action abominable, infamie bien pire que « l’infamie » de Sichem,
car les fils de Jacob méprisent et foulent aux pieds le nom du Dieu de Jacob,
le caractère de Celui dont la gloire est d’être un Dieu de grâce, aussi
longtemps qu’il n’est pas obligé
de
revêtir le caractère d’un juge.
« Maudite soit leur colère ! » dira Jacob plus tard. Les
misérables ! comme ils jugent sévèrement la corruption d’autrui
: « Traitera-t-on notre soeur comme une
prostituée ? » (v. 31) ; pour excuser leur propre violence
! Il n’en est jamais autrement de l’homme
pécheur ; il excuse ses propres vices, en condamnant les vices d’autrui.
Ah ! bientôt l’infamie qu’ils ont tant blâmée, contre laquelle ils étaient si fort indignés, va surgir au milieu d’eux, dans leur famille (35:22), mille fois plus infâme que celle de Sichem et qui n’existait « pas même parmi les nations » (1 Cor. 5:1). Alors, où sera leur zèle pour s’en purifier ?
Que ces choses parlent à notre conscience. Un jugement amer sur l’état du monde peut s’allier au désordre, au déshonneur fait à Christ, au milieu de la famille de Dieu !
Jacob, courbé sous cette grande discipline, doit assister en
silence à cette catastrophe. Une erreur, insignifiante en apparence, l’a
conduit à tant de ruines ! Combien de fautes de sa vie passée, Dieu avait
rétribuées moins sévèrement que celle-ci ? Pourquoi donc ? C’est que
« l’âme de Jacob avait été délivrée à Peniel » et que, pour un croyant affranchi,
un seul péché pèse plus dans la balance du sanctuaire que tous les péchés du
temps de sa servitude, car alors il ne pouvait
pas
les éviter maintenant il le peut
et
il le doit.
Jusqu’ici, nous avons noté plusieurs caractères de la discipline
de Dieu envers ses enfants.
Lorsque Jacob, après avoir trompé son frère et son père, est obligé de fuir,
comme proscrit, devant la colère d’Ésaü, la discipline du Seigneur s’abat sur
lui en châtiment,
car Dieu « fouette
tout fils qu’il agrée ». Oui, en le châtiant, Dieu l’agrée ; il lui montre
en songe à Béthel qu’il l’aime, et prend soin de lui, et ne l’abandonnera
pas ; mais le châtiment se prolonge pendant vingt années d’esclavage chez
Laban. Arrivé à Peniel, c’est Dieu lui-même qui lutte avec lui, pour lui faire
toucher du doigt l’inanité de ses efforts et l’impuissance de sa chair. Peniel
est donc aussi la discipline, non plus en châtiment d’un péché commis, mais en jugement de la chair.
Après Peniel,
Jacob entre en Canaan, bâtit une maison à Succoth, achète un champ à Sichem.
Lui qui, pendant vingt ans, avait porté le bâton du voyageur, et qui avait
toujours vécu sous la tente comme un étranger, semblait ne pouvoir être
entraîné à renier ce caractère. Il succombe par manque de vigilance,
car l’ennemi nous attaque toujours du côté que nous
estimons avoir le moins à garder. Une nouvelle discipline en est la suite,
discipline qui lui dévoile les conséquences désastreuses d’un moment de
relâchement. Honte, violence et trouble fondent sur le pauvre patriarche. C’est
la discipline de Dieu sur sa maison,
discipline
qui atteint la famille de Jacob, plus encore que lui-même, quand la sainteté
qui décore la maison de Dieu a fait défaut.
Maintenant un grand changement a lieu : « Dieu dit à Jacob :
Lève-toi, monte à Béthel, et habite là, et fais-y un autel au Dieu qui
t’apparut comme tu t’enfuyais de devant la face d’Ésaü, ton frère » (v. 1). Tout
à coup, Jacob est appelé à se présenter devant Dieu comme adorateur
. Il va rencontrer Dieu, non pas en jugement, mais en grâce,
tel qu’il s’était révélé à lui
lorsqu’il fuyait devant Ésaü (v. 7), le Dieu
qui lui avait répondu au jour de sa détresse, et qui avait été avec lui dans le
chemin où il avait marché (v. 3). C’était donc bien au Dieu de la grâce qu’il
devait bâtir un autel à Béthel.
L’effet de cette révélation sur l’âme de Jacob, est immédiat. Il
dit à « sa maison et à tous ceux qui étaient avec lui : Otez les dieux étrangers
qui sont au milieu
de vous, et purifiez-vous,
et changez vos vêtements
» (v. 2). Il avait
connaissance des faux dieux de son entourage, puisqu’il ordonne de les ôter,
mais n’y avait pas pris garde jusqu’ici. Maintenant, son caractère et celui de
sa famille doivent répondre à la sainteté du Dieu de grâce qui l’appelait, car
il faut se purifier pour venir à Dieu comme adorateur. Cette purification
devait être complète : purification d’associations,
purification personnelle
ou de
coeur, purification de marche.
Rien
de semblable à Sichem, où Jacob avait dressé un autel, témoin de son culte pour
les soins individuels que Dieu lui avait prodigués. L’association avec le monde
et ses principes ne permet pas à notre culte de dépasser ce niveau. Jacob,
dressant ici son autel, appelle ce lieu : « El-Béthel », le Dieu de la maison de Dieu
. Nous chrétiens, nous adorons Dieu le Père,
selon sa révélation en Christ,
là où il habite, dans la maison du
Père ;
nous l’adorons, comme Jacob à Béthel, non seulement pour ce
qu’il est envers nous, mais pour ce qu’il
est en lui-même.
Dieu apparaît alors à Jacob et lui révèle Son nom. Événement
capital dans l’histoire du patriarche ! « À Béthel, il le trouva ».
nous dit Osée (12:5), « et là, il parla avec NOUS ».
Le futur peuple d’Israël, le
peuple tout entier, est compris dans ce culte de Béthel. À Peniel, aucune
révélation de Dieu : « Pourquoi demandes-tu mon nom ? » (32:29). Ici, le Tout-Puissant,
le Dieu des patriarches,
se fait connaître à Jacob (v. 11). C’était une bénédiction nouvelle pour lui.
En rapport avec ce nom il reçoit, comme tout de nouveau, son nom d’Israël (v.
10), et donne de la même manière à cet endroit son nom de Béthel (v. 15 ;
conf. 28:16-19). Ce lieu n’était plus pour lui un lieu de crainte, ni de
terreur. C’était pourtant le même lieu ; le même Dieu de grâce lui avait
parlé autrefois. Sans doute, mais Jacob était un autre homme, capable d’entrer
en rapport avec Dieu. Il n’est pas plus sauvé aujourd’hui qu’alors, mais il a
enfin trouvé, dans ce lieu à tout jamais mémorable pour lui, la communion
qui lui manquait jusqu’ici.
Scène bénie ! Jacob connaît le Dieu qui s’est révélé à lui et il adore,
non plus comme le Jacob d’autrefois, mais comme le nouvel Israël ; il
adore Dieu dans sa propre maison. Dieu jouit de son oeuvre en Jacob, et Israël,
duquel une multitude de nations proviendra et des reins duquel sortiront des
rois, Israël, auquel Dieu dit : « Fructifie et multiplie », se réjouit dans le
Dieu des promesses et célèbre le mémorial de cette communion (v. 14), à
laquelle aboutissent enfin toutes les voies de Dieu envers lui.
Avez-vous compris, chers lecteurs chrétiens, que Dieu a pour
but, en se révélant à vous en Christ
,
de vous introduire dans sa communion ? « Ce qui était dès le commencement,
ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons
contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de la vie… nous
vous l’annonçons, afin que
vous aussi
vous ayez communion
avec nous : or notre communion est avec le Père et avec son
Fils Jésus Christ !
» Cultivons cette communion bénie ; ne
permettons pas que les misérables soucis du monde, ou le péché qui nous
enveloppe si aisément, nous l’enlèvent. Ce trésor est plus grand que tous les
autres. Avoir communion avec le Père et avec le Fils, c’est réaliser en
faiblesse ici-bas, ce qui sera la joie éternelle de nos âmes dans la maison du
Père !
L’âme de Jacob est maintenant en règle avec Dieu. Il semble que des jours sereins, exempts des traverses et des troubles du passé, vont se lever pour lui ; mais non : de nouvelles douleurs l’atteignent et l’accablent ; une discipline inattendue vient peser sur lui. De tous côtés la mort frappe à sa porte, le couvre de son voile de deuil, brise ses plus chères affections.
Au milieu des joies de Béthel, au moment même où la fidélité du patriarche s’exerce dans l’abandon des idoles, Debora, nourrice de Rebecca, meurt. Le dernier souvenir vivant de sa mère, qu’il n’avait pas revue, disparaît à son tour. Jacob trouve Allon-Bacuth, le chêne des pleurs, sur le chemin même de Béthel. Cette mort de Debora rappelle nécessairement au patriarche l’amertume de la discipline méritée, et lui fait repasser sa vie tout entière.
Après Béthel, « sur le chemin d’Éphrath, qui est Bethléhem », c’est Rachel qui meurt, Rachel la bien-aimée. Avec elle prennent fin toutes les joies de la vie du patriarche. « Et moi », dira-t-il plus tard, ému encore de cette douleur, « et moi… comme je venais de Paddan, Rachel mourut auprès de moi, dans le pays de Canaan, en chemin, comme il y avait encore quelque espace de pays pour arriver à Éphrath ; et je l’enterrai là, sur le chemin d’Éphrath, qui est Bethléhem » (48:7). Elle meurt en donnant le jour à Ben-oni, le fils de sa peine, que son père nomme Benjamin, le fils de sa droite. Il vient au monde à Bethléhem, comme y naîtra plus tard un plus grand que lui, le Fils de la droite de Dieu, le Christ qui viendra en puissance au milieu d’Israël. En apparence, Jacob a tout perdu ; sa vie est brisée, mais elle est brisée comme l’avait été le sein de Rachel, pour qu’avec le resplendissement de sa gloire future, en sorte le fils de la droite de son père !
Plus loin, hélas ! Jacob ressent amèrement la corruption de son fils Ruben, le « commencement » de sa vigueur, sorti de ses entrailles. « Et Israël l’apprit », nous dit la Parole sans autre commentaire (v. 21, 22). L’homme de foi ne murmure pas, mais le chap. 49:3, 4, nous montre comment il a jugé cette offense.
Aux v. 28:29, Jacob retrouve son père à Hébron, le lieu de la mort,
et ses relations avec
Ésaü, son frère selon la chair, se terminent au sépulcre d’Isaac.
Cette discipline nouvelle brise le coeur de Jacob, mais Dieu le
veut ainsi dans sa sollicitude pour son serviteur. Il faut que ce dernier
apprenne à connaître le monde sous son vrai jour, comme une scène dominée par
les ténèbres de la mort et souillée par l’affreuse corruption du péché ;
mais cette discipline n’a nullement le caractère des précédentes. Elle est préventive,
et a pour but de former
Jacob pour le témoignage que Dieu
lui confiera dans la suite. Il fallut aussi cette discipline au grand apôtre
des gentils qui suivait de si près les traces de son Maître. Quand un ange de
Satan enfonçait l’écharde dans sa chair en le souffletant, Dieu prévenait
l’orgueil qui pouvait naître
de « l’extraordinaire des révélations » ; quand il mourait chaque jour,
c’était afin que, la mort opérant en lui, la vie pût opérer dans les autres.
Cette discipline, Jacob ne se l’était pas attirée, mais la grâce façonnait ainsi l’instrument dont elle voulait se servir. En revanche, Dieu lui avait donné trois choses pour l’aider à supporter l’épreuve sans défaillance : la communion avec le Tout-Puissant, la position d’adorateur dans la maison de Dieu, et la connaissance (en figure) d’un Christ glorieux dans la personne de Benjamin. Les souffrances du temps présent sont-elles dignes d’être comparées avec de telles bénédictions ?
Au chap. 37:1-15, Jacob, continuant la tradition de la foi
d’Isaac et d’Abraham, habite comme étranger en Canaan. La leçon de Sichem avait
porté ses fruits. Ésaü n’imita pas cette conduite, car la chair ne pourrait
être satisfaite d’une position qui sépare du monde. La Parole nous apprend
(36:6) qu’il « s’en alla dans un pays (la montagne de Séhir), loin de Jacob, son frère ».
Maintenant, toute l’activité volontaire du Jacob d’autrefois,
avec ses plans et ses ruses, a cessé d’exister ; elle a fait place à
l’activité de la foi et à des affections selon Dieu. Le patriarche trouve dans
la personne de Joseph
un objet digne
de tout son amour. Son plus jeune fils, Benjamin, n’était pas encore manifesté
comme le fils de sa droite, et
la puissance future qu’il devait exercer n’était connue de son père qu’en espérance
; sans doute, elle était
présente à ses yeux et à son coeur, mais Benjamin était réservé pour des
événements à venir. Il en est de même du Seigneur, dont Benjamin est le
type ; sa gloire en Israël lui est réservée pour un temps futur (Deut.
33:12). Joseph, admirable figure de Christ, a un tout autre caractère qui
attire puissamment le coeur de son père. Il est l’homme juste, l’homme saint,
possédant le secret des pensées de Dieu, et c’est pourquoi ses frères, le
haïssent, le vendent pour quelques pièces d’argent, le font souffrir, lui qui
deviendra plus tard la lumière et le gouverneur des nations.
« Israël aimait
Joseph ».
Ce n’était pas l’amour égoïste d’Isaac pour Ésaü ; Jacob apprécie en son
fils la beauté du caractère et le distingue d’entre tous ses frères, en lui
faisant « une tunique bigarrée », vêtement de royauté et de virginité, de
sainteté personnelle (conf. 2
Sam.
13:18).
Depuis Béthel, la foi
du
patriarche est en pleine activité ; elle lui donne le discernement des
choses qui ne se voient pas encore ; elle devance les temps ! Avant
que Benjamin devienne ce qu’il sera, son père l’appelle le fils de sa
droite ; avant que Joseph soit manifesté dans sa puissance, il le revêt
d’un des insignes de la royauté. Ensuite, quelque étonnant et peu compréhensible
que lui paraisse le songe de Joseph (v. 5-
11),
puisqu’il ôtait l’autorité à Israël (conf. 27:29) pour la donner à son fils, le
patriarche garde « cette parole »
prophétique
quant à la gloire future de celui qu’il aime. Il fait ce que Marie fera plus
tard pour Jésus : « Marie gardait toutes ces choses par devers elle, les
repassant dans son coeur » (Luc 2:19, 51).
Mais l’amour et la foi ne remplissent pas seuls le coeur de
Jacob. Entre lui et son fils, on trouve une communion
parfaite (v. 12-15). Tous deux ont le même but. Jacob envoie Joseph de la
vallée de Hébron, lieu de la mort, à Sichem, lieu de la corruption et de la
violence de l’homme, pour y chercher ses frères ; Joseph répond : « Me
voici » -C’est le pendant de l’histoire d’Abraham et d’Isaac, en voyage vers
Morija, quand « ils allaient les deux ensemble » ; c’est encore le pendant
de l’histoire du Fils bien-aimé, quand il dit : « Me voici, pour faire, ô Dieu,
ta volonté ! »
Nous connaissons ce qui suivit cette obéissance de Joseph. Il fut livré par ses frères, perdu dès lors pour sa terre natale. Jacob ignore les circonstances de cette perte ; mais, pour lui, sans Joseph, il n’y a plus que deuil et pleurs dans ce monde, jusqu’à la mort. « Certainement je descendrai, menant deuil, vers mon fils, au shéol. Et son père le pleura » (v. 35).
Et nous qui savons
la
manière dont Jésus a été traité par les hommes qu’il était venu sauver, ne
devrions-nous pas, à bien plus forte raison, prendre vis-à-vis du monde
l’attitude de Jacob ? Ce monde privé de Christ, ne devrait-il pas être à
nos yeux le lieu de la mort,
du deuil
et des pleurs ?
Mais le monde est encore autre chose pour Jacob : il est le lieu
de la famine.
Joseph absent, depuis
le crime de ses frères, la famine règne en Canaan, tandis que l’Égypte est dans
l’abondance, sous le gouvernement du fils rejeté. Dans l’intervalle, Jacob,
n’ayant plus Joseph sous ses yeux, s’attache à Benjamin, le fils de sa droite,
le porteur d’une faveur et d’une puissance encore futures (Dent. 33:12 ;
Ps. 80:2). Et voici (v. 35-38), qu’il doit aussi se séparer de lui ! Comme
jadis Abraham pour Isaac, Jacob se voit privé, l’un après l’autre, des deux
seuls fils auxquels étaient liées ses espérances terrestres, l’un qu’il avait
vu dans sa marche admirable sur la terre, au milieu de ses frères, l’autre, sur
lequel il fondait l’espoir de la bénédiction d’Israël. Il se voit dépouillé de
tout ce qui constituait sa joie et ses plus légitimes espérances. Par sa
faveur, Dieu avait donné la stabilité et la force à sa montagne, et le voici
réduit à dire : « Tu as caché ta face, j’ai été épouvanté ! » (Ps. 30:7). Un
combat terrible se livre dans l’âme du patriarche pour arriver à accepter sans
réserve la volonté de Dieu. Il commence par dire à ses fils : « Vous m’avez privé
d’enfants : Joseph n’est plus, et Siméon n’est plus, et vous voulez prendre
Benjamin ! Toutes ces choses sont
contre moi
». Il se révolte : « Mon fils ne descendra pas avec vous » (v.
36-38), et : « Pourquoi
m’avez-vous
fait le tort de déclarer à l’homme que vous aviez encore un frère ? »
(43:6). Dans son angoisse, il regarde aux instruments humains de son épreuve et
s’écrie : « Pourquoi ? »
Certes, ce n’est pas la parfaite soumission de Christ. Lui,
n’avait pas besoin de discipline pour y être amené ! Qu’il est beau,
toutefois, de voir cet homme dans l’épreuve se courber à la fin
sous cette discipline du Tout-Puissant qui s’était révélé
à lui en Béthel ! Abdiquant maintenant toute volonté propre, brisé, mais
confiant, il dit à ses fils : « Prenez votre frère, et levez-vous, retournez vers
l’homme ; et le Dieu Tout-Puissant
vous
fasse trouver compassion devant l’homme, afin qu’il renvoie votre
autre frère (Siméon), et Benjamin ! » Il
ne compte plus que sur la grâce de Dieu.
Le sacrifice est consommé ;
la foi d’Israël remporte la victoire sur toutes les angoisses de Jacob. Quant à
lui-même, il ajoute : « Et moi
, si je
suis privé d’enfants, j’en serai privé » (v. 13, 14). La tentation salutaire
l’amène à compter Dieu pour tout,
à
se compter lui-même pour rien.
Cette nouvelle bénédiction que Jacob trouve enfin sous la
discipline de Canaan, c’est une volonté
soumise
, acceptant la volonté de Dieu, parce qu’elle ne voit plus que Sa
main dans toutes les épreuves. Tout semble lui être enlevé pour la terre, mais
le Tout-Puissant lui reste, recours assuré de son âme, et cela lui suffit.
Les derniers vestiges du vieux Jacob ont été
anéantis par la discipline, pour donner toute la place à Dieu seul !
Le sacrifice est consommé… tout change ! Jacob apprend que son Joseph est vivant !
Cependant, ici encore, l’infirmité
du croyant se montre. Devant la perte de Benjamin, son coeur se révoltait,
jetant ses « pourquoi » à des échos qui ne lui répondaient pas ; mis en
présence de la grâce, ce même coeur se montre trop faible pour la contenir :
« Son coeur resta froid, car il ne les crut pas ». Mais quand ils lui eurent
rapporté « toutes les paroles de Joseph, qu’il leur avait dites », quand il eut
vu « les chariots que Joseph avait envoyés pour le transporter », preuve certaine
que son fils bien-aimé voulait l’avoir auprès de lui, son esprit « se ranima ».
Il dit une seule parole, mais cette parole exprimait la pleine satisfaction de
tous ses désirs : « C’est assez !
»
Il n’a nul besoin d’autre chose ; sa coupe est comble et déborde. N’a-t-il
pas retrouvé Joseph, jadis rejeté, occupant maintenant un trône de gloire,
Joseph, que Dieu a établi « pour être une lumière des nations », pour être son
salut jusqu’au bout de la terre ? (És. 49:6).
Que lui faut-il encore pour rendre sa joie accomplie
? Une seule chose : voir Joseph de ses propres yeux.
Il ne dit plus comme autrefois : « Certainement je descendrai, menant deuil,
vers mon fils, au shéol » (37:35) ; Joseph est vivant, Jacob n’attend plus
la mort. « J’irai »,
dit-il, « et je le verrai avant que je meure ».
Aller
à lui, le voir vivant, être avec lui, avant de passer par la mort, quelles
délices pour l’âme d’Israël !
Chers lecteurs, que ces paroles du patriarche soient aussi les nôtres ! Les châtiments, la discipline, les brisements, les épreuves dont Dieu s’est servi pour nous apprendre à n’avoir aucune confiance en la chair, ont-ils pour résultat de nous faire trouver notre joie en un Christ ressuscité et assis sur le trône du Père ? Dans le débordement de cette joie, nos faibles coeurs, si étroits pour la contenir, expriment-ils, comme Jacob, leur satisfaction par le mot : « C’est assez » ? Sommes-nous remplis du désir d’aller au-devant de lui et de le voir de nos propres yeux ?
Et Israël partit, avec « tout ce qui était à lui ; et il
vint à Beër-Shéba, et offrit des sacrifices au Dieu de son père Isaac ». Jacob
descend jusqu’aux limites méridionales de Canaan, sans les franchir. Il arrive
au lieu où Isaac, remontant de Guérar, avait enfin trouvé la pleine
bénédiction. Là il adore… et il attend.
Il attend, quand le motif le plus légitime le poussait à
descendre en Égypte où Joseph lui-même l’avait invité. À cet appel, Jacob avait
répondu : « J’irai », comme jadis sa mère à l’appel d’Éliézer. Les raisons les
plus puissantes agissaient sur son coeur pour précipiter sa marche, mais une
chose lui manquait encore : une parole de
Dieu.
C’est à Dieu qu’il regarde, non à ses propres sentiments. Le coeur
tout occupé de lui, il lui offre des sacrifices, mais il attend.
Aussi le voyons-nous tout prêt, quand Dieu l’appelle dans les
visions de la nuit : « Jacob ! Jacob ! » « Me voici ». Simple et touchante
parole ! Son coeur est en éveil pour recevoir l’expression de la volonté
de Dieu, tout prêt à la faire, sans la discuter, uniquement parce qu’elle est sa
volonté. « Me voici ! » dit
Abraham, quand l’ange lui crie des cieux : « Abraham ! Abraham 1» « Me
voici ! » dit Joseph quand Jacob l’envoie à la recherche de ses frères. « Me
voici ! » dit un plus grand qu’eux tous, « pour faire, ô Dieu, ta volonté ».
Beër-Shéba est le témoin de la
dépendance
et de l’obéissance
de
Jacob. Malgré l’aimant qui l’attire, il n’a pas de volonté propre.
De fait, Dieu seul pouvait lui dire de descendre en Égypte, le
même Dieu qui disait à Isaac : « Ne descends pas
en Égypte » (26:2). Maintenant il dit à Jacob : « Ne crains pas de descendre
en Égypte ». Jacob, se défiant de lui-même, craignait de substituer ses pensées
à celles de Dieu. L’Éternel le rassure : « Moi, je descendrai avec toi en
Égypte ». Heureuse communion ! Là où Jacob marchera, Dieu marchera avec
lui ; ces deux courants se rencontrent et se fondent ensemble. Quel
contraste entre ce voyage et celui où Jacob fuyait la maison paternelle !
« Je suis avec toi », lui disait Dieu à Béthel, lorsque Jacob ne marchait pas
encore avec Dieu. Plus tard, il y avait trouvé la communion dans le culte ;
à Beër-Shéba, il la
réalise dans la marche.
Au moment où Jacob quitte Canaan pour toujours (il n’y
retournera qu’après sa mort, pour y attendre une « meilleure résurrection »),
récapitulons les progrès de son âme pendant ce séjour de 34 années. Soumis aux
plus rudes épreuves, voyant la mort faucher autour de lui ses bien-aimés,
affligé par la perte de Joseph, courbé par la famine, brisé par la séparation
d’avec Benjamin, le caractère du patriarche a été formé,
d’une manière merveilleuse, pour correspondre aux traits du
caractère divin ; et ces traits, quand ils se réalisent dans l’homme, sont
la soumission, la satisfaction, la dépendance, l’obéissance, la communion dans
la marche. Ne nous contentons pas d’en chercher l’expression dans un homme
faillible ; fixons les yeux sur Jésus, le seul homme qui les ait montrés
sans défaillance ; contemplons sa gloire à face découverte, car c’est le
moyen d’être « transformés en la même image, de
gloire en gloire,
comme par le Seigneur en Esprit ! » (2 Cor. 3:18).
La longue discipline a produit tous ses fruits. Jacob, formé par
elle, descend en Égypte à l’âge de cent trente ans ; il y vivra encore
dix-sept années, comme témoin
de son
Dieu. L’Égypte est l’image du monde, comme Canaan celle des lieux célestes.
Nous ne sommes pas toujours de fait
en
Canaan, mais nous y sommes toujours en
Christ.
Tout en restant dans le ciel, quant à notre position et à la
jouissance de nos âmes, nous sommes envoyés dans le monde pour rendre témoignage.
Tout serviteur de Dieu est
donc appelé, comme Jacob, à descendre de Canaan en Égypte. Le Seigneur Jésus
l’a fait lui-même, car il a dit : « Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi
aussi je les ai envoyés dans le monde » (Jean 17:18). L’oubli de cette vérité a
produit le monachisme, une des plaies de l’Église. Être dans
le monde ne constitue nullement un péché pour le
chrétien. Le Seigneur a dit : « Ceux-ci sont
dans
le monde », et : « Je ne fais pas la demande que tu les ôtes du monde »
(Jean 17:11, 15). Le péché consiste à méconnaître le fait que, moralement, nous
en sommes entièrement séparés : « Ils ne sont pas du
monde, comme moi je ne suis pas du monde » (Jean 17:14). C’est
renier tous nos privilèges, que de reprendre notre place dans un monde dont
nous ne sommes plus.
La descente en Égypte peut-elle être selon la volonté de
Dieu ? Tout dépend de l’autorité qui nous y conduit et des motifs qui nous
y poussent. La famine
y poussa
Abraham, encore peu affermi dans la marche de la foi. Il y trouva une sévère
discipline dont il tira, par la grâce de Dieu, un grand profit. La famine
y poussait Isaac, mais l’autorité
divine intervint pour l’en empêcher (Gen. 26:2). La famine
y aurait poussé Jacob, s’il n’eût pas été enseigné à l’école
de Dieu. Mieux instruit qu’Abraham, plus dépendant qu’Isaac, il n’y descendit
pas, lorsque les circonstances l’y conviaient. Sans doute, il était libre de
profiter des ressources matérielles du monde auquel il payait sa subsistance,
sans rien lui devoir, mais sa séparation restait entière.
L’annonce de la présence de Joseph en Égypte peut seule le décider à y descendre et, comme nous l’avons vu, il n’y descend effectivement que sur l’ordre de Dieu et pour s’y trouver avec Joseph. Comment, avec une telle autorité et un tel motif, ne serait-il pas dans le chemin de Dieu ? Joseph est son objet ; Joseph est en Égypte ; Jacob peut s’y trouver aussi. Notre Joseph à nous n’y est plus, sans doute ; il dit : « Je ne suis plus dans le monde » ; mais il y a marché et nous y envoie sur ses traces. Il y sanctionne notre présence, afin qu’en son absence, nous y soyons ses représentants et ses témoins et que nous y suivions ses traces, n’ayant que lui pour objet et pour modèle. Si donc nous traversons le monde, c’est comme Jacob, pour être avec Christ. Pendant les dix-sept années que Jacob passe en Égypte, sa vie demeure associée à celle de Joseph. Pas une scène de sa vie, dont Joseph soit absent ; c’est avec celui qu’il avait cru mort, mais qui lui a été rendu, pour ainsi dire en résurrection et en puissance, qu’il finit les années de son pèlerinage.
Jacob se fait précéder de Juda auprès de Joseph, mais ce
dernier, au lieu de répondre à son père par un messager, vient lui-même
à sa rencontre, se montre à
lui, se jette à son cou, et y pleure « longtemps » les larmes douces et sans
mélange du revoir.
À cette occasion, l’expression des sentiments de Jacob est
touchante : « Que je meure à présent, après que j’ai vu ton visage, puisque tu
vis encore ». Pour lui la vie dans ce monde n’a plus de valeur, pas même une
valeur momentanée. « Que je meure à présent
».
Cependant il ne meurt pas ; sa vie ne serait pas complète, si elle n’était
couronnée par son témoignage.
Maintenant Jacob est mis en contact avec le monde, dans la
personne de son représentant le plus auguste. Ce ne sont pas ses besoins qui
l’amènent devant le roi, car Joseph pourvoit à sa demeure, à tout son entretien
en Égypte (v. Il, 12) ; ce n’est pas non plus sa volonté : elle est
brisée ; non, c’est Joseph lui-même.
« Et Joseph fit entrer
Jacob, son
père, et le fit se tenir
devant le
Pharaon ». Avec un pareil introducteur, nous n’avons rien à craindre, ni de la
puissance, ni des séductions du monde.
Jacob, à son entrée, bénit le Pharaon ; il le bénit encore à sa sortie, quand ses yeux ont eu le temps de mesurer la grandeur de la puissance royale. C’est que le pauvre patriarche est supérieur en dignité au roi le plus glorieux du monde, car, « sans contredit, le moindre est béni par celui qui est plus excellent » (Héb. 7:7). Cet homme étranger, accablé de maux, comme plus tard l’apôtre le fut de liens, se tient devant les puissants de la terre, plus grand qu’eux, en réalité.
« Jacob bénit le Pharaon ». Aujourd’hui encore, le chrétien se présente devant le monde, avec la conscience de sa dignité d’enfant de Dieu, mais pour lui apporter la grâce et la bénédiction divine. Joseph met devant Jacob « une porte ouverte », et le patriarche en profite pour bénir le Pharaon. Forts de cette promesse : « J’ai mis devant toi une porte ouverte », entrons nous-mêmes hardiment devant le monde, en ce jour de grâce et de salut, pour lui en apporter les bienfaits. Moïse, un autre témoin de Dieu, entrera, longtemps après Jacob, devant un autre Pharaon, mais ne s’y tiendra plus que pour prononcer contre lui les terribles jugements de Dieu. Cette part sera aussi la nôtre : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde ? »
Devant le roi, Jacob a encore un autre caractère. Interrogé par
lui, il affirme son titre d’étranger :
« Les
jours des années de mon séjournement
sont
cent trente ans ». Il séjourne, comme ont aussi « séjourné ses pères ». Mais,
repassant sa vie à ce point de vue, il la juge. Sans doute, il n’est pas tenu
de faire, devant le monde, le récit de ses expériences, mais il importe que le
Pharaon ne pense pas que celui qui le bénit doit ce privilège à sa supériorité
naturelle, ou à sa bonté native. « Les jours des années de ma vie ont été courts
et mauvais ».
Jacob, âgé de 130 ans, disant au Pharaon que ses jours
ont été courts !
Ah ! c’est
que, repassant ses années, nombreuses selon l’homme, il n’en trouvait qu’un
petit nombre selon le coeur de Dieu ! Le temps de notre vie (vérité bien
propre à agir sur notre conscience) n’a de valeur que selon le nombre et la
durée de nos rapports avec Dieu et de notre témoignage pour Christ. Tout le reste ne compte pas.
Un
chrétien, sévèrement discipliné par le Seigneur, me disait sur son lit de mort : « Toute ma vie a été perdue pour Christ ». C’était dire : Mes jours ont été
courts. Ils ont été « mauvais », ajoute Jacob. Leur saveur a été amère et sans
joie, et ils n’ont pas eu la valeur des jours de mes pères.
Lequel d’entre nous n’est obligé de parler comme Jacob, ou de dire, comme David, en ses dernière paroles : Il n’en est pas ainsi de ma maison avec Dieu ? (2 Sam. 23:5).
Ces deux mots : « courts et mauvais », montrent le jugement que le patriarche porte sur lui-même, quand il se compare à ses pères. Puissions-nous, comme lui, passer condamnation sur notre vie. Cependant nous devons, nous aussi, avoir conscience de notre dignité. Les banqueroutiers, les repris de justice de la caverne d’Adullam, étaient les porteurs de la gloire de leur roi ; ils sont appelés « les hommes forts de David ». Nous aussi, malgré cette indignité, ou plutôt à cause d’elle, nous sommes revêtus de la dignité de Christ, de cette « meilleure robe », don du Père, que mentionne la parabole, de ces attributs du fils, sandales à nos pieds, anneau à notre main, et en cette qualité nous bénissons le monde, comme le pauvre Jacob bénissait l’illustre Pharaon.
Le témoignage de Jacob n’a pas que le roi d’Égypte pour objet. Sa propre famille doit voir et goûter les fruits que la discipline a produits, en développant l’homme nouveau.
Le premier de ces fruits est le plein épanouissement de la foi
de Jacob. Elle triomphe dans le
passage que nous venons de lire, passage auquel fait allusion le chap. 11, v.
21, de l’épître aux Hébreux : « Par la foi, Jacob mourant bénit chacun des fils
de Joseph, et adora, appuyé sur le bout de son bâton ».
Le premier témoignage de cette foi, non mentionné en Héb. 11,
parce qu’il est réservé pour caractériser Joseph (Héb. 11:22), est l’ordre que
Jacob donna quant à sa dépouille mortelle : « Et il appela Joseph, son fils, et
lui dit : Si j’ai trouvé grâce à tes yeux, mets, je te prie, ta main sous ma
cuisse, et use envers moi de bonté et de vérité : ne m’enterre pas,
je te prie, en
Égypte
; mais quand je serai couché avec mes pères, tu m’emporteras d’Égypte,
et tu
m’enterreras dans leur sépulcre » (v. 29, 30)
;
et encore : « Voici, je meurs ; dans le sépulcre que je me suis taillé
dans le pays de Canaan, là tu m’enterreras » (50:5). Il ne veut pas que ses os
demeurent en Égypte ; pas un atome de sa poussière, comme plus tard, pas
un ongle même des troupeaux d’Israël, ne doit y rester (Ex. 10:26). Dieu avait
promis aux pères, Abraham et Isaac, de leur donner la terre de Canaan, ainsi
qu’à leur postérité après eux ; et ils avaient reçu cette promesse par la
foi. Mais ils étaient « morts dans la foi », c’est-à-dire sans avoir obtenu « les
choses promises » ; ils n’en comptaient pas moins sur l’héritage que Dieu
leur avait donné. À son tour, Jacob, près de mourir, exprime la même foi. De fait,
c’était la foi en la
résurrection. Il voulait être trouvé en Canaan avec ses pères, fût-ce dans le
tombeau de Macpéla, quand l’heure sonnerait pour entrer en possession de
l’héritage. Notre foi est la même que la leur, avec cette différence, que nous
attendons la résurrection, non en vue d’un héritage terrestre, mais d’un
héritage céleste.
Jacob rend le second témoignage de sa foi, en se prosternant sur
le chevet de son lit (v. 31). Sur ce lit de mort, près d’expirer, Jacob adore.
Cette attitude du patriarche
serait-elle la nôtre, à la veille de mourir ? La foi du patriarche le
place au-dessus des circonstances et des événements, et sa reconnaissance
s’exprime par une muette action de grâces devant Dieu.
Un troisième témoignage de sa foi, non mentionné ici, mais tiré
de la Version des septante et donné par inspiration, en Héb. 11:21, c’est qu’il
« adora, appuyé sur le bout de son bâton ». Il maintient ainsi, par la foi, son
caractère de voyageur
jusqu’à
l’extrême limite de sa carrière.
Nous trouvons le quatrième témoignage de sa foi, dans la bénédiction d’Éphraïm et de Manassé (conf. Héb. 11:21). Ces deux fils de Joseph, qui lui naquirent d’une épouse d’entre les nations (41:50), après qu’il eut été rejeté par ses frères, sont comptés comme héritiers des bénédictions de Jacob. Le patriarche les reconnaît comme ses fils, selon l’élection de grâce, car ils n’avaient aucun droit à être greffés sur l’arbre des promesses. En les bénissant, leur grand-père montre une profonde intelligence des pensées de Dieu, et ce vieillard qui « ne pouvait voir », parce que ses yeux étaient « appesantis » par la vieillesse, a par la foi une vision plus claire que Joseph, ce voyant renommé des songes (*).
(*) Il faut toujours que l’homme de Dieu manque par quelque côté. Joseph, auquel on aurait pu dire comme à David, avant sa royauté : « La méchanceté n’a jamais été trouvée en toi » (1 Sam. 25:28), montre ici son manque de discernement spirituel. Un seul homme est parfait.
Jacob n’a pas besoin, comme son père Isaac, d’une excitation
factice pour prononcer la bénédiction ; non, faible et près de mourir (ce
qui n’était pas le cas d’Isaac), il « rassembla ses forces, et s’assit sur le
lit ». Il a l’énergie de la foi pour accomplir son témoignage jusqu’au bout, et
quelle énergie, quand on pense à la longue prophétie qui va suivre ! Il
place le plus jeune avant l’aîné. Ah ! quel jugement il porte par-là même
sur l’acte criminel de son âge mûr, sur son manque de confiance en Dieu et sur
sa confiance en lui-même. Il ne croyait pas alors, que Dieu pût amener son père
à agir d’une manière opposée à sa volonté propre ; il fait maintenant, en
pleine connaissance de cause, ce que Joseph, son fils bien-aimé, voudrait
empêcher : « Je le sais, mon fils, je le sais ». C’est qu’il dépend de Dieu
seul ; c’est qu’il est en pleine communion avec Lui, et qu’il prend ses
décisions à la lumière du sanctuaire. C’est enfin que son âme apprécie la grâce
et désire la communiquer à ses bien-aimés : « Que le Dieu devant la face duquel
ont marché mes pères, Abraham et Isaac, le
Dieu qui a été mon Berger depuis que je suis jusqu’à ce jour, l’Ange qui m’a
délivré de tout mal,
bénisse ces jeunes hommes, et qu’ils soient appelés de
mon nom et du nom de mes pères, Abraham et Isaac, et qu’ils croissent pour être
une multitude au milieu du pays » (v. 15, 16). Ses pères avaient marché devant
Dieu ; Jacob n’en pouvait dire autant de lui-même, mais il apprécie
d’autant plus la grâce qui l’a conduit de son premier à son dernier jour.
Tout cela est un précieux tableau du témoignage de la foi devant la famille de Dieu. Par elle, le lit de mort de Jacob est illuminé ; par elle encore, il assigne une double portion à Joseph, par le lot d’Éphraïm et de Manassé. Celui qui fut le méprisé et le rejeté de ses frères, reçoit la part qui revient au droit d’aînesse (1 Chron. 5:1, 2). La foi donne toujours le premier rang à Celui que le monde a méconnu.
Voyez encore jusqu’où peut atteindre la foi. Jacob dit au v. 22:
« Et moi, je te donne, de plus qu’à tes frères, une portion que j’ai prise
de la main de l’Amoréen avec mon épée et mon arc ».
Jamais cet homme simple et paisible n’avait fait usage de ces armes de
guerre ; mais il est Israël
et
voit à l’avance le peuple qu’il représente, vainqueur des Cananéens et se
partageant leurs dépouilles. Sa foi réalise ainsi à l’avance la victoire de
Dieu par son peuple, comme sa propre victoire !
Quel que soit l’intérêt qui s’attache à la prophétie de Jacob, nous sortirions du cadre qui nous est tracé, si nous voulions la considérer en détail. D’autres l’ont fait mieux que nous (*). Quelques mots suffiront ici.
(*) Voyez : Études sur la Parole de Dieu, par J. N. Darby. Tome 1.
Trois noms caractérisent l’histoire passée du peuple d’Israël, envisagé comme peuple responsable : Ruben, Siméon et Lévi, ou la corruption et la violence.
Trois noms nous présentent son histoire actuelle et future, comme peuple apostat, depuis l’établissement de la royauté en Juda : Zabulon, Issacar et Dan, ou l’activité commerciale et l’asservissement sous la domination des gentils, enfin la haine contre le Messie et le résidu d’Israël, sous le règne de l’Antichrist (Dan).
Trois noms prophétisent l’histoire d’Israël restauré, du résidu
qui s’est écrié : « J’ai attendu ton salut
,
ô Éternel ! » (v. 18). Ces noms sont Gad, Aser et Nephthali, la victoire
finale, la prospérité royale, et une pleine et joyeuse liberté.
Trois noms, enfin, résument la source de toutes les bénédictions futures du peuple qui sera un peuple de franche volonté, au jour de la puissance du Messie, dans sa sainte magnificence, du peuple dont la jeunesse nouvelle viendra à Christ du sein de l’aurore (Ps. 110:3). Ces noms sont Juda, Joseph et Benjamin.
Le Shilo, sorti de Juda,
rassemblera
sous son sceptre les tribus dispersées. Son entrée triomphale à Jérusalem,
« monté sur un âne, et sur un poulain, le petit d’une ânesse » (Zach. 9:9), comme
roi de paix et de justice, est liée à la vigne d’Israël et au cep excellent du
résidu (v. 11). La face du lion de Juda, ne leur apportera que la joie et la
douceur des bénédictions nouvelles (v. 12).
Joseph,
le sauveur de
son peuple, le vrai rejeton de l’Éternel, étendra ses rameaux par-dessus la
muraille d’Israël, pour apporter la bénédiction aux nations. Mais le Sauveur a
dû souffrir cruellement de la part des hommes, pour devenir le Berger d’Israël
et la pierre de l’angle, qui soutient tout l’édifice. Aussi, de quelles
bénédictions Jacob le bénit ! Le Tout-Puissant « te bénira des bénédictions
des cieux en haut, des bénédictions de l’abîme qui est en bas, des bénédictions
des mamelles et de la matrice. Les bénédictions de ton père surpassent les
bénédictions de mes ancêtres jusqu’au bout des collines éternelles ; elles
seront sur la tête de Joseph, et sur le sommet de la tête de celui qui a été
mis à part de ses frères » (v. 25, 26).
Benjamin
enfin
établira son règne par la vengeance, victorieuse du mal.
Autour de ces trois noms, se concentrent les dernières pensées
de Jacob. S’il proclame la ruine de l’homme dans la chair, ruine irrémédiable,
passée, présente et future, son coeur se repose en Christ, chef d’une nouvelle
création, et il salue d’avance l’ère glorieuse où toutes choses seront faites
nouvelles. Ses yeux, envahis par les ténèbres de la mort, s’ouvrent sur cet
au-delà glorieux qui prend naissance dans les souffrances de Joseph, le
bien-aimé, et s’étend jusqu’au bout des collines éternelles. Christ est l’objet final de son témoignage.
Heureux Jacob ! Ses dernières forces sont employées à bénir son Seigneur, et il expire (v. 28), en bénissant encore ceux qui l’entourent !