Henri Rossier
ME 1912 p. 273-291
Table des matières :
1 - Les circonstances selon les différents évangiles
5 - Comparaison avec la pécheresse de Luc 7
Les récits de l’évangile de Jean ont souvent un caractère mystérieux et symbolique, et nous sommes portés à les méditer longuement pour en atteindre le sens profond et découvrir les merveilleux trésors qu’ils contiennent. Telle est, parmi tant d’autres récits de cet évangile, l’histoire du souper de Béthanie. Ses détails si variés frappent d’autant plus que, sauf la visite de Jésus au temple et la multiplication des pains, c’est le seul récit que Jean ait en commun avec les autres évangélistes. En comparant les diverses versions du souper de Béthanie, nous pourrons d’autant plus tirer profit de la portée symbolique du récit de Jean. Commençons par ce dernier.
« Jésus donc, six jours avant la Pâque,
vint à Béthanie »
(Jean 12:1). Cette date n’est pas indiquée dans les évangiles de Matthieu et de
Marc. Elle tombe sur le premier jour de la semaine, notre dimanche, et rejette à
l’arrière-plan la Pâque, appelée par Jean « la Pâque des Juifs » (2:13 ;
11:55 ; cf. 6:4). De plus, le repas même de la Pâque qui joue un si grand rôle
dans les autres évangiles, est remplacé dans celui-ci par le souper désigné comme
ayant eu lieu « avant la fête de Pâque ». C’est de ce souper que le Seigneur
se lève, après avoir mis momentanément « de côté ses vêtements », pour
se ceindre et laver les pieds de ses disciples (13:1-5). Selon la méthode symbolique
de Jean, cet acte indique qu’en mettant de côté ses vêtements, Christ est allé prendre
une position nouvelle pour être à même d’exercer un office qui rende ses disciples
capables d’avoir une « part avec Lui », là où il les a devancés.
C’est donc le premier jour de la semaine, indiqué ici d’une manière
si frappante, qu’a lieu le souper de Béthanie. Dans les évangiles de Matthieu et
de Marc, la scène se passe « dans la maison de Simon le lépreux », détail
que Jean passe sous silence. Il dit simplement : « On
lui
fit là (à Béthanie) un souper ».
Quelque intéressante que fût aux yeux de tous, la personne de Lazare, ce n’était
pas en son honneur que le souper était convoqué, mais en l’honneur de Celui qui
l’avait ressuscité. Ceux qui s’occupèrent du souper de Jésus disparaissent ici et
sont remplacés par ce petit mot :
« on
». L’activité humaine qui prépare est supprimée, pour
accentuer le grand fait qu’il y eut un souper préparé pour Lui, et pour Lui seul.
Cela porte nécessairement nos pensées vers la table chrétienne et non vers la Pâque
juive. Cette dernière fut préparée par les disciples. « Où veux-tu » disent-ils
à Jésus, « que nous
allions préparer ce qu’il faut, afin que tu manges
la pâque ? » (Marc 14:12). Le souper de Béthanie n’a point ce caractère.
Il en est de même pour nous, chrétiens ; ce n’est pas nous qui dressons la
table du Seigneur ; nous la trouvons dressée, et n’avons qu’à nous y asseoir
avec Lui, comme Lazare au souper de Béthanie.
Lazare, le mort qu’il avait ressuscité d’entre les morts »,
se trouvait à Béthanie, et « Lazare était un de ceux qui étaient à table avec
Lui ». Plusieurs étaient donc à table avec Jésus, mais aucun d’entre eux n’est
nommé, sinon Lazare seul. C’est lui qui caractérise
les hôtes du Seigneur
à sa table ; ils se groupent, pour ainsi dire, autour de ce seul nom, Lazare.
C’est que Lazare est marqué d’un signe qui fait de lui l’homme type parmi les convives.
Il est, notons bien cette parole, « Lazare, le mort
». Quoique ayant acquis une vie nouvelle
par la résurrection d’entre les morts, il reste, quant à toute sa vie passée jusqu’au
moment de sa résurrection, le mort.
Son existence antérieure s’était terminée
dans la mort, il vit maintenant d’une vie nouvelle qui n’a plus de lien avec l’ancienne.
Tel est le seul caractère imprimé sur les convives assis avec Christ au repas de
Béthanie. Il en est de même pour ceux qui entourent le premier jour de la semaine
la table du Seigneur, le souper en son honneur. Le caractère de Lazare imprime une
grande solennité au repas de la Cène. Rien de ce qui appartient à la condition du
vieil homme n’y est admis. Des êtres, nés de nouveau, y prennent part, introduits
par la résurrection dans une vie nouvelle ; seulement ils manifestent que la
vie ancienne a trouvé sa fin définitive dans le tombeau, d’où la puissance de Christ,
qui est « la résurrection et la vie », les a sortis.
Lazare était à table avec Lui.
Sans Lui, il n’aurait eu aucun
droit de s’asseoir à Son
souper. En lui-même, il n’était rien qu’un mort,
mais avec Lui, il était le témoin vivant, l’illustration de la puissance vivifiante
de son Sauveur, en résurrection.
Le fait que Lazare seul
est nommé ici, est d’autant plus frappant
que les autres évangiles nous présentent les convives d’une autre manière. Dans
celui de Matthieu, tous les disciples constituent l’assistance (Matth. 26:8). Marc
parle de « quelques-uns qui étaient là » (Marc 14:4). Ici, nous le répétons,
au milieu de ceux qui étaient à table, l’Esprit concentre nos regards sur Lazare
seul et sur Jésus, pour lequel cette table était dressée.
Il est encore plus remarquable que Jean nomme une seule famille,
celle de Béthanie, comme ayant part à la fête. Cette famille est composée de
trois personnes, Lazare, Marthe et Marie. Comme nous le verrons, c’est l’ensemble
complet et divin quant au nombre, des caractères de la famille de Dieu, selon la
portée symbolique de toute cette scène.
Mais revenons à Lazare. Aucune parole ne sort de sa bouche, et, de
fait, nul ne parle ici que Christ, dont le cœur approuve pleinement ce qui a lieu,
et Judas Iscariote qui s’y oppose formellement. Lazare, avons-nous dit, ne parle
pas, mais il est à table avec Lui
, et cela lui suffit. Il n’a, comme on pourrait le supposer, aucune
place qui le distingue au souper. Cet homme, objet d’un miracle aussi extraordinaire,
n’est que « l’un de ceux » ; ce n’est pas lui qui est le personnage
en vue, mais Christ, auteur de sa nouvelle existence. Lazare partage Son souper ;
il est en communion
avec Lui seul ; non pas qu’elle n’existe avec les
autres disciples, mais la communion des saints n’est pas même mentionnée ici, pour
faire, je n’en doute pas, ressortir d’autant plus celle avec le Seigneur.
« Marthe servait ».
Matthieu et Marc omettent Marthe,
aussi bien que Lazare, preuve indubitable du caractère symbolique de cette scène
dans l’évangile de Jean. Le service de Marthe a ici un caractère très touchant.
En Luc 10:38-42, Marthe paraît pour la première fois dans l’histoire ; elle
est blâmée par le Seigneur au sujet de son service. Non pas qu’il fût blâmable en
lui-même, bien au contraire ; mais les pensées de Marthe étaient dirigées sur
lui, et non pas sur le Seigneur qui aurait dû en être le seul objet. Certes, le
service était utile, et pouvait même être appelé « don de grâce » particulier
de Marthe (Rom. 3:7) ; elle était désignée pour cela ; mais, avant de
donner au Seigneur, elle aurait dû recevoir de Lui. Dans le passage qui précède
ce récit (Luc 10), une instruction semblable est donnée au docteur de la loi. Le
Seigneur lui avait fait comprendre, par la parabole du Samaritain, qu’il lui fallait
commencer par recevoir la grâce comme pécheur perdu, avant de pouvoir l’exercer
envers son prochain. « Va, et toi fais de même », lui dit Jésus, après
l’avoir placé dans la parabole en présence de sa propre histoire et de ce que le
Sauveur avait fait pour lui. Marthe n’appartenait pas à la catégorie des pécheurs,
comme le docteur de la loi ; elle était, comme Marie, une brebis de Christ,
mais il lui fallait commencer là où le pécheur commence : recevoir de Lui,
avant d’entrer dans une vie d’activité pour Lui.
Au tombeau de son frère Lazare, Marthe avait appris une grande leçon,
entre beaucoup d’autres : l’impuissance absolue de l’homme devant la mort.
Dans ces conditions, la résurrection et la vie s’étaient manifestées à elle. Désormais,
elle pouvait développer une activité toute autre que par le passé. Autrefois, elle
était mécontente de sa sœur, mécontente même de Christ, dans son service, parce
que ce service était l’idole de son cœur. Maintenant, elle sert, parce que c’est
la fonction qui lui est assignée envers le Fils du Dieu vivant devenu son objet,
et qu’elle a appris à connaître comme tel dans la résurrection de Lazare. Lazare
est à table avec Jésus, jouissant d’une communion sans activité extérieure, mais
dans la délicieuse intimité que ce repas commun crée entre lui et le Bienfaiteur
auquel il doit la vie. Marthe a une fonction beaucoup plus humble, toute de dévouement
et de fatigue, car elle doit être attentive aux besoins de tous, afin que personne,
et le Seigneur moins que tout autre, ne soit privé des soins nécessaires. Ce service
exige l’oubli de soi-même : combien différent du caractère que Marthe avait
jadis. Position obscure, mais privilégiée, car le Seigneur, étant devenu son Tout,
elle suit le chemin d’abaissement du divin Serviteur qu’elle a sous les yeux. Il
est dit d’elle : « Elle servait » ; non pas : Elle le
servait. Tous ceux qui faisaient partie de cette fête, dont Christ était le
centre, étaient également les objets de ses soins comme inséparables du Maître.
Lazare était leur représentant, lui qui, par la résurrection, participait à la vie
du Fils de Dieu.
Le troisième personnage est Marie. Ce qu’elle a fait pour le Seigneur
est proclamé partout, comme la plus haute expression de l’attachement à Sa personne,
quand déjà la mort planait sur Lui et que le traître, présent à cette scène, songeait
à le livrer. Nous y reviendrons ; mais remarquons d’abord que le souper de
Béthanie nous présente, dans trois personnages, les trois principes qui constituent
l’ensemble de la vie chrétienne dans la maison de Dieu. Ces trois principes sont
la communion,
le service
et le culte.
Nous avons vu l’exemple
des deux premiers dans Lazare et dans Marthe, et nous allons considérer le troisième
dans la personne de Marie. Mais n’oublions pas que Celui qui rassemble ces trois
personnes autour de Lui, c’est Christ, centre unique auquel se rapportent les principes
qu’elles représentent. En effet, dans ce repas, fait en Son honneur, la communion
est avec Lui, le service pour Lui, le culte ou l’adoration n’a pas d’autre objet
que Lui.
Ces trois principes, qui caractérisent, comme nous l’avons dit, la vie chrétienne tout entière dans la maison de Dieu, sont comme résumés dans le repas de la Cène qui réunit les croyants le premier jour de la semaine. Le service lui-même, qui joue cette occasion un rôle en apparence effacé, y est cependant aussi indispensable que la communion ou l’adoration. Servir les saints en les aidant à prendre part à la Cène du Seigneur, c’est servir le Seigneur qui les identifie avec Lui. Servir en « faisant part de ses biens », comme cela a lieu quand on se réunit pour le culte, n’a pas un autre caractère. Aussi l’humble service auquel on prête souvent si peu d’attention, devrait-il nous être très précieux quand nous nous réunissons ainsi. « Marthe servait », et son service était comme le lien de la communion.
Revenons maintenant à celle qui joue le rôle principal dans cette
précieuse réunion de famille. Elle représente quelque chose de plus élevé que le
service, l’adoration
.
La communion, c’est-à-dire
la part et la jouissance en commun avec Dieu, remplit le cœur d’une « joie
accomplie ». Quelle bénédiction, en effet, que d’être invités, nous, êtres
infimes, à la table du Dieu souverain, comme les enfants d’un tel Dieu, pour nous
nourrir de Christ qui fait les délices de Son propre cœur ! Cela nous élève
à la
plus haute place
, mais
nous pourrions nous enorgueillir d’un tel privilège dont même un apôtre voyait le
danger. Or il est une attitude plus précieuse encore en ce qu’elle ne nous fait
courir aucun péril, c’est de venir prendre aux pieds du Fils de Dieu la dernière
place
dans une adoration où nous ne pouvons que nous oublier nous-mêmes. On
ne pense alors ni à ses privilèges, ni à la jouissance de ses bénédictions ;
on se trouve devant l’amour insondable, devant l’amour divin, révélé dans un homme
qui est Dieu ; on répand, comme Marie, sur les pieds du Sauveur, un parfum
dont la perte est une folie pour les hommes, mais qui remplit la maison tout entière,
« comme le son subtil de harpes invisibles ! »
Il ne s’agit, dans le cas de Marie, ni de ce que l’on éprouve dans
la communion, ni de ce que l’on donne dans le service. Un objet, Dieu lui-même
manifesté en chair
, car tel
est le caractère de l’évangile de Jean, s’est emparé de telle sorte des pensées
et de l’être tout entier, qu’il n’y a place pour nul autre. Le cœur s’épanche comme
le parfum du vase ; il n’a rien d’assez excellent à verser sur les pieds du
Dieu d’amour devenu homme pour accomplir l’œuvre de la rédemption. Marie oint les
pieds du Fils de Dieu qui va mourir
.
Remarquez combien cette scène diffère de celles de Matthieu et de
Marc. Dans ces deux évangiles, Marie n’est pas nommée ; elle est simplement
« une femme ». Il appartient à l’évangile de Jean, où le Seigneur
« appelle ses propres brebis par leur nom » (10:3), de nous donner le
nom de celle-ci, de même qu’il appellera par son nom une autre Marie, au jour de
sa résurrection (20:15). Dans les évangiles de Matthieu et de Marc, cette femme
(Marie) occupe toute la scène ; il n’y a place que pour le Sauveur et pour
elle, et malgré cela, le caractère de son acte y est moins élevé que dans l’évangile
de Jean. Dans l’évangile de Matthieu (26:6-13),
elle vient à Jésus et répand son parfum, non sur ses pieds, mais sur sa tête
. Elle accomplit
l’onction du Fils de David, dont l’évangile de Matthieu nous entretient. Elle oint
la tête du Roi,
du Messie méconnu et rejeté, au moment où il va mourir. Elle
seule proclame, devant tous, les droits au royaume de Celui qui va prendre la place
d’une victime. Son parfum se répand de la tête « sur le corps » du Seigneur
(v. 12). Seul digne de l’onction du royaume, onction accomplie par l’acte de foi
d’une faible femme qui reconnaît cette dignité, le Fils de David va mourir ;
son corps va être enseveli ; mais il ne peut rester dans le sépulcre ;
et c’est ce que la foi de Marie sent, plus sans doute qu’elle ne le sait. Elle ne
songera pas plus tard, comme d’autres, à oindre son corps mort, car il devra ressusciter
pour entrer dans son règne avec l’onction précieuse sur sa tête. Mais elle lui rend,
avant la croix, le témoignage de l’honneur qui lui est dû, afin qu’il puisse encore
le recevoir sur la terre, à la veille de mourir.
Judas ne paraît pas dans la scène de Matthieu. Les disciples seuls
expriment leur indignation sur la prodigalité de Marie. Hélas ! ils ne considèrent
pas comme une bonne œuvre
ce qui est fait envers Christ,
et ne donnent
ce nom qu’à la libéralité envers les pauvres, mais ils fournissent ainsi au Seigneur
l’occasion de montrer le caractère d’une bonne œuvre. « Quand on distribuerait
tout son bien aux pauvres », cela ne profiterait de rien si l’amour, si Jésus
lui-même, n’était à la base de cet acte. Et de plus, avec quelle sévérité affligée
le Sauveur ne prend-il pas la défense de son humble servante, ne permettant pas
qu’on la blesse dans son affection et qu’on viole le sanctuaire de son cœur. L’opposition
des disciples aurait pu écraser son cœur sensible et la replier sur elle-même, se
demandant peut-être si elle avait contrevenu aux devoirs de la charité. Jésus apprécie
cette âme tendre, car qui est tendre comme Lui ? Pourquoi », dit-il,
« donnez-vous du déplaisir à cette femme ? »
Dans l’évangile de Marc (14:3-9), comme dans celui de Matthieu,
« la femme » répand aussi son parfum sur la tête
de Jésus. Tandis
que, dans ce même chapitre, pas un des disciples n’est capable de rendre la pareille
à l’amour que Jésus leur témoigne, Marie seule fait exception. Elle apporte son
parfum au Sauveur, et, circonstance des plus touchantes, elle ne vient pas ici devant
le Roi, mais devant le Serviteur
,
dont la carrière est le sujet de l’évangile de Marc. C’est donc sur la tête
du Serviteur qu’elle répand son parfum ; puis elle brise le précieux vase d’albâtre
qui le contenait. Marc seul nous parle de ce vase
brisé
. Après avoir servi pour l’onction d’un tel Serviteur, il ne pourra
plus jamais contenir de parfum pour qui que ce soit ! La gloire du Serviteur
qui, s’anéantissant lui-même, traça de ses pieds adorables un sentier d’obéissance
dans ce monde révolté, et descendit jusqu’à la croix pour accomplir la volonté rédemptrice
de Dieu — cette gloire est égale à celle du Roi — que dis-je ? elle est plus
haute encore, et la tête du Serviteur est digne de la même onction. C’est l’huile
de joie qui l’élève à jamais au-dessus de ses compagnons ! Marie fait tout
ce qui est « en son pouvoir » pour reconnaître et célébrer ce merveilleux
abaissement. Elle déclare, en oignant la tête du Sauveur, qu’après s’être anéanti,
il sera « haut élevé ». Aussi Jésus donne-t-il toute sa signification
à l’acte de cette femme : elle l’a fait « pour ma sépulture ». Un
tel acte d’amour, une telle appréciation de l’abaissement du Christ, méritait d’être
considéré comme si Marie avait conscience, par anticipation, des résultats de l’œuvre
qu’il allait accomplir. Ce qu’elle a fait n’est pas seulement enregistré dans le
ciel, mais sera proclamé sur la terre aussi longtemps que l’Évangile y sera prêché.
Dans l’évangile de Jean (12:1-8), nous trouvons l’adoration profonde
de cette Marie qui avait coutume de prendre place aux pieds du Sauveur (Luc 10:39 ;
Jean 11:32). Le culte rend la servante de Jésus prosternée à ses pieds, étrangère
à toute autre chose. Tandis que Marthe sert le Seigneur lui-même dans les siens,
Marie le sert, Lui,
tout seul. Comment prendre une autre attitude devant
le Fils de Dieu
? Pourrait-elle
oindre sa tête ? Marie ne peut y songer, mais elle vient oindre les pieds de
cet homme qui est Dieu. Cette pensée lui est du reste familière, car toujours elle
l’a reconnu comme Dieu, soit que, par sa parole, il lui ouvre le trésor des pensées
éternelles, ou qu’il soit déclaré Fils de Dieu en puissance au tombeau de Lazare.
Elle ne peut donc oindre de son parfum cette tête divine, mais bien les pieds saints
qui, dans une pureté parfaite, ont traversé ce monde de souillures, afin de marcher
au but, la rédemption éternelle des pécheurs. Elle se sent tout au plus digne de
servir de marchepied à ses pieds. Sa chevelure, « la gloire de la femme »,
n’est propre qu’à essuyer le parfum lui-même, ce parfum pur et de grand prix dont
elle oint ses pieds adorables et qui n’a pas pour elle assez de valeur pour y demeurer.
Mais en l’essuyant, Marie s’en imprègne, et le parfum remplit la maison tout entière,
glorifiant l’amour qui a fait descendre le Fils de Dieu jusque dans la mort.
Le parfum de notre louange
N’est que celui de son amour !
Marthe sert, avons-nous dit ; Marie le
sert. Seul cas
où Jésus ait rencontré de la sympathie sur la terre. Il a trouvé ici et là de la
foi, de la confiance, de l’admiration, mais jamais de sympathie. Comme son cœur,
si infiniment tendre, devait en souffrir ! Mais, dans le cas de Marie, ce n’est
pas de l’admiration, c’est de l’amour pour Celui qui va mourir et que les machinations
du traître et la haine de ses ennemis environnent déjà, pour l’Agneau qui marche
à la boucherie sans ouvrir la bouche. Marie accomplit cet acte en présence de son
frère, témoin vivant de la résurrection, mais ce qui la jette aux pieds de son Seigneur
n’est pas ce qu’il a fait pour Lazare ; c’est l’indicible amour de Celui qui,
étant lui-même la résurrection et la vie, consent à mourir. Elle fait cela « pour
le jour de sa sépulture » ; sans doute, elle ne raisonne pas la chose,
mais la foi est intelligente et ne saurait accomplir un acte d’ignorance. De fait
Marie, avec sa simple foi, est plus intelligente que toutes les saintes femmes ensemble.
Elle ne pourra s’associer à ces dernières pour embaumer le corps d’un Christ mort
qui, ayant été déclaré Fils de Dieu par la résurrection de Lazare, devra l’être
infailliblement par sa propre résurrection. Elle ne se joindra pas à celles qui
iront chercher parmi les morts Celui qui est vivant.
Judas, dont les autres évangiles omettent la présence, est mentionné ici. Cette victime de Satan vient profiler son ombre noire au milieu de ce souper où les trois cœurs de la famille de Béthanie battent à l’unisson de celui du Sauveur. Cet homme estime la valeur du parfum à trois cents deniers, puis va vendre son maître pour dix fois moins de pièces d’argent que le parfum lui-même.
C’est à un tel prix, « prix magnifique auquel il a été estimé par eux », qu’il consent à vendre son Dieu !
On trouve de grandes analogies entre l’acte de Marie et celui de
la pécheresse
dans l’évangile de Luc (7:36-50). Luc, d’accord avec son but
qui est essentiellement évangélique, n’enregistre que l’histoire de la pécheresse
et l’insère en place du souper de Béthanie. Les extrêmes se touchent, car une chose
réunit ces deux femmes dans un même acte et avec un même parfum, une chose prosterne
la pécheresse aux pieds du Fils de l’homme, comme Marie aux pieds du Fils de Dieu,
c’est l’amour. Toutes deux aiment beaucoup, parce qu’elles savent être beaucoup
aimées, et toutes deux ont conscience de la profondeur de cet amour divin. L’une
vient au souper d’un monde hostile, sans voir les conviés ou sans en tenir compte,
parce que ses besoins l’attirent à la seule source qui puisse les satisfaire ;
l’autre vient, en communion avec les hôtes de Béthanie, mais oubliant même ces hôtes
bénis, pour adorer l’amour de Dieu qu’elle a connu en Christ. Toutes deux essuient
les pieds de Jésus avec leurs cheveux, mais la pécheresse y essuie ses pleurs de
repentance, sentant même cette dernière indigne de l’amour de Jésus dont elle inonde
les pieds de larmes. Marie essuie le parfum qu’elle a versé, jugeant même sa louange
et son adoration indignes d’un tel objet. La pécheresse est placée en pleine lumière
avec ses péchés, pour rencontrer la grâce, et témoigne sa reconnaissance par ses
baisers. Marie vient avec un cœur déjà purifié pour adorer l’immensité de l’amour
de Celui qui va mourir. Elle ne vient pas comme la pécheresse chercher et remporter
le salut, le pardon et la paix ; elle vient avec toute la sympathie d’un cœur
aimant et remporte l’approbation du Seigneur qui prend sa défense vis-à-vis de l’ennemi,
tout en lui donnant l’intelligence de l’acte d’adoration qu’elle accomplit et dont
elle-même ne mesure pas la portée. Elle reçoit au dedans de son cœur le témoignage
d’avoir plu au Sauveur avant sa mort, et ce qu’elle a fait en est encore aujourd’hui
le témoignage devant le monde.
Toutes deux, la pauvre pécheresse et l’amie de Béthanie, ont une place de choix dans le cœur du Sauveur et sont gardées dans ses trésors comme des joyaux de grand prix !
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FRAGMENTS
On ne doit ni prétendre rebâtir ce qui a été ruiné, ni se contenter de l’état de ruine. Il faut compter sur la grâce de Dieu, sur une grâce qui agit malgré notre chute.
L’absence de paix dans le cœur provient de l’activité des passions et de la volonté, augmentée par le sentiment de l’impuissance dans laquelle nous sommes de les satisfaire entièrement, ou même dans une mesure quelconque.
La réconciliation est plus que la création, parce qu’il y a en elle plus de développement d’amour, c’est-à-dire de Dieu.
La sanctification est notre conformité intérieure d’affection et d’intelligence — et par conséquent de conduite extérieure — avec Dieu et avec Sa volonté.