Par Paul REGARD
Table des matières :
1.1 - Paroles prononcées avant les trois heures de ténèbres :
1.2 - Parole prononcée pendant les trois heures de ténèbres :
1.3 - Paroles prononcées après les trois heures de ténèbres :
2 - La Première Parole — « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » — Luc 23:34
4 - La troisième Parole — « Femme, voilà ton fils » et « Voilà ta mère » — Jean 19:26 et 27
6 - La cinquième Parole — « J’ai soif » — Jean 19:28
7 - La sixième Parole — « C’est accompli » — Jean 19:30
8 - La septième Parole — « Père ! entre tes mains je remets mon esprit » — Luc 23:46
9.1 - Sujet préliminaire : Avant la CROIX
9.2 - Sujet capital — SUR LA CROIX — LES SEPT PAROLES
Les sept paroles — les sept paroles par excellence — ce sont les sept paroles du Seigneur sur la croix. Elles constituent, en quelque sorte, le testament spirituel du Sauveur.
L’Écriture, notamment dans le Psaume 22, a conservé le souvenir d’un assez grand nombre de paroles mémorables qui ont été, sinon sur les lèvres, du moins dans le coeur du Seigneur souffrant et mourant. Il y a, d’après l’Écriture, des prières réelles, mais, pour ainsi dire, abîmées de silence, que le Saint et le juste a faites au temps de sa passion. Et l’existence de telles prières ne manque pas de rehausser la grandeur solennelle du supplice et de la mort du Fils de l’homme et du Roi des rois.
Mais il y a, selon le témoignage formel des Évangiles, sept paroles d’importance capitale que la bouche auguste du Sauveur a vraiment prononcées du haut de la croix.
Or la substance de ces sept paroles fournit un sommaire magistral du christianisme. Il convient que nous donnions toute notre attention aux sept paroles du Seigneur sur la croix et à la façon dont l’Écriture nous les présente, chacune à sa place légitime.
Il y a quatre Évangiles comme il y a quatre aspects de la personne du Sauveur. Chacune des sept paroles du Seigneur sur la croix se trouve conservée dans le cadre qui lui est approprié. La suite chronologique des sept paroles doit donc être cherchée dans quatre textes distincts.
L’Évangile selon Matthieu s’offre à nous comme l’Évangile du Roi Messie ; ce texte s’adresse essentiellement aux fils d’Israël. L’Évangile selon Marc est celui du parfait Serviteur et Prophète de l’Éternel. L’Évangile selon Luc nous fait voir la sainte et glorieuse humanité du Sauveur ; ce texte est destiné, sans distinction, à tous les hommes, aux Gentils comme aux juifs. L’Évangile selon Jean nous montre surtout la divinité du Seigneur : le Sauveur y apparaît bien comme un homme (1:30) ; mais cet homme est le Fils du Père, le Dieu du ciel manifesté en chair.
Il faut observer encore que l’Écriture nous présente la mort du Sauveur tantôt comme un tout, tantôt comme un ensemble composé de parties distinctes.
Lorsqu’il nous dit, au chapitre 2 de l’Épître aux Philippiens (verset 8), que le Christ Jésus est « devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix », l’apôtre Paul parle de la croix comme d’un tout qui ne se divise pas. Les Évangiles détaillent, en revanche, les heures et les scènes de la croix.
La suite chronologique des sept paroles du Seigneur sur la croix comporte, de ce point de vue, trois subdivisions. Il y a lieu de distinguer historiquement : 1° les paroles prononcées par le Sauveur avant les trois heures de ténèbres ; 2° les paroles prononcées par le Sauveur pendant les trois heures de ténèbres ; 3° les paroles prononcées par le Sauveur après les trois heures de ténèbres.
Ces considérations permettent de dresser, avec une certitude à peu près complète, le tableau suivant :
1° parole : « Père, pardonne-leur , car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:34).
2° parole : « En vérité, je te dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23:43).
3° parole : « Femme, voilà ton fils » et « Voilà ta mère » (Jean 19:26 et 27).
4° parole : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27:46 et Marc 15:34).
5° parole : « J’ai soif » (Jean 19:28).
6° parole : « C’est accompli » (Jean 19:30).
7° parole : « Père ! entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23:46).
L’Écriture marque, avec une extrême précision, la place exacte de presque toutes ces paroles. Une légère hésitation ne semble permise que pour les mots « Femme, voilà ton fils » et « Voilà ta mère ». Le texte de Jean ne montre pas avec une clarté absolue que ces mots sont séparés des mots « J’ai soif » .Mais ce fait ne doit donner lieu à aucun étonnement. Il est tout naturel. Et c’est le fait contraire qui surprendrait. L’Évangile selon Jean laisse dans l’ombre la description des souffrances expiatoires du Seigneur : cette description se rapporte au côté humain de la personne du Sauveur ; et ce n’est pas le sujet de Jean. Le quatrième évangéliste nous présente en général, et dans les scènes de la croix tout spécialement, la divinité du Seigneur et ce qui s’y rattache. Jean ne parle pas non plus de l’agonie du Sauveur au jardin de Gethsémané. Ce fait est frappant. L’étude profonde des paroles du Seigneur sur la croix prouve, d’autre part, que la parole rapportée dans Jean 19:26 et 27, tout en ayant sa place marquée dans le quatrième Évangile, appartient à la même catégorie morale que les deux premières paroles conservées par le texte de Luc 23:34 et 43. Il y a donc lieu de conclure, avec une grande vraisemblance, à la troisième place pour les mots « Femme, voilà ton fils » et « Voilà ta mère ».
Il faut du reste se garder de confondre la scène rapportée dans Jean 19:25 à 27 avec la scène moins spécifique que racontent Matthieu 27:55 et 56, Marc 15:40 et 41, et Luc 23:49. Dans Jean 19, les femmes sont tout près de la croix. En Matthieu 27, Marc 15, Luc 23, les femmes, dont la liste n’est pas exactement la même que dans Jean (cf. Matthieu 27:56 et Marc 15:40 avec Jean 19:25), regardent « de loin ».
La quatrième parole, celle qui résume la détresse poignante du Sauveur à la fin des trois heures de ténèbres, c’est-à-dire le cri qui exprime toutes ses souffrances et toutes ses douleurs expiatoires, se trouve dans deux évangiles. Cette double présence, qui constitue dans la série des sept paroles une exception unique, accentue l’importance et souligne l’intérêt de la quatrième parole du Seigneur sur la croix. Dans l’Évangile selon Matthieu, les mots « Mon Dieu, mon Dieu » se trouvent transcrits de l’hébreu, et le reste de la phrase est transcrit de l’araméen, avant la traduction en grec. Dans l’Évangile selon Marc, la phrase sémitique qui précède la traduction grecque est toute entière araméenne. Nous verrons que ce fait ne demeure pas sans explication.
Il faut noter, enfin, parmi les généralités, que le Seigneur mis en croix, dit « Père » lorsqu’il s’adresse à Dieu avant les trois heures de ténèbres (Luc 23:34) ou après les trois heures de ténèbres (Luc 23:46). Mais, pendant les trois heures de ténèbres, le Sauveur ne peut dire que « Mon Dieu » (Matthieu 27:46 ; Marc 15:34). Pendant les trois heures de ténèbres, « fait péché pour nous » (2 Corinthiens 5:21), « portant nos péchés en son corps sur le bois » (1 Pierre 2:24), le Saint et le juste, abandonné et éloigné de son Dieu Fort, a été privé de la bienheureuse communion de son Père, communion dans laquelle il avait toujours vécu en le glorifiant. Cette différence indique l’utilité et la nécessité qu’il y a de répartir historiquement les sept paroles du Seigneur sur la croix en trois catégories : avant les trois heures de ténèbres, pendant les trois heures de ténèbres, après les trois heures de ténèbres.
À la lumière des considérations qui précèdent, nous devons maintenant passer à l’examen détaillé de chacune des sept paroles du Christ sur la croix et du contexte auquel elle appartient. Nous réunirons ensuite, comme il y a lieu, dans une large synthèse, les sept paroles, en leur donnant, avec l’Écriture et les précautions qu’elle suggère, le double prologue du jardin de Gethsémané et de la Voie douloureuse. Et nous tirerons, Dieu voulant, de notre étude, la conclusion pratique qu’elle comporte.
La première parole du Seigneur sur la croix concerne le pardon de ses ennemis : « Et Jésus disait : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:34).
Au milieu des pires douleurs et des plus cruelles offenses, le Sauveur a imploré le pardon du Père céleste en faveur de ceux qui l’avaient crucifié, parce que son coeur débordait d’amour, parce que son esprit possédait la parfaite sérénité, parce que la paix régnait dans son âme.
L’Évangile selon Luc nous montre toute la majesté de la paix divine réalisée dans la glorieuse humanité de notre Seigneur Jésus Christ au milieu de l’ignominie, de la détresse et de la douleur.
Le Saint et le juste, le Fils de l’homme et le Fils de Dieu, le Roi d’Israël, le Roi des rois, a trouvé, dans ce monde corrompu par le péché, un tribunal assez inique pour le condamner au supplice de la croix, tout en proclamant son innocence (Luc 23:4, 14 et 22 ; Jean 18:38 ; 19:4 et 6).
Au Sauveur Jésus Christ les pécheurs ont préféré le meurtrier Barabbas (Matthieu 27:15 à 26 ; Marc 15:6 à 15 ; Luc 23:17 à 25 ; Jean 18:39 et 40).
La foule, entraînée par ses chefs, a poussé des cris de violence et de mort. Le peuple d’Israël tout entier a dit : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » (Matthieu 27:25). Pour mieux obtenir la condamnation du Christ, les juifs ont été jusqu’à nier l’existence de leur Messie national en disant : « Nous n’avons pas d’autre roi que César » (Jean 19:15).
Victime de la haine des chefs de son peuple, voué à l’ignominie et à la mort par la foule excitée, abandonné, enfin, par le représentant officiel du pouvoir romain, le Seigneur de gloire subit, tout d’abord, le cruel supplice de la flagellation (Matthieu 27:26 ; Marc 15:15). Meurtri, sanglant, insulté dans sa dignité royale, le Seigneur est emmené sur la Voie douloureuse qui aboutit au Calvaire. Deux autres condamnés, qui étaient des malfaiteurs, sont conduits à la place des exécutions avec lui, l’Innocent et le juste, pour être mis à mort. Le cortège arrive au Lieu du Crâne. Les soldats crucifient le Sauveur des hommes et les deux malfaiteurs, l’un à droite, l’autre à gauche, Jésus au milieu (Matthieu 27:38 ; Marc 15:27 ; Luc 23:33 ; Jean 19:18).
Le Seigneur de gloire supporte les atroces tortures du crucifiement. Les clous trouent ses mains amies qui s’étaient étendues sur l’humanité coupable pour la bénir et ses pieds diligents qui avaient foulé cette terre impure pour apporter de lieu en lieu les bienfaits de la grâce divine. Le sang du Sauveur coule. La croix est ensuite placée dans le trou préparé pour la recevoir et dressée vers le ciel. Le Seigneur est élevé de la terre sur la croix.
Placé d ans une position tout à fait contraire à la nature, le corps adorable du Fils de l’homme connaît les tourments les plus cruels : les troubles affreux de la circulation, l’horrible rigidité du tronc et des membres étirés, l’amaigrissement des chairs flétries et la saillie des os meurtris, la torture épouvantable de la soif brûlante, ces maux atroces que la suite des heures accentuera d’une manière inexorable.
Les douleurs morales du Sauveur accompagnent ses souffrances corporelles. Il est élevé sur le bois maudit de la croix, délaissé par ses disciples, rejeté par son peuple, abandonné de tous les hommes, offensé par les regards impudiques des spectateurs. Les pécheurs font entendre à ses oreilles saintes les plus odieux sarcasmes.
Et, par-dessus tout, le Saint et le juste a devant lui, sous l’abandon et dans l’éloignement de son Dieu, les heures terribles de l’expiation…
Le Seigneur de gloire, élevé de la terre sur la croix contrairement à toute justice, domine ses souffrances atroces. De sa bouche sainte ne sortent ni plaintes, ni protestations, ni menaces. Seule la grâce resplendit sur ses lèvres. C’est la plus belle illustration de ce verset de l’apôtre Pierre : « …qui lorsqu’on l’outrageait, ne rendait pas d’outrage, quand il souffrait, ne menaçait pas, mais se remettait à celui qui juge justement » (1 Pierre 2:23). L’Homme parfait intercède pour les transgresseurs, au nombre desquels il est compté (Luc 22:37. Cf. Ésaïe 53:12). Le Sauveur sollicite le pardon de son Père — dans la bienheureuse communion duquel il demeurait avant les trois heures de ténèbres — en faveur des pécheurs et de ses bourreaux. « Et Jésus disait : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Voilà ce que nous raconte l’Évangile selon Luc, 23:34.
C’est ainsi que l’ignominie et les douleurs de la croix servent à révéler l’étendue de la grâce du Seigneur, l’intensité de sa gloire morale, et la puissance de sa paix. La douceur, la magnanimité, la sérénité du Christ forment un contraste saisissant avec la brutalité haineuse et vile des exécuteurs et des assistants. L’humanité du Sauveur offre à l’admiration de notre foi une plénitude d’amour dont la splendeur, grandiose et magnifique, illumine les âges et rayonne jusque dans les siècles infinis.
Ce pardon souverain des injures les plus graves et des actes les plus ignobles à des ennemis aussi cruels que dénués de conscience et de scrupules, aussi acharnés que dépourvus de justice et d’honneur, apparaît comme l’une des principales oeuvres de la vie divine au sein de l’humanité. Le noble exemple de l’Homme saint, parfait, glorieux, est une source de grâce efficace.
Principal auteur du supplice du Seigneur, le peuple d’Israël a été le bénéficiaire de son intercession. En réponse à la prière de son Fils, Dieu a trouvé bon d’accorder au peuple juif, pour sa repentance, un important délai. Pendant une longue suite de jours après la mort du Sauveur, les apôtres ont prêché la personne et annoncé l’oeuvre du Christ au peuple juif
Peu après l’ascension du Seigneur, l’apôtre Pierre s’exprime en ces termes : « Hommes israélites, écoutez ces paroles : Jésus le Nazaréen, homme approuvé de Dieu auprès de vous par les miracles et les prodiges et les signes que Dieu a faits par lui au milieu de vous, comme vous-mêmes vous le savez, ayant été livré par le conseil défini et par la préconnaissance de Dieu, — lui, vous l’avez cloué à une croix et vous l’avez fait périr par la main d’hommes iniques, lequel Dieu a ressuscité, ayant délié les douleurs de la mort, puisqu’il n’était pas possible qu’il fût retenu par elle. » (Actes 2:22 à 24), et : « Le Dieu d’Abraham et d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus que, vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pilate, lorsqu’il avait décidé de le relâcher. Mais vous, vous avez renié le saint et le juste, et vous avez demandé qu’on vous accordât un meurtrier ; et vous avez mis à mort le prince de la vie, lequel Dieu a ressuscité d’entre les morts ; ce dont, nous, nous sommes témoins » (Actes 3:13 à 15).
Et l’apôtre Pierre rattache avec une parfaite clarté à la première parole du Seigneur sur la croix : « Père, pardonne-leur ; car ils ne savent ce qu’ils font » les derniers appels de la grâce de Dieu au peuple d’Israël : « Et maintenant, frères, je sais que vous l’avez fait par ignorance, de même que vos chefs aussi ; mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait prédit par la bouche de tous les prophètes, savoir que son Christ devait souffrir. Repentez-vous donc et vous convertissez, pour que vos péchés soient effacés, etc. » (Actes 3:17 à 19).
L’Écriture nous fait voir, comme fruit de ce ministère, la conversion de plusieurs milliers d’Israélites. Mais, en tant que peuple, Israël a continué de mépriser et de rejeter son Messie. Les juifs ont repoussé le Sauveur ressuscité et glorifié comme ils avaient rejeté le Sauveur souffrant et humilié. Interrompu au moment même où il commençait à parler du Messie, Étienne, le fidèle témoin du Seigneur, fut mis à mort par la foule en fureur (cf. Actes 7:51 à 60). Et la ruine de la nation juive s’est consommée dès l’an 70, date de la prise et de la destruction de Jérusalem par Titus, fils de Vespasien.
Le martyre d’Étienne, lapidé comme un blasphémateur, pour avoir rendu témoignage au juste, nous laisse un exemple émouvant. Avant de s’endormir, Étienne a crié à haute voix : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché » (Actes 7:60). Cette dernière parole du premier des martyrs rappelle à nos coeurs la parole de grâce du Sauveur : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:34). Bien qu’exempte de souffrances expiatoires, la mort d’Étienne ressemble à plus d’un titre à la mort du Seigneur jusque dans ses souffrances expiatoires, qu’aucun homme n’a pu ni ne saurait partager, le Christ nous a, en effet, « laissé un modèle afin que nous suivions ses traces » (cf. 1 Pierre 2:21).
La première parole d’Étienne pendant son supplice correspond, d’autre part, à la dernière parole du Seigneur sur la croix. Nous aurons à revenir plus loin sur la différence qu’il y a dans l’ordre des paroles d’Étienne lapidé comparées à celles du Sauveur crucifié et sur les différences de détail qu’elles comportent. Ces différences tiennent à des raisons profondes.
Le futur apôtre Paul — ce Saul en qui le chapitre 8 du livre des Actes nous montre le destructeur des chrétiens — a été le témoin oculaire du supplice d’Étienne ; et le texte des Actes dit qu’au meurtre du premier martyr « il était consentant » (8:1 ; Cf. 22:20). Or, dans sa première Épître à Timothée, après avoir rappelé qu’il était auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un coutumier de la violence, l’apôtre Paul ajoute : « … mais miséricorde m’a été faite, parce que j’ai agi dans l’ignorance, dans l’incrédulité » (1:13).
Le grand pardon accordé à Paul de Tarse — devenu non seulement un vrai croyant, mais encore le modèle accompli de la foi chrétienne active et efficace, résumée dans ces paroles : « je ne vis plus, moi, mais Christ vit en moi ; — et ce que je vis maintenant dans la chair, je le vis dans la foi, la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi » (Galates 2:20) — ce pardon n’est autre chose que la réponse sublime de l’amour du Père à la prière du Fils de l’homme sur la croix : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:34). Et la réponse de la grâce divine est aussi vaste que l’orbe de la terre. Elle s’applique aux chrétiens de tous les lieux et de tous les âges, comme le prouve le contexte du passage où l’apôtre Paul rappelle son ancien état d’ignorance et d’incrédulité.
Il importe de citer ces versets qui se terminent par une remarquable doxologie : « je rends grâces au christ Jésus, notre Seigneur, qui m’a fortifié, de ce qu’il m’a estimé fidèle, m’ayant établi dans le service, moi qui auparavant étais un blasphémateur, et un persécuteur, et un outrageux ; mais miséricorde m’a été faite, parce que j’ai agi dans l’ignorance, dans l’incrédulité ; et la grâce de notre Seigneur a surabondé avec la foi et l’amour qui est dans le christ Jésus. Cette parole est certaine et digne de toute acceptation, que le christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont moi je suis le premier. Mais miséricorde m’a été faite, à cause de ceci, savoir afin qu’en moi, le premier, Jésus Christ montrât toute sa patience, afin que je fusse un exemple de ceux qui viendront à croire en lui pour la vie éternelle. Or, qu’au roi des siècles, l’incorruptible, invisible, seul Dieu, soit honneur et gloire aux siècles des siècles ! Amen » (1 Timothée 1:12 à 17).
Le pardon magnifique du Sauveur et la façon si belle dont Étienne l’a imité sont restés gravés dans l’esprit de Paul jusqu’à la fin de son ministère. La dernière lettre de l’apôtre contient ces mots qui rappellent la première parole du Seigneur crucifié et la seconde parole d’Étienne lapidé : « Dans ma première défense, personne n’a été avec moi, mais tous m’ont abandonné : que cela ne leur soit pas imputé. » (2 Timothée 4:16).
Telle est aussi la base des sublimes enseignements que Paul donne aux chrétiens dans un passage capital de l’Épître aux Colossiens, passage où se trouvent énumérés sept caractères du Seigneur que les croyants sont appelés à refléter dans leur vie mortelle. L’apôtre invite ses frères à acquérir un coeur miséricordieux, à se vêtir de bonté, d’humilité, de douceur, de longanimité, et ajoute : « vous supportant l’un l’autre et vous pardonnant les uns aux autres, si l’un a un sujet de plainte contre un autre ; comme aussi le Christ vous a pardonné, vous aussi, faites de même » (3:12 et 13).
Le salut et le témoignage de tous les rachetés constituent ainsi, dans la suite des âges, la multiple réponse de l’amour de Dieu à la première parole du Seigneur mis en croix : « Père, pardonne-leur, car Ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:34). Gloire au Fils de l’homme ! Gloire au Fils de Dieu, Gloire au Sauveur souffrant sur la croix !
La seconde parole du Seigneur sur la croix est sa réponse à la prière du malfaiteur repentant. Au pécheur contrit, le Sauveur promet les joies immédiates de sa présence et les délices du paradis. La seconde parole du Seigneur sur la croix — « En vérité, je te dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23:43) — montre aux hommes le chemin du ciel.
Le texte matériel de cette réponse du Sauveur sollicite tout d’abord notre attention. Quelques remarques préliminaires, destinées à prévenir une grave erreur d’interprétation, sont indispensables à notre étude.
Les premiers textes du Nouveau Testament étaient écrits sans séparation de mots, sans indication des esprits et des accents, sans signes de ponctuation. Les éditeurs et les commentateurs ont donc, ce semble la liberté de ponctuer les phrases du Nouveau Testament à leur gré. Mais une telle liberté est loin d’autoriser la fantaisie. L’ordre des mots dans la langue grecque est à la fois libre et expressif. La souplesse de la langue grecque et les procédés dont elle use comportent, à vrai dire, une précision qu’il y a lieu de respecter. Pour la respecter, il faut d’abord la saisir.
Parce que la ponctuation n’est pas matériellement indiquée dans le texte original du Nouveau Testament, dès l’antiquité, les traducteurs de deux versions syriaques et, plus récemment, certains exégètes peu informés des finesses de la langue grecque ont cru nécessaire ou possible d’entendre : « En vérité, je te dis aujourd’hui : tu seras avec moi dans le paradis ». Or, cette traduction, contraire aux données de la science, altère la pensée et déforme la parole du Seigneur. À une promesse précise et immédiate, elle substitue, en effet, une promesse vague et incomplète, d’une portée amoindrie et restreinte, mais singulièrement périlleuse, puisqu’elle supprimerait l’obligation de croire, d’après l’Écriture, que l’âme du Seigneur ressuscité et celle du brigand repentant sont entrées au paradis le jour même.
Il importe d’écarter cette fausse et dangereuse interprétation. Le mot « aujourd’hui » figure sans doute, dans le texte original de Luc, au début de la phrase « aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » en tant que mot important, conformément à l’usage selon lequel le mot important se trouve placé au début de la phrase en grec. La traduction : « En vérité, je te dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis », ou, si l’on veut : « En vérité, je te dis qu’aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis », est seule correcte.
Il est, d’ailleurs, évident que la parole du Sauveur a été prononcée le jour même où il l’a dite. N’y aurait-il pas quelque irrévérence à prétendre le lui faire spécifier ?
Une raison en apparence susceptible de faire modifier la place du mot « aujourd’hui » est la croyance en une prétendue descente du Seigneur aux enfers, descente qui aurait retardé l’arrivée de son âme au paradis. Or cette hypothèse n’est pas à soutenir. Elle repose sur la mauvaise interprétation d’un verset de l’Écriture — 1 Pierre 3:19 — et sur une addition présentée par le texte latin du Symbole des Apôtres, dont le texte original, c’est-à-dire la rédaction grecque, ne mentionne pas la descente aux enfers.
C’est « en esprit » par le moyen de Noé lui-même (cf. 2 Pierre 2:5), auquel s’applique l’expression « étant allé (ayant marché) », laquelle ne convient pas à un esprit, que le Christ a prêché à ces esprits en prison dans le Hadès, qui n’étaient autres, de leur vivant, que les contemporains de Noé. Noé, est, en effet, appelé « prédicateur » ou, plus exactement, « prédicateur de justice » dans la seconde Épître de Pierre (2:5).
L’hypothèse d’une descente du Seigneur aux enfers pour prêcher aux morts est d’ailleurs contredite par les enseignements du Sauveur (cf. Luc 16:19 à 31). Et, même si elle s’était produite — ce que l’Écriture ne dit pas — elle aurait pu avoir lieu sans dépasser les limites du jour du crucifiement.
La réponse du Sauveur au malfaiteur repentant est donc bien : « En vérité, je te dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis ».
Ce point établi, nous sommes en mesure d’étudier la seconde parole du Seigneur sur la croix et la scène à laquelle elle appartient (Luc 23:39 à 43).
Quelle scène grandiose et solennelle ! Trois croix dressées sur le Mont Calvaire supportent trois suppliciés. Le Saint et le juste est là, sur le bois maudit, ayant à ses côtés deux criminels crucifiés comme lui. Aux côtés du Sauveur, les deux malfaiteurs, comme en une puissante synthèse, représentent les deux classes de personnes que l’humanité comporte désormais.
Au début, les deux brigands insultent leur auguste compagnon de supplice (Matthieu 27:44 ; Marc 15:32). Tous les fils des hommes commencent de même par méconnaître et par outrager le Fils de Dieu. Mais, bientôt, la scène change. Et la distinction se précise. Les deux catégories apparaissent.
L’un des malfaiteurs demeure dans son état dénaturé, ne songe qu’au moment présent, continue d’insulter le Fils de Dieu.
L’autre malfaiteur, atteint dans sa conscience par la grâce du Sauveur, discerne et reprend la perversité de son camarade, reconnaît sa propre culpabilité, proclame la justice du châtiment qu’ils endurent tous les deux, et rend à la parfaite innocence du Seigneur un hommage éclatant. Puis il s’occupe du Christ seul. Il demande au Christ de se souvenir de lui. Par la foi, il appelle Seigneur cet homme crucifié et, ce semble, réduit à l’impuissance comme lui. Par la foi, il sait que le royaume du Seigneur viendra. Oubliant ses propres maux et tout ce qui l’entoure, il voit les souffrances du Christ et les gloires qui suivront. Alors, le Seigneur lui promet le bonheur immédiat.
Le Seigneur occupe lui-même, par amour, sur la croix, la place du misérable pécheur condamné à mort, et le misérable pécheur, converti par grâce, va partager, aujourd’hui même, la bienheureuse place du Sauveur, avec lui, dans le paradis. Ô paix ! Ô joie ! Ô gloire !
Le nom du paradis est un mot d’emprunt, d’origine persane. Ce terme s’applique à un parc, à un jardin de délices. Le paradis, dans le Nouveau Testament, c’est pour ainsi dire l’Éden céleste, où tout est grâce ineffable, pure fraîcheur et parfait repos. C’est le « paradis de Dieu » (Apocalypse 2:7).
La précieuse dépouille du Seigneur a été confiée au sépulcre pour un peu de temps. Son âme sainte a atteint le paradis le jour même du crucifiement.
En vertu de l’oeuvre expiatoire du Sauveur, l’âme du malfaiteur repentant est entrée dans le paradis, le même jour, selon la parole du Seigneur : « En vérité, je te dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23:43).
La réponse du Seigneur nous fait connaître la condition immédiate des croyants qui s’endorment en lui. C’est la bienheureuse intimité avec le Sauveur, en attendant les gloires de la résurrection. Et cette part bénie constitue pour la foi des pécheurs repentants une réalité immédiate.
Un seul autre passage du Nouveau Testament nous instruit sur le même sujet. C’est la magnifique scène du ravissement de l’apôtre Paul dans la première partie du chapitre 12 de la seconde Épître aux Corinthiens.
Quatorze ans avant la rédaction de la seconde Épître aux Corinthiens, l’apôtre avait été ravi au troisième ciel, jusque dans la présence de Dieu.
Paul s’exprime en ces termes : « Je connais un homme en Christ, qui, il y a quatorze ans ( si ce fut dans le corps, je ne sais ; si ce fut hors du corps, je ne sais ; Dieu le sait ), je connais un tel homme qui a été ravi jusqu’au troisième ciel. Et je connais un tel homme ( si ce fut dans le corps, si ce fut hors du corps, je ne sais, Dieu le sait, )— qu’il a été ravi dans le paradis, et a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme d’exprimer » (2 Corinthiens 12:2 à 4).
En disant : « un homme en Christ » et « un tel homme (l’homme de cette qualité) », l’apôtre signifie que le séjour au paradis ne lui est pas strictement personnel mais qu’il s’applique, après la mort, réellement à tout croyant qui s’est endormi dans le Seigneur, et, pour la vie présente, virtuellement à tout croyant qui réalise ce que c’est que d’être « en Christ ».
Quant aux mots « si ce fut dans le corps, je ne sais, si ce fut hors de son corps, je ne sais, Dieu le sait », « Si ce fut dans le corps, si ce fut hors du corps, je ne sais, Dieu le sait », ces expressions montrent que, dans l’état de béatitude ineffable où il s’était trouvé au paradis, l’apôtre Paul n’avait pas conscience de l’absence ou de la présence de son corps. Son corps, en d’autres termes, n’avait pas participé aux béatitudes du paradis. Le paradis a ses mystères qu’il n’appartient pas à l’homme d’exprimer.
L’enseignement de l’apôtre Paul est rigoureusement conforme à la seconde parole du Seigneur sur la croix.
Dans Luc 23:43 et dans 2 Corinthiens 12:2 à 4, il ne s’agit pas de la résurrection des corps. Ce grand sujet se trouve traité ailleurs dans l’Écriture, notamment dans le chapitre 15 de la première Épître aux Corinthiens.
Ainsi donc, la seconde parole du Sauveur sur la croix ouvre au pécheur repentant l’accès du paradis et lui révèle la douceur de la bienheureuse intimité avec le Seigneur de gloire, dans le ciel.
En parlant des joies délicieuses du paradis où la foi conduit les rachetés du Seigneur, l’apôtre Paul a reflété le caractère et suivi l’exemple du Sauveur.
Après être descendu sur la terre auprès des hommes, en Jésus-Christ, Dieu élève les croyants jusqu’auprès de lui dans le ciel, avec Jésus-Christ.
Montrer aux hommes le chemin du paradis, c’est l’une des plus belles oeuvres de la vie divine.
Gloire au Fils de l’homme et au Fils de Dieu, qui nous a ouvert l’accès et les félicités du paradis !
La troisième parole du Sauveur sur la croix — parole dont nous avons indiqué la place vraisemblable dans l’Introduction de ce travail — se trouve rapportée dans l’Évangile selon Jean. Elle établit un lien divin entre Marie, la mère de Jésus, et Jean, son disciple bien-aimé, un lien doux et puissant entre les rachetés du Seigneur. Et c’est encore une manifestation efficace de la vie divine.
La présence de cette troisième parole dans l’Évangile qui montre à notre foi surtout le côté divin de la personne du Sauveur ne doit procurer aucun étonnement. Le Verbe est Dieu. Mais le Verbe est devenu chair. Et l’Évangile de la Divinité lui-même appelle Jésus « un homme » (1:30). Tout est à sa place dans la Parole de Dieu. Et l’amour divin lui-même illumine les affections humaines.
Voici l’admirable description que contient le quatrième Évangile :
« Or, près de la croix de Jésus, se tenaient sa mère, et la soeur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus donc voyant sa mère, et le disciple qu’il aimait se tenant là, dit à sa mère : Femme, voilà ton fils. Puis il dit à son disciple : Voilà ta mère. Et, dès cette heure-là, le disciple la prit chez lui » (Jean 19:25 à 27).
Il n’est pas sans intérêt de remarquer, d’après ce passage de Jean, que, contrairement à une opinion assez répandue, le Sauveur ne paraît pas avoir eu de frères à proprement parler. Dans le récit de Luc 2:39 à 52, la présence du Sauveur à la fête de Pâque se justifie par son âge — douze ans — mais aucun autre enfant n’apparaît ni dans la société, ni dans les préoccupations des parents du Seigneur. La double indication fournie par Luc 2:39 à 52 et Jean 19:25 à 27 est frappante. S’il faut le dire en passant, ceux que le Nouveau Testament appelle, en un sens un peu large, mais qui ne cesse pas d’être naturel pour une famille juive, les « frères » de Jésus (Matthieu 13:55. Cf. Marc 6:3 ; Jean 7:2, 5 et 10 ; Actes 1:14 ; Galates 1:19 ; 1 Corinthiens 9:5) peuvent très bien avoir été, selon notre propre terminologie, ses cousins germains, dont la vie, à Nazareth, semble du reste s’être déroulée en partie sous le même toit que celle du Sauveur.
La scène que nous décrit le quatrième évangile (19:25 à 27) est pleine de grâce :
Près de la croix de Jésus, se tiennent sa mère, que le Seigneur, pour remplir son ministère divin, avait dû ne pas reconnaître et dont une épée transperçait l’âme (cf. Luc 2:35), Marie de Clopas, et Marie de Magdala, trois saintes femmes qui avaient suivi et servi le Sauveur pendant sa vie ici-bas. Elles sont là, près de la croix. Jésus voit sa mère et le disciple qu’il aimait. Son oeuvre en voie d’achèvement, le Seigneur reprend, pour un instant, avant de les quitter pour toujours, ses parfaites affections humaines, et apporte au délaissement de sa mère et du disciple qu’il aimait le plus doux soulagement. Il dit à sa mère : « Femme, voilà ton fils », et à son disciple : « Voilà ta mère ». Et, dès ce moment-là, le disciple la prit dans sa maison.
La tendresse du coeur du Seigneur se manifeste sur la croix avec une plénitude de douceur ineffable. Gloire à lui, gloire sans cesse.
La troisième parole du Sauveur crucifié indique la troisième oeuvre de la vie, celle qui consiste à établir un lien divin entre les âmes des croyants. L’exemple du Seigneur unissant les coeurs de Marie et de Jean est pareil à une source féconde jaillissant en vie éternelle. L’Esprit de vérité glorifie le Seigneur en prenant de ce qui lui appartient pour le communiquer à ses disciples (cf. Jean 16:13 à 15).
Il y a, dans la troisième parole du Seigneur sur la croix, comme la primeur de cet « amour dans l’Esprit », de cet « amour qui est le lien de la perfection », dont l’apôtre Paul parle plus tard dans l’Épître aux Colossiens (1:8 et 3:14) et donne une si belle illustration dans son Épître à Philémon.
Une délicatesse exquise remplit l’Épître de Paul à Philémon. L’apôtre, avec un coeur débordant de grâce et d’amour, se substitue à l’esclave coupable, comme le Sauveur s’est substitué aux pécheurs ; et il établit, entre le serviteur fugitif et le maître lésé, un lien spirituel d’une inaltérable solidité.
Voici la partie principale de l’intercession pleine de tact que Paul adresse à son frère et collaborateur Philémon, en faveur d’Onésime :
« C’est pourquoi, tout en ayant une grande liberté en Christ de te commander ce qui convient, — à cause de l’amour, je te prie plutôt, étant tel que je suis, Paul, un vieillard, et maintenant aussi prisonnier de Jésus Christ, je te prie pour mon enfant que j’ai engendré dans les liens, Onésime, qui t’a été autrefois inutile, mais qui maintenant est utile à toi et à moi, lequel je t’ai renvoyé, — lui mes propres entrailles. Moi, j’aurais voulu le retenir auprès de moi, afin qu’il me servît pour toi dans les liens de l’Évangile ; mais je n’ai rien voulu faire sans ton avis, afin que le bien que tu fais ne fût pas l’effet de la contrainte, mais qu’il fût volontaire.
Car c’est peut-être pour cette raison qu’il a été séparé de toi pour un temps, afin que tu le possèdes pour toujours, non plus comme un esclave, mais au-dessus d’un esclave, comme un frère bien-aimé, spécialement de moi, et combien plus de toi, soit dans la chair, soit dans le Seigneur. Si donc tu me tiens pour associé à toi, reçois-le comme moi-même ; mais, s’il t’a fait quelque tort ou s’il te doit quelque chose, mets-le-moi en compte. Moi, Paul, je l’ai écrit de ma propre main ; moi, je payerai, pour ne pas dire que tu te dois toi-même aussi à moi. Oui, frère, que moi, je tire ce profit de toi dans le Seigneur : rafraîchis mes entrailles en Christ » (Philémon 8 à 20).
L’Épître à Philémon souligne l’importance de ce lien spirituel qui s’établit entre les âmes, selon le plan de Dieu, et dont la constitution, sans cesse renouvelée comme la troisième oeuvre de la vie, brille ainsi qu’un reflet de la gloire morale du Christ dans ses rachetés.
La quatrième parole du Sauveur sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27:46 ; Marc 15:34) est le cri de détresse qui résume et qui condense, à la fin des trois heures de ténèbres, tous les tourments de l’expiation. C’est la formule de la douleur absolue. Elle exprime la souffrance suprême de celui qui a reçu des mains de son Père, au jardin de Gethsémané, le terrible calice du courroux divin, et qui, abandonné de son Dieu, a bu jusqu’à la lie, la coupe amère sur le bois maudit de la croix. Le Sauveur ici-bas, « quoiqu’il fût Fils, a appris l’obéissance par les choses qu’il a souffertes » (Hébreux 5:8). Et il est « devenu obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix » (Philippiens 2:8). La souffrance est un trait fondamental de la vie du Seigneur, un caractère essentiel de la vie chrétienne sur la terre.
En raison de son importance et de sa solennité, la quatrième parole du Christ sur la croix se trouve répétée dans deux Évangiles à la fois, l’Évangile selon Matthieu et l’Évangile selon Marc. Il y a là une exception unique. Aucune autre des sept paroles du Sauveur sur la croix ne nous a été conservée dans plus d’un texte du Nouveau Testament.
En prononçant les mots « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », le Seigneur a cité le commencement du Psaume 22. Chacun des deux Évangiles selon Matthieu et selon Marc contient cette phrase deux fois ; car chacun de ces deux textes donne d’abord la phrase transcrite du sémitique, ensuite sa traduction en grec. Ce procédé augmente l’importance et rehausse la solennité de la quatrième parole du Sauveur sur la croix.
L’examen précis des faits matériels que nous présentent les textes permet d’étudier dans de meilleures conditions la portée spirituelle de cette parole.
Nous lisons dans l’Évangile selon Matthieu : « Mais, depuis la sixième heure, il y eut des ténèbres sur tout le pays, jusqu’à la neuvième heure. Et vers la neuvième heure, Jésus s’écria d’une forte voix, disant : Éli, Éli, lama sabachthani ? c’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (27:45 et 46) ; et dans l’Évangile selon Marc : « Et quand la sixième heure fut venue, il y eut des ténèbres sur tout le pays jusqu’à la neuvième heure. Et à la neuvième heure, Jésus s’écria d’une forte voix, disant : Éloï, Éloï, lama sabachthani ? ce qui, interprété, est : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (15:33 et 34).
Matthieu ajoute : « Et quelques-uns de ceux qui se tenaient là, ayant entendu cela, disaient : Il appelle Élie, celui-ci ! » (27:47) et Marc : « Et quelques-uns de ceux qui étaient là présents, ayant entendu cela, disaient : Voici, il appelle Élie » (15:35).
Dans l’Évangile selon Matthieu, avant la traduction en grec de la quatrième parole du Sauveur crucifié, les mots « Mon Dieu, mon Dieu » se trouvent transcrits de l’hébreu, et le reste de la phrase est transcrit de l’araméen. Dans l’Évangile selon Marc, la phrase sémitique qui précède la traduction grecque est tout entière araméenne.
Il est probable que le Seigneur a poussé son cri de détresse en araméen, mais qu’il a prononcé les mots : « Mon Dieu, mon Dieu » en hébreu, avec l’intention de rattacher d’une manière directe ses tourments expiatoires au début du Psaume 22 et, par-là, aux Écritures de l’Ancien Testament.
Trois faits semblent confirmer cette hypothèse :
En premier lieu, le participe grec, rendu dans notre traduction de Matthieu 27:46 par ces mots « Jésus s’écria d’une forte voix », signifie dans la langue du premier Évangile « en ces termes ». La traduction littérale est : « Jésus poussa un cri en ces termes ». Il s’agit du participe du verbe « dire », participe qui, dans la langue de l’époque, avait pris un sens un peu adverbial. L’expression « en ces termes », qui paraît indiquer une citation précise, se trouve dans le texte de Matthieu, mais ne se trouve pas dans celui de Marc.
En second lieu, la traduction du début du Psaume 22 dans les Évangiles selon Matthieu et selon Marc rappelle en quelque mesure le texte de la Septante ou version grecque de l’Ancien Testament. Chacun des deux Évangiles en reproduit même librement certains mots. Mais il est visible que la citation de ce passage dans le Nouveau Testament n’est pas faite littéralement d’après la Septante, comme c’est le cas si souvent ailleurs dans l’Écriture. Les différences qui existent dans le menu détail linguistique entre Matthieu 27:46 et Marc 15:34, en regard du verset de la Septante (où le Psaume 21 correspond au Psaume 22 de la Bible hébraïque, parce que les Psaumes 9 et 10 se trouvent réunis ensemble), ne laissent aucun doute sur ce point. La citation du début du Psaume 22, dans la bouche du Seigneur, est une citation directe.
Enfin, la confusion de certains auditeurs qui ont cru que le supplicié appelait Élie, confusion qui a fourni à certains autres la matière de nouveaux et odieux sarcasmes, donne une troisième indication. Le nom grec d’Élie offre plus de ressemblance avec les mots « Mon Dieu, mon Dieu » en hébreu qu’avec les mêmes mots en araméen. La confusion dont il s’agit s’explique aisément. À l’époque du Sauveur, l’hébreu n’était plus qu’une langue religieuse et nationale. En tant que langue parlée, l’araméen avait depuis longtemps supplanté l’hébreu en Palestine comme sur d’autres territoires. Un grand nombre des Juifs qui se rendaient à Jérusalem pour la fête de Pâque avaient d’ailleurs le grec pour langue usuelle et ne possédaient qu’une connaissance rudimentaire ou à peu près nulle de l’araméen.
Ainsi donc, le Seigneur paraît avoir prononcé les mots « Mon Dieu, mon Dieu » en hébreu et cité ces mots d’après le texte original du Psaume 22.
La façon directe dont le Sauveur semble avoir voulu rattacher son cri douloureux et ses souffrances expiatoires au Psaume 22 — et par-là même aux Écritures de l’Ancien Testament — est un fait d’une portée capitale.
L’emploi de l’araméen pour la suite de la phrase, dans les deux Évangiles selon Matthieu et selon Marc, avant la traduction grecque des mots : « pourquoi m’as-tu abandonné ? », n’offre rien que de très naturel. Le Sauveur avait parlé l’araméen dès sa plus tendre enfance. Et nous trouvons l’emploi de cette langue dans sa bouche en une autre occasion solennelle (Marc 14:36).
Les Évangiles selon Matthieu et selon Marc rapportent, d’une manière frappante, la quatrième parole que le Sauveur a prononcée du haut de la croix. Et ces deux textes nous indiquent le moment exact où le Seigneur a poussé son cri douloureux ; ce moment offre une importance considérable.
Les Évangiles nous présentent le côté historique du crucifiement. Le Psaume 22 nous fait connaître ce qui s’est passé dans l’âme et dans le coeur du Sauveur pendant son supplice et surtout pendant les trois heures de ténèbres.
Les premiers mots du Psaume 22 — ceux que le Seigneur a historiquement prononcés sur la croix — annoncent et résument le sujet du Psaume.
Le fait que le Seigneur a poussé le cri « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » à la fin des trois heures de ténèbres prouve que ce cri résume ou, pour mieux dire, condense toutes les douleurs de l’expiation.
Les autres paroles contenues prophétiquement dans le Psaume 22 révèlent à notre foi ces prières, tout abîmées de silence, que le Seigneur a faites en lui-même sur la croix. Mais l’Écriture ne dit nulle part que les lèvres du Sauveur les ont réellement prononcées. Ce sujet prend une grandiose solennité dans le cadre, à la fois discret et profond, que le Saint-Esprit, pour notre instruction, lui a donné.
À vrai dire, le Psaume 22 dépasse en quelque mesure les limites de l’expiation proprement dite. En d’autres termes, l’expiation forme le sujet essentiel du poème ; et tout le reste vient se rattacher au sujet central de l’expiation.
En présence du tableau grandiose et solennel de l’expiation, l’attitude normale des rachetés, dans la suite des âges, est le prosternement, l’extase et l’adoration. L’hommage de l’Église commence sur cette terre aride, où notre Seigneur Jésus-Christ a souffert, et se continue, pour l’éternité, dans la joie du ciel, où le diadème de gloire a remplacé la couronne d’épines sur la tête du Sauveur.
Ici-bas, l’adoration voudrait rester muette, car les expressions humaines ne sont pas à la hauteur des merveilles ineffables qui remplissent le ciel. Quelques remarques permettent, toutefois, de mieux comprendre les souffrances du Seigneur et le cri de détresse infinie qui constitue la quatrième parole du Sauveur sur la croix. Les faits sur lesquels l’Écriture appelle notre attention sont de nature à mettre nos coeurs en harmonie avec la louange céleste.
Les textes de l’Écriture nous montrent, d’un côté, les souffrances que le Sauveur a endurées du fait des hommes pour la justice, de l’autre côté, les souffrances que le Sauveur a dû subir de la part de Dieu lui-même pour l’expiation. Les souffrances du Seigneur pour la justice ont précédé, accompagné et sans doute suivi ses douleurs expiatoires. Mais elles n’étaient pour le Sauveur que les bords de la coupe amère. La coupe amère elle-même, c’étaient les souffrances du Seigneur sous l’abandon et dans l’éloignement de son Dieu.
Il faut distinguer, d’autre part, les souffrances morales et les souffrances physiques du Sauveur.
L’Écriture marque, enfin, les souffrances du Messie en sympathie avec son peuple.
Il importe de souligner la plénitude des souffrances du Seigneur sur la croix.
Pour participer à tout ce que comportait le crucifiement, le Sauveur a goûté le « vinaigre mêlé de fiel », le « vin mixtionné de myrrhe » ; mais il n’a pas voulu boire le breuvage stupéfiant que les condamnés recevaient d’ordinaire, avant le supplice de la croix, pour atténuer leurs tourments (Matthieu 27:34 ; Marc 15:23). Le Saint et le juste n’a accepté aucun allégement à ses douleurs. Le Christ a éprouvé, dans les parfaites clartés de sa conscience pure, toute l’horreur et toute l’amertume du péché, toute la puissance de Satan et tout l’effroi de la mort, toutes les terreurs et toutes les angoisses du jugement inexorable de Dieu. Et c’est avec l’incomparable délicatesse d’une sensibilité dont rien n’atténuait la puissance que le Christ a supporté tous ses autres tourments : souffrances morales et tortures physiques.
Contemplons le Christ sur la croix.
Aucun texte ne décrit les souffrances physiques du crucifiement avec la même précision que le Psaume 22.
Les mains et les pieds du Sauveur ont été brutalement percés. Le corps du Seigneur mis en croix ressent les cruels effets d’une position tout à fait contraire aux lois de la nature. Sous l’empire de la souffrance, les forces déclinent et la vie paraît se retirer peu à peu (cf. le verset 14 avec 2 Samuel 14:14). Condamnée à la rigidité, la charpente osseuse devient si douloureuse qu’elle semble se disloquer. La circulation du sang, troublée dans son cours normal, provoque dans le corps du Sauveur des maux atroces. Les chairs flétries par les rigueurs du supplice laissent voir la saillie des os meurtris. La torture de la soif brûlante accable le Seigneur. Et la poussière de la mort lui fait sentir sa redoutable odeur.
Sous l’ardeur du jugement de Dieu, le Saint et le juste a senti sa vie se répandre comme de l’eau, tous ses os se disjoindre, son coeur, comme de la cire, fondre au-dedans de ses entrailles, sa vigueur se dessécher comme un têt, sa langue s’attacher à son palais ; et il eût compté tous ses os, tant chacun lui causait de douleur !
Dans cette partie du Psaume 22 (versets 14 à 17), le texte décrit littéralement les tortures corporelles du crucifiement et métaphoriquement les ardeurs du jugement de Dieu. Plusieurs versets et membres de versets comportent ainsi deux sens dont l’intérêt poignant égale l’admirable richesse.
D’autres passages insistent sur les souffrances morales du Seigneur. L’opprobre des hommes, le mépris du peuple, les regards éhontés, les railleries et les sarcasmes des spectateurs, la présence des méchants et l’injure des clous, la honte et l’ignominie du supplice constituaient de terribles douleurs morales pour le Seigneur sur la croix.
Le Christ a éprouvé le mépris du peuple qui reniait son Messie et l’opprobre du monde qui rejetait son Sauveur. Le Christ a senti que les bourreaux qui se partageaient ses vêtements, conformément à la loi sur les biens des condamnés, et qui tiraient sa robe au sort, le déclaraient déchu de la vie et retranché de la terre des vivants. Comme l’auteur de l’Épître aux Hébreux l’enseigne de son côté (12:3), le chef et le consommateur de la foi a « enduré la contradiction des pécheurs contre lui-même ».
De tous ces maux, le Seigneur a profondément souffert. Mais qu’étaient pour lui ces maux, pourtant cruels, en comparaison des douleurs morales de l’expiation, c’est-à-dire de ses douleurs suprêmes ?
Contemplons le Christ sur la croix.
Le Christ est en détresse, seul entre la terre et le ciel. Le Saint et le juste est là, sur la croix, rejeté de la terre et des hommes en raison même de son excellence et de ses perfections. Le Saint et le juste est là, sur la croix, repoussé du ciel voilé de ténèbres, abandonné de son Dieu Fort. Il « a porté lui-même nos péchés en son corps sur le bois » (1 Pierre 2:24). Il « l’a fait péché pour nous » (2 Corinthiens 5:21). Il est « maudit de Dieu » (Galates 3:13 et Deutéronome 21:23). Victime expiatoire infinie, il subit l’éternité de notre châtiment (cf. Ésaïe 53:5).
Le Christ est abandonné et éloigné de son Dieu, sous le poids écrasant de nos péchés, dans les angoisses de l’inexorable obscurité. Abandonné de son Dieu pendant les trois heures de ténèbres, le Christ se trouve privé de la bienheureuse communion de son Père dans laquelle il avait toujours vécu…
Le Saint et le juste est là, sur la croix, en proie à toutes les douleurs. Il est là, sans réponse, sans repos, et sans secours. Sa détresse augmente… Satan redouble ses assauts contre lui. Il se sent mis dans la poussière de la mort. L’épée du jugement, celle qui doit atteindre le pasteur de néant, frappe, pour ainsi dire, le Bon Berger de Dieu (cf. Zacharie 13:7 et 11:17). Et l’empire de Satan menace d’engloutir le Sauveur affligé, le Seigneur dont le cri déchirant recevra une réponse glorieuse dans les splendeurs de la résurrection, mais dont la prière, pendant les trois heures de ténèbres, ne passe point (cf. Lamentations de Jérémie 3:44)…
La valeur infinie et la perfection absolue du Sauveur expliquent comment l’oeuvre éternelle de l’expiation a pu s’accomplir dans le temps limité des trois heures de ténèbres.
Au milieu des épreuves et des souffrances de la passion, la gloire morale du Seigneur brille comme une lumière resplendissante. Le Christ abandonné se sent comme un ver. Il continue de s’adresser à son Dieu Fort avec une parfaite confiance. Il proclame la sainteté de celui qui habite au milieu des louanges d’Israël. Sa détresse augmente ; il invoque encore l’Éternel. Pas un seul instant, le Sauveur crucifié ne quitte celui dont il est délaissé. Manifestées au sein même de l’ignominie et de la douleur, la perfection personnelle et les gloires morales du Christ gardent un éclat éternel…
En raison des nécessités inéluctables de l’expiation, Dieu n’a pas pu répondre immédiatement au cri déchirant de son fils crucifié. Mais Dieu a répondu à son Fils bien-aimé, comme il le pouvait, en le couvrant de gloire dans les radieuses splendeurs de la résurrection. Dieu a délivré le Saint et le juste de la puissance de la mort qui le transperçait. Dieu a sauvé le Christ des profondeurs de la mort dans laquelle il était entré. Et la mort n’a pas pu retenir le Seigneur dans son sein (cf. Hébreux 5:7 ; Actes 2:24).
Le Sauveur ressuscité n’est plus seul. Ses heureux rachetés l’entourent. Sa personne adorable devient pour les siens un centre de rassemblement, ainsi qu’il l’avait indiqué, avant son supplice, en ces termes mémorables : « Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Matthieu 18:20).
Présent en personne et en esprit au milieu de ses rachetés, le Seigneur de gloire se sert lui-même de nos bouches par le Saint-Esprit au milieu de l’assemblée pour adorer Dieu (Psaume 22:22 ; Hébreux 2:12).
L’auteur de l’Épître aux Hébreux écrit : « Il n’a pas honte de les appeler frères, disant : « J’annoncerai ton nom à mes frères ; au milieu de l’assemblée je chanterai tes louanges » (2:11 et 12). À une légère différence près, « J’annoncerai » au lieu de « Je raconterai » (un seul mot dans le texte original), Hébreux 2:12 est la citation rigoureusement textuelle du verset 22 du Psaume 22 d’après la Septante (22:22 = 21:23 dans la Septante).
La douce appellation de frères se trouve aussi dans le message confié à Marie par le Seigneur ressuscité , à l’adresse de ses disciples, avant son ascension : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, et vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean 20:17).
Après le triomphe du Sauveur, vient sa célébration solennelle (cf. 2 Corinthiens 2:14 à 17).
Les souffrances du Seigneur sur la croix fournissent la matière d’une louange infinie, comme le montre la fin du Psaume 22.
Le résidu d’Israël, l’Église (littéralement représentée dans le Psaume 22 par le résidu juif qui en a formé le premier noyau sur la terre), la postérité d’Israël, les nations millénaires célèbrent l’Éternel.
Sur la sainte montagne de la transfiguration, Moïse et Élie, apparaissant en gloire, s’entretiennent avec le Sauveur et célèbrent aussi sa mort (Luc 9:30 et 31).
Le salut individuel de nos âmes et de nos corps , le rassemblement des rachetés du Sauveur autour de sa personne sur la terre et dans la gloire éternelle, la louange universelle et infinie, voilà la multiple réponse de l’amour de Dieu au cri douloureux de son Fils : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27:46 ; Marc 15:34).
Toutes les grâces, tous les bienfaits, tous les privilèges dont les chrétiens jouissent, individuellement et collectivement, ont pour source les souffrances du Seigneur sur la croix et son sacrifice d’amour. Et toutes les souffrances du Sauveur sont contenues et condensées dans ce cri de détresse suprême, dans ce cri unique et sans pareil que le Saint et le juste a poussé du haut de la croix, à la fin des trois heures de ténèbres et d’expiation, dans ce cri dont le souvenir, consigné par exception dans deux Évangiles, retentit à travers les âges, s’impose à notre foi présente, et reste pour l’éternité la formule de la douleur absolue.
Génératrice de résultats féconds et permanents, la douleur se présente à nous comme le caractère essentiel de la vie terrestre du Sauveur. La douleur est, pour les disciples du Seigneur, une formule bienfaisante et salutaire. « Les souffrances du Christ abondent » dans la vie de l’apôtre Paul et dans l’existence de ses frères (2 Corinthiens 1:5 et 7). Toutes proportions gardées, il n’est pas étonnant que la douleur en nous soit un trait fondamental de la vie chrétienne. Nous ne pouvons « marcher en nouveauté de vie » (Romains 6:4) qu’en fonction de la douleur par laquelle Dieu nous fait, en une certaine mesure, malgré notre faiblesse, passer par la grande ombre des souffrances de son Fils, « pour le connaître lui, la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances ». C’est ce que l’apôtre Paul écrivait aux Philippiens, en parlant de sa course vers le Christ dans la gloire, et en ajoutant, pour son propre compte et pour notre instruction à tous : « étant rendu conforme à sa mort, s’il y a quelque moyen pour moi de parvenir à la résurrection d’entre les morts » (3:10 et 11). La même Épître nous montre que Paul considérait les souffrances pour le Christ comme un don de grâce. Sa lettre aux chrétiens de Philippes contient, en effet, ces mots : « il vous a été donné comme une grâce, pour Christ, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui » (1:29).
Et, si nous ne pouvons en aucune façon partager les souffrances expiatoires du Seigneur, dont le sacrifice parfait (Jean 19:30) a été offert « une fois pour toutes » (Hébreux 7:27 ; 9:28 ; 10:10), jusque dans ses souffrances expiatoires que nous ne saurions partager, « le Christ nous a laissé un modèle afin que nous suivions ses traces » (1 Pierre 2:21), le coeur tout embaumé du parfum de son amour.
Gloire au Sauveur dont le douloureux sacrifice a rompu nos chaînes ! Gloire au Seigneur ressuscité après l’ignominie suprême et les tourments mortels du supplice de la croix ! Gloire au Christ dans les tristesses de la vie présente et dans la joie des siècles éternels !
La cinquième parole du Sauveur sur la croix : « J’ai soif » — un seul mot dans l’original grec — nous est rapportée dans le quatrième Évangile. Elle indique, elle aussi, un caractère de la vie du Seigneur et de la vie chrétienne.
Jean l’évangéliste s’exprime en ces termes : « Après cela, Jésus, sachant que toutes choses étaient déjà accomplies, dit afin que l’Écriture fût accomplie : J’ai soif. Il y avait donc là un vase plein de vinaigre. Et ils emplirent de vinaigre une éponge, et l’ayant mise sur de l’hysope, ils la lui présentèrent à la bouche » (Jean 19:28 et 29).
La suite du texte, c’est-à-dire le récit de ce qui arriva après que Jésus eût pris le vinaigre, concerne la sixième parole du Seigneur : « Tout est accompli ».
La cinquième parole du Seigneur sur la croix appelle d’importantes et nombreuses remarques :
Le fait que la cinquième parole du Sauveur crucifié se trouve conservée dans l’Évangile qui nous présente essentiellement la divinité du Seigneur offre un intérêt capital. Une telle constatation jette beaucoup de lumière sur le sens de cette parole.
Le texte de Jean indique avec une parfaite clarté que le Sauveur a prononcé les mots : « J’ai soif » après les trois heures de ténèbres et d’expiation : « C’est accompli ».
Le quatrième Évangile montre de plus que le Seigneur a dit : « J’ai soif » avec l’intention formelle d’accomplir l’Écriture. Les passages que le Seigneur a voulu réaliser sont sans doute : « Ma langue est attachée à mon palais » (Psaume 22:15) et « Dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre » (Psaume 69:21). Notre Seigneur Jésus-Christ attachait à l’Écriture une importance extrême (cf. Jean 5:46 et 47).
Le vinaigre ou vin aigri trempé d’eau dont il s’agit en Jean 19:29 était la boisson ordinaire des soldats romains. Ces derniers devaient l’emporter dans toutes leurs expéditions, au nombre desquelles les exécutions capitales ne manquaient pas d’être comptées.
Il ne faut en aucune façon confondre cette boisson avec le breuvage stupéfiant dont parlent Matthieu 27:33-34 et Marc 15:23, breuvage qui a été offert au Sauveur, selon l’usage, avant sa mise en croix, auquel il a porté les lèvres, mais dont il n’a pas voulu boire.
Le Seigneur a pu « être abreuvé de vinaigre » au moyen d’une éponge fixée à une humble tige d’hysope — semble-t-il longue de quarante centimètres au plus — parce que la croix, à la différence d’une croyance assez répandue, était peu élevée. Le mot « hysope » ne se lit que dans un seul autre passage du Nouveau Testament : Hébreux 9:19.
Matthieu (27:48) et Marc (15:36) racontent aussi que le Seigneur a été abreuvé de vinaigre. Et leur témoignage concorde avec celui de Jean au sujet du moment où le fait s’est produit. Les deux premiers Évangiles mentionnent une éponge mise au bout d’un « roseau ». Le mot littéralement traduit par « roseau », d’après son sens fondamental, pouvait très bien s’appliquer par extension à d’autres tiges, à une tige d’hysope, et même à certains objets. Dans la troisième Épître de Jean (verset 13), le même mot désigne le « roseau » ou « plume à écrire ».
Luc (23:36) parle aussi du vinaigre qui a été présenté au Sauveur. Mais l’événement n’occupe pas, dans le récit de Luc, la même place que dans les récits fournis par les autres Évangiles. S’il s’agit bien de la même scène, comme il est probable, la place qu’elle occupe dans le troisième Évangile n’a rien d’étrange. Luc a l’habitude de grouper, d’une part, les faits qui se trouvent aussi dans d’autres récits, de l’autre, ceux qui lui appartiennent en propre. Luc se plaît, en outre, à souligner les faits, à enchaîner les sujets, à marquer les contrastes moraux.
Luc est seul à raconter la conversion du malfaiteur repentant, à décrire sa situation morale, à faire ressortir le contraste qui existe entre sa conduite ou sa condition et l’état de son camarade de supplice. Et Luc groupe d’autres sujets pour peindre cette scène en un tableau à part.
Historiquement, le voile du temple s’est déchiré après la dernière parole et la mort du Sauveur, comme le montrent Matthieu 27:50-51 et Marc 15:37-38. Moralement, le déchirement du voile s’est réalisé en vertu de l’expiation accomplie pendant les trois heures de ténèbres, comme le marque Luc qui mentionne ce fait avant la dernière parole et la mort du Seigneur (23:45 et 46).
La connaissance des habitudes de composition du « médecin bien-aimé » (Colossiens 4:14) permet de trouver naturelle la mention du vinaigre dès le verset 36.
Nous avons déjà signalé le rôle important de la soif parmi les tourments physiques du supplice de la croix. À la souffrance physique s’ajoute la signification morale de la soif.
Placée dans le quatrième Évangile, la cinquième parole du Sauveur crucifié : « J’ai soif » revêt une solennité sans pareille. En raison du sujet qui lui est propre, Jean ne nous décrit pas les souffrances humaines du Sauveur. Jean se borne à faire allusion aux tourments du Fils de l’homme. L’Évangile selon Jean nous montre surtout que le Seigneur a senti l’aridité de ce monde ennemi, pour ainsi dire, jusque dans sa Divinité.
Le créateur de l’eau, des sources et des fontaines, le créateur des mondes, le Fils unique du Père (cf. 2 Jean 3), le Seigneur de gloire est là, sur la croix, et dit : « J’ai soif ». L’étranger céleste a eu soif dans ce monde aride, sur cette terre corrompue par le péché, au milieu d’une humanité en révolte contre Dieu.
La soif a caractérisé le ministère du Sauveur ici-bas : « Il vint chez soi ; et les siens ne l’ont pas reçu » (Jean 1:11). Les nations se sont unies aux tribus d’Israël (cf. Actes 4:26 et 27) pour rejeter le Saint et le juste, l’Oint de l’Éternel, le Sauveur des hommes, le Roi des rois.
Et la soif du Seigneur de gloire a trouvé son application littérale et son expression suprême, au comble de l’ignominie, sur le bois maudit de la croix.
La soif, qui a joué un rôle si important dans le ministère et dans le sacrifice du Sauveur lui-même, est un des traits distinctifs de la condition du chrétien ici-bas, une des manifestations principales de la vie divine, de la vie du Christ dans ses rachetés. La soif est un des caractères essentiels de la nature et de la vie chrétiennes. Le chrétien fidèle a soif ici-bas.
Avant l’époque du christianisme proprement dit, le Psaume 42 — dont le verset 7 parle prophétiquement des souffrances du Seigneur sur la croix — commence par ces mots : « Comme le cerf brame après les courants d’eau, ainsi mon âme crie après toi, ô Dieu. Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant. Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant Dieu ? » (1 et 2).
Au temps de sa prédication en Galilée, le Seigneur a dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et qui ont soif de la justice, car ils seront rassasiés » (Matthieu 5:6).
Dans sa seconde Épître aux Corinthiens (11:27) Paul mentionne la soif au nombre des souffrances qui accompagnent le ministère apostolique et le service de Dieu.
Tout est contraire à la vie chrétienne dans ce monde impur et frivole, où le Seigneur compte des détracteurs redoutables, où, hélas ! les hommes qui contemplent « la gloire de Dieu dans la face du Christ » (2 Corinthiens 4:6) mêlent à ce spectacle leur imperfection naturelle, et bien souvent ne se comprennent pas les uns les autres.
Comme le Christ, le chrétien fidèle, dans sa mesure, a soif ici-bas. Mais la voix consolante du Sauveur retentit par bonheur à ses oreilles :
« Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, moi, n’aura plus soif à jamais ; mais l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissant en vie éternelle » (Jean 4:14) ;
« Celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jean 6:35) ;
« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, selon ce qu’a dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive couleront de son ventre » (Jean 7:37 et 38).
Les passages de l’Ancien Testament dont il est question dans Jean 7:38 paraissent être surtout Ésaïe 55:1 et 58:11.
L’Évangile qui nous rapporte la cinquième parole du Sauveur sur la croix : « J’ai soif » est aussi celui qui nous montre la plénitude avec laquelle le Seigneur rafraîchit les siens au milieu des épreuves et des luttes de ce monde aride.
Dieu utilise la multiple difficulté des circonstances et des conditions de notre vie terrestre en vue de sa louange et du bien de ses enfants.
Si nous avons soif, nos frères ont soif aussi. Plusieurs versets nous montrent combien le Sauveur apprécie ce que nous faisons, par l’effet de sa propre grâce, même à notre insu, en vue de soulager la soif de ceux qui lui appartiennent (Matthieu 10:42 et Marc 9:11. Matthieu 25:35, 37, et 40).
Le Seigneur de gloire, qui a dit « J’ai soif » sur le bois de la croix (Jean 19:28), désaltère sans cesse les siens. Sa mort est la source intarissable de toute grâce et de toute bénédiction. Il est le « rocher » frappé d’où jaillit le « breuvage spirituel » dont nous avons besoin jour après jour en traversant le désert de ce monde (cf. 1 Corinthiens 10:4). Lui seul possède et donne « l’eau qui vit » et qui ôte la soif pour toujours (Jean 4:11 et 14). Il est « la vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée » (1 Jean 1:2). Il est « l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin » (Apocalypse 21:6). Il a souffert sur la croix. Et sa grâce nous rafraîchit jusque dans l’éternité. Sa voix victorieuse nous dit du haut du ciel : « À celui qui a soif, moi, je donnerai gratuitement de la fontaine de l’eau de la vie » (Apocalypse 21:6), et nous répète en s’adressant à tous les hommes « Que celui qui a soif vienne ! Que celui qui veut prenne gratuitement de l’eau de la vie ! » (Apocalypse 22:17).
Il est le Sauveur qui désaltère à tout jamais. Gloire à lui pour les siècles infinis !
La sixième parole du Sauveur sur la croix — « C’est accompli ». — constitue la formule par excellence du travail et du travail couronné. Le travail se présente à nous comme un caractère fondamental du Christ et de la vie chrétienne.
Le travail est en ce monde loi universelle. Avant son ministère public et indépendamment de ce ministère divin, les mains du Seigneur de gloire, venu en grâce ici-bas, ont tenu l’outil. L’Écriture nous montre en lui « le charpentier » (Marc 6:3) et le fils présumé du charpentier (Matthieu 13:55). Ce fait est touchant. Mais il ne concerne pas directement le « C’est accompli » de la croix. Cette sublime parole couronne l’oeuvre spirituelle du Christ et, par-dessus tout, son oeuvre expiatoire.
Le travail, et la prière en vue du travail, ont rempli l’existence du Sauveur pendant son ministère ici-bas, Le Seigneur disait : « Mon Père travaille jusqu’à maintenant et moi je travaille » (Jean 5:17). C’est ainsi que le Sauveur s’est rendu de lieu en lieu, versant ses bienfaits sur l’humanité souffrante et asservie, jusqu’au sacrifice suprême de la croix (cf. Actes 10:36 à 43).
Si le pénible travail est sur la terre loi universelle, c’est en raison du péché, de la désobéissance et de la chute de l’homme (cf. Genèse 3:8 à 19 ; Romains 5:12 à 21).
L’humanité tout entière, par suite de l’entrée du péché dans le monde, est en proie au désordre, au mal, et à la douleur. D’après la doctrine chrétienne, toute la création subit les conséquences amères du péché (cf. Romains 8:22). Les hommes ont sans cesse devant eux les séparations et les décrépitudes, les maladies et la mort.
L’esprit de l’homme naturel se révolte volontiers contre le désordre, contre la souffrance, contre le mal qui sévissent sur la terre et dont les conséquences s’étalent partout devant lui, mais, à tant de faits incontestables et tous les jours sensibles, ne trouve aucune explication plausible.
Seule la doctrine des Écritures, acceptée par les croyants, rend compte des désordres et des maux qui ravagent les individus, les sociétés, l’humanité, et toute la création. Seule la doctrine de la désobéissance flagrante, de la chute irrémédiable de l’homme, seule la doctrine du péché odieux et des fruits mauvais qu’il produit à tout instant, permet de comprendre ce qui se passe au sein de l’humanité et sur toute la surface de la terre. Cette constatation, qui entraîne pour les hommes la nécessité de l’expiation et de la rédemption, est pleine d’importance et de solennité.
Pour comprendre la nécessité de l’expiation et de la rédemption, il faut avoir le clair sentiment de la sainteté et de la majesté de Dieu (cf. Ésaïe 6:3 ; Apocalypse 4:8). Dieu hait le péché, car il est saint (Hébreux 12:10) et juste (Romains 1:17, etc.) ; mais il épargne les pécheurs, car il est amour (1 Jean 4:8 et 16).
L’expiation et la rédemption ne pouvaient s’accomplir sans le sacrifice d’une victime pure et parfaite. C’est pourquoi Dieu s’est pourvu d’« un agneau sans défaut et sans tache », dans la personne du Fils de son amour, notre adorable Sauveur et Seigneur Jésus-Christ (cf. 1 Pierre 1:19). Dieu « n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous » (cf. Romains 8:32). « Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous comme offrande et comme sacrifice à Dieu, en parfum de bonne odeur » (Éphésiens 5:2). Et « l’offrande du corps de Jésus-Christ », victime sainte et infinie, a eu lieu « une fois pour toutes » (Hébreux 10:10).
Il importe de remarquer la vigueur avec laquelle le Seigneur lui-même a souligné le caractère impératif de ses souffrances (Matthieu 16:21 ; Marc 8:31 ; Luc 9:22 et 24:26). L’Écriture insiste dans plusieurs autres passages sur la nécessité des souffrances du Christ (Luc 24:7 ; Actes 3:18 ; 1 Pierre 1:11).
Pour souffrir et pour mourir, le Sauveur a dû naître de femme (Galates 4:4), devenir homme et prendre la forme d’esclave (Philippiens 2:7 ; Hébreux 2:14 et 17). À la fois Dieu et homme — en vertu d’un mystère dont le Père a réservé le secret à sa propre autorité, car, en ce sens-là, « personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père » (Matthieu 11:27 ; Luc 10:22) — le Christ sur la croix a représenté en perfection Dieu devant l’homme et l’homme devant Dieu : Dieu dans l’exercice inéluctable des droits de sa sainteté et de sa justice, et, par-dessus tout, dans la manifestation éclatante de son amour (Jean 3:16 et 12:28) ; l’homme par substitution, sous le poids de la colère divine contre le péché et contre les péchés (1 Pierre 3:18 et 2:24 ; 2 Corinthiens 5:21. Cf. Ésaïe 53:4 et suivants). À la veille de sa passion, le Seigneur lui-même dit à ses disciples : « Je suis sorti d’auprès du Père et je suis venu dans le monde ; et de nouveau je laisse le monde et je m’en vais au Père » (Jean 16:28). Cet admirable verset résume d’une manière frappante l’activité du Sauveur. Le Seigneur quitte la place qu’il occupait de toute éternité comme Fils auprès du Père. Il vient dans ce monde pour révéler aux hommes la gloire et l’amour du Père et pour accomplir l’oeuvre immortelle de la croix. Il fait tout, sur la croix, pour la gloire de Dieu et pour le salut des hommes. Puis il quitte ce monde où il a séjourné comme envoyé du Père et comme étranger céleste. Il retourne auprès du Père, après le triomphe remporté sur la croix. Et, dans sa victoire, il entraîne ses rachetés avec lui, au-delà de la mort, dans les gloires de la résurrection, dans les splendeurs du sanctuaire, dans les félicités de la maison du Père. Tout est puissance dans l’oeuvre du Sauveur. Tout est amour dans l’histoire du Seigneur de gloire (Jean 3:35 ; 10:17 et 18 — Jean 14:31 — Jean 15:13 ; 13:1 — Jean 3:16 ; Jean 16:27).
Sur la croix, le Christ accomplit tout pour Dieu qui, à juste titre, exige tout.
Le péché est châtié. Nos péchés se trouvent expiés. Le péché du monde est ôté. Tous nos ennemis sont terrassés à jamais. Et nous sommes « rendus agréables » à Dieu « dans le Bien-aimé », pour le temps et pour l’éternité (Éphésiens 1:6).
Sur la croix, l’Homme saint et parfait, le « second homme descendu du ciel » (1 Corinthiens 15:47), le « dernier Adam » (1 Corinthiens 15:45) revendique publiquement, à la face du monde, et restaure dans sa pureté intégrale la gloire de Dieu ternie par le péché du genre humain et par les péchés des hommes. La gloire de Dieu demeure établie à la croix du Christ, pour l’éternité.
Et le Fils glorifie le Père, sur la croix, dans la révélation de son amour. L’amour souverain de Dieu, du Dieu saint et juste, qui ne peut supporter le mal, ni tenir les coupables pour innocents, brille en puissance sur la croix du Sauveur. Le Christ manifeste, dans la plénitude de son sacrifice accompli sur la croix, la paternelle tendresse et la majesté suprême du Dieu de grâce, dont il est le Fils unique et bien-aimé.
Tout est consommé. Désireux de réaliser l’Écriture, le Sauveur a bu le vinaigre trempé qui devait lui être présenté après sa cinquième parole (Jean 19:28 et 29).
« Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : C’est accompli. Et, ayant baissé la tête, il remit son esprit » (Jean 19:30).
Le quatrième Évangile indique avec précision le moment où le Sauveur crucifié a prononcé sa sixième parole.
Notre Seigneur Jésus-Christ dit, dans une paix majestueuse et sublime, la paix de la Divinité : « C’est accompli ».
La sixième parole du Sauveur place en quelque sorte le sceau de son autorité sur l’oeuvre parfaite et immortelle qu’il vient d’achever sur la croix.
Et cette parole, concise et magnifique, retentit Comme Un cri de victoire à travers les âges, jusque dans l’éternité.
« C’est accompli ». La grâce et la vérité ont resplendi d’une manière complète. L’oeuvre d’amour est terminée. Le péché est ôté pour toujours de devant Dieu. Le péché se trouve aboli. Tous ceux qui croient au Fils entre les mains duquel le Père a remis toutes choses (Jean 3:35) sont soustraits aux conséquences terribles du péché et délivrés pour toujours du péché lui-même. La gloire de Dieu est relevée. La mort est vaincue. Une bénédiction éternelle est établie, dont les splendeurs infinies illumineront le règne de paix et embelliront les nouveaux cieux et la nouvelle terre. Tout est accompli.
Notre Seigneur Jésus-Christ incline la tête, et, laissant lui-même sa vie humaine, détache son esprit de son corps, de ce corps qui était ici-bas le temple de Dieu. Le Seigneur remet son esprit, librement et magnifiquement, par un acte souverain, car il est Dieu. Jamais le Sauveur n’apparaît plus grand qu’à ce moment-là, sur la croix. Gloire au Fils de l’homme ! Gloire au Fils unique du Père ! Gloire au Divin Crucifié pour les siècles infinis !
Le début du chapitre 21 de l’Apocalypse nous parle du nouveau ciel et de la nouvelle terre (cf. 2 Pierre 3), de la nouvelle Jérusalem et de l’établissement de la sainte cité dans les temps éternels, de l’habitation de Dieu avec les hommes et du renouvellement de toutes choses. La réalisation des promesses et des paroles véridiques de Dieu apparaît désormais comme un fait accompli. Les mots : « Elles sont réalisées » ou « C’est fait » (Apocalypse 21:6) rappellent d’une façon frappante la sixième parole du Seigneur sur la croix. L’Écriture montre de la sorte avec quelle plénitude le « C’est fait » définitif de la nouvelle création repose sur le « C’est accompli » de la croix.
Le travail accompli est un caractère essentiel de la vie chrétienne comme il est un des traits distinctifs de la vie du Sauveur. L’Évangile selon Jean nous transmet, à ce sujet, les enseignements du Seigneur lui-même.
Notre Seigneur Jésus-Christ a dit (ce sont ses propres paroles) : « Travaillez, non point pour la viande qui périt, mais pour la viande qui demeure jusque dans la vie éternelle, laquelle le Fils de l’homme vous donnera ; car c’est lui que le Père, Dieu, a scellé » (Jean 6:27).
La façon dont le Sauveur associe les siens à son travail est touchante. Avant son supplice, le Seigneur donne aux siens les explications les plus claires : C’est ici mon commandement : Que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Personne n’a un plus grand amour que celui-ci, qu’il laisse sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis si vous faites tout ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus esclaves, car l’esclave ne sait pas ce que son maître fait ; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai ouï de mon Père. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis et qui vous ai établis, afin que vous alliez, et que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure ; afin que tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne. Je vous commande ces choses, c’est que vous vous aimiez les uns les autres » (Jean 15:12 à 17).
Le travail prescrit par le Seigneur est inspiré par l’exemple de son amour, s’opère avec l’intelligence de ses pensées, s’accomplit avec le secours de la prière.
C’est en vue d’une telle activité que Dieu, dès l’époque apostolique, a suscité ses plus grands serviteurs, et qu’à la lumière de l’Écriture, aujourd’hui encore, il appelle chacun de nous dans sa mesure. Or, nous ne pouvons réaliser notre part de ce travail qu’en reflétant l’amour et les caractères du Seigneur, qui a déclaré : « Séparés de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jean 15:5).
S’il faut « vivre dans la chair » disait l’apôtre Paul, « il en vaut bien la peine ». Philippiens 1:22). Sur ce point, ainsi que sur tant d’autres, la parole de l’apôtre Paul est comme un écho de la voix du Seigneur.
Malgré son zèle immense, l’apôtre Paul, durant ses longs travaux, n’a pu participer en aucune façon aux souffrances expiatoires du Sauveur. Le sacrifice expiatoire du Christ est un sacrifice unique et complet dans toutes ses parties. Mais, si le Seigneur a souffert d’abord et surtout pour sauver, le Seigneur a souffert « aussi pour rassembler en un les enfants de Dieu dispersés » (Jean 11:52). Et l’apôtre, « pour rassembler en un les enfants de Dieu dispersés », a dû ajouter en quelque mesure à l’oeuvre du Sauveur ses propres souffrances, comme nous le voyons dans l’Épître aux Colossiens, où Paul dit : « j’accomplis dans ma chair ce qui reste encore à souffrir des afflictions du Christ pour son corps qui est l’assemblée » (1:24).
Toute l’activité de l’apôtre tendait à remplir, coûte que coûte, la tâche que le Seigneur lui avait donnée et à garder intact l’ensemble des vérités merveilleuses dont le Christ est à la fois le centre et l’objet resplendissant. Aux anciens d’Éphèse, qu’il avait mandés à Milet, Paul dit : « Je ne fais aucun cas de ma vie, ni ne la tiens pour précieuse à moi-même, pourvu que j’achève ma course et le service que j’ai reçu du Seigneur Jésus, pour rendre témoignage à l’évangile de la grâce de Dieu » (Actes 20:24). Et dans sa dernière lettre, adressée à Timothée, le bien-aimé, Paul s’exprime en ces termes : « Pour moi, je sers déjà de libation, et le temps de mon départ est arrivé ; j’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi » (2 Timothée 4:6 et 7).
Un pareil exemple donne un grand poids aux recommandations de l’apôtre à ses frères. Paul écrit aux chrétiens de Corinthe et de l’univers : « Ainsi, mes frères bien-aimés, soyez fermes, inébranlables, abondant toujours dans l’oeuvre du Seigneur, sachant que votre travail n’est pas vain dans le Seigneur » (1 Corinthiens 15:58). À Archippe, de Colosses, Paul fait dire individuellement : « Prends garde au service que tu as reçu dans le Seigneur, afin que tu l’accomplisses » (Colossiens 4:17).
Le Sauveur ressuscité et glorifié, loin d’abandonner les siens à la peine, leur accorde, au contraire, sa protection, sa direction et son aide. La fin de l’Évangile selon Marc nous montre le travail des disciples et « le Seigneur coopérant avec eux et confirmant sa parole » des hauteurs du ciel (16:20).
Le livre des Actes (dont il importe de ne pas déformer le titre ancien par une addition malheureuse) est, en réalité, le livre des actes de notre Seigneur Jésus-Christ continuant son oeuvre, par le moyen de ses serviteurs, du sein des splendeurs de la résurrection, et, les premiers versets du texte mis à part, du haut de la gloire du ciel. Considéré comme un récit de l’activité de Pierre, de Paul ou d’autres chrétiens éminents, le livre des Actes semble être une oeuvre mal agencée, une composition pleine de lacunes et de défauts. Or, il suffit de rapporter, ainsi qu’il convient, les récits contenus dans ce texte, à la glorieuse et sublime personne du Seigneur ressuscité, pour faire apparaître aussitôt, comme par enchantement, la merveilleuse unité du livre.
Et le Seigneur ressuscité, en envoyant les siens dans son travail, leur a dit avant son ascension au ciel : « Voici, moi-même je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle » (Matthieu 28:20).
La septième parole du Christ sur la croix se trouve rapportée dans l’Évangile selon Luc, c’est-à-dire dans l’Évangile consacré à la sainte et glorieuse humanité du Seigneur.
L’Évangile selon Jean, qui a pour objet essentiel la divinité du Sauveur, montre comment le Seigneur a remis son esprit en tant que Dieu.
L’Évangile selon Luc fait voir comment le Sauveur a quitté cette vie en tant qu’Homme :
« Et Jésus, criant à haute voix, dit : Père ! entre tes mains je remets mon esprit ». Et ayant dit cela, il expira » (Luc 23:46).
Avec Luc 23:46, il convient de citer :
« Et Jésus, ayant jeté un grand cri, expira » (Marc 15:37).
« Et Jésus, ayant encore crié d’une forte voix, rendit l’esprit » (Matthieu 27:50).
Le texte de Marc dit en outre : « Et le centurion qui était là vis-à-vis de lui, voyant qu’il avait expiré en criant ainsi, dit : Certainement, cet homme était Fils de Dieu » (15:39). Bien que certains manuscrits (et non des moindres) ne contiennent pas le mot traduit par « après avoir crié », il importe de rapprocher Marc 15:37 et Marc 15:39. La déclaration du centurion fournit en tout état de cause une réponse à la septième parole du Seigneur : « Père ! entre tes mains je remets mon esprit ».
La déclaration du centurion et de ses subordonnés, rapportée dans Matthieu, offre un caractère plus général : « Et le centurion et ceux qui avec lui veillaient sur Jésus, ayant vu le tremblement de terre et ce qui venait d’arriver, eurent une fort grande peur disant : Certainement celui-ci était Fils de Dieu » (27:54).
Luc raconte, pour sa part, immédiatement après le récit de la septième parole et du dernier soupir du Sauveur, une autre déclaration du centurion, déclaration qui est en parfaite harmonie avec le sujet propre de son Évangile : « Et le centurion, voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu disant : En vérité, cet homme était juste » (23:47).
Le grand cri du Seigneur (Marc 15:37 ; Matthieu 27:50) est sans doute sa septième parole prononcée, comme Luc 23:46 le raconte, « d’une voix retentissante ».
Non seulement les expressions employées par Matthieu (27:50) et par Marc (15:37) s’accordent très bien avec le récit de Luc (23:46), mais encore, le mot grec traduit par « de nouveau » dans le verset de Matthieu (27:50) fournit une preuve décisive : ce terme ne peut se rapporter qu’au contenu du verset 46 de Matthieu 27, où nous entendons, pour ainsi dire, le Seigneur prononcer « d’une voix retentissante » sa quatrième parole, son cri de détresse profonde à la fin des trois heures de ténèbres : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Cette similitude de termes, renforcée par l’indication si précise de Matthieu — « de nouveau » — et par la déclaration du centurion (Marc 15:39), fait briller la lumière de l’évidence et permet d’atteindre l’assurance d’une pleine certitude.
Le dernier cri que le Seigneur a poussé « à haute voix » (Luc 23:46 ; Matthieu 27:50 ; Marc 15:37) atteste toute la force et toute l’énergie vitale que le Seigneur avait conservées à travers ses maux et ses tourments cruels, et montre à quel point la mort du Sauveur, somme toute, a été libre et volontaire. La grandeur de sa personne et de son sacrifice apparaît ainsi dans un jour saisissant. Entre les trois Évangiles qui nous montrent, sous plusieurs aspects, la multiple intensité des souffrances du Sauveur et celui qui nous permet de contempler le charme et l’éclat de sa majesté divine, il existe une harmonie supérieure.
Le Seigneur, aussitôt l’expiation achevée, était rentré dans la bienheureuse communion de son Père. Rien ne lui voilait plus la face de Dieu. Son douloureux abandon avait pris fin avec les trois heures de ténèbres. Au milieu des clartés revenues, le Seigneur peut, de nouveau, dire « Père ».
À part le mot « Père », la septième et dernière parole du Sauveur crucifié, est, à un détail près, la citation textuelle du Psaume 31:5, d’après la Septante (où 30:6 = 31:5).
D’après Luc, le Seigneur a dit : « Père ! entre tes mains je remets mon esprit ».
La Septante offre : « entre tes mains je remettrai mon esprit ».
Il semble que la Septante, qui sert souvent de trait d’union entre l’Ancien et le Nouveau Testament (cf. Actes 2:18 ; Hébreux 10:5), annonce, d’une manière prophétique, le dernier cri du Sauveur sur la croix. Le léger détail dont il s’agit, « je remettrai » en regard de « je remets », offre un réel intérêt.
L’absence du mot « Père » dans le Psaume 31 est tout ce qu’il y a de plus naturel. Avant la venue du Seigneur ici-bas, Dieu n’était pas révélé comme Père ; et il n’était pas question pour les croyants de se trouver introduits dans la relation et dans la qualité d’« enfants » (cf. 1 Timothée 6:16 ; Jean 1:14 à 18 et 11 à 13). Ce n’est pas en ce sens précis et, pour ainsi dire, juridique, que Dieu est appelé « père » dans l’Ancien Testament (Malachie 2:10), comme d’ailleurs en un passage du Nouveau (Éphésiens 4:6). Dans ces deux derniers versets, il s’agit, en un sens large et général, de la paternité de Dieu en tant que Créateur de tous les hommes.
La septième parole du Sauveur sur la croix, « Père ! entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23:46), marque, à l’heure suprême, le couronnement de la vie de prière du Sauveur.
La prière est l’expression par excellence de la dépendance vis-à-vis du Père céleste, de la soumission à sa volonté, et, en un mot, de cette obéissance qui constitue, aux yeux de Dieu, la perfection même de l’homme.
À ce titre, jusqu’à la fin, la prière a joué un rôle considérable dans la vie du Sauveur, homme saint, parfait et glorieux. L’esprit de dépendance et de prière apparaît ainsi comme l’un des traits principaux de la nature morale du Christ, et, en conséquence, comme l’un des caractères distinctifs de la vie chrétienne, c’est-à-dire de la vie du Christ dans ses rachetés.
La prière implique, d’autre part, une touchante communion de pensée, de sentiment et d’intention. Elle ne peut se réaliser que dans la communion avec Dieu. Et la prière ne se fait à bon escient qu’éclairée par l’Écriture.
Obéir était proprement une nouveauté pour le Sauveur venu en grâce ici-bas. Le Seigneur est le Créateur qui commande à tous les êtres selon son bon plaisir. Avant sa merveilleuse incarnation, au milieu des gloires et des félicités de sa vie céleste, le Sauveur n’avait aucune occasion de pratiquer l’obéissance. La vertu d’obéissance n’existait pas pour lui dans le ciel. Sur cette terre, flétrie par les ravages du péché, le Seigneur, « quoiqu’il fût Fils », a dû « apprendre l’obéissance par les choses qu’il a souffertes » (Hébreux 5:8) ; et « il s’est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » (Philippiens 2:8).
La prière tient une place capitale dans la vie terrestre du Seigneur.
L’Évangile selon Luc, qui nous rapporte la première et la dernière parole du Sauveur crucifié, est celui des quatre Évangiles qui nous montre le mieux la beauté morale de l’esprit d’oraison et le rôle constant de la prière dans la vie de l’Homme saint, parfait, glorieux. Quelques remarques mettront ce fait en évidence.
Il y a dans les quatre Évangiles, et d’une manière Plus spéciale dans les trois Évangiles Synoptiques, lorsqu’ils nous racontent les mêmes événements et les mêmes scènes, des expressions spécifiques qui ont trait au sujet particulier de chacun d’entre eux et qui, pour cette raison, lui appartiennent en propre. La prière est, à ce titre, un élément spécifique de l’Évangile selon Luc.
Trois textes nous font connaître le baptême du Sauveur au Jourdain et l’admirable scène qui donne lieu, au début du ministère public du Seigneur, à la première révélation de la Sainte Trinité. Ce sont Matthieu (3:13 à 17), Marc (1:9 à 11), Luc (3:21 et 22). Seul parmi ces trois textes, l’Évangile selon Luc nous montre le Sauveur « en train de prier » (3:21) à ce moment-là.
Les trois Synoptiques racontent l’appel des douze apôtres (Matthieu 10:1 à 4 ; Marc 3:13 à 19 ; Luc 6:12 à 16). Luc est seul à mentionner la place immense de la prière dans la vie du Seigneur, à l’occasion de cet événement considérable. Nous lisons dans Luc, et dans Luc seul : « Or, il arriva en ces jours-là qu’il s’en alla sur une montagne pour prier. Et il passa toute la nuit à prier Dieu. Et quand le jour fut venu, il appela ses disciples. Et en ayant choisi douze d’entre eux, lesquels il nomma aussi apôtres » (6:12 et 13).
Il résulte de ce témoignage qu’avant de choisir les Douze, et parmi eux Judas Iscariote, le futur traître dont l’infâme conduite devait être pour lui si cruelle (cf. Psaume 41:9 ; Psaume 55:12 à 14 ; Jean 13:18), notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ avait passé la nuit entière à prier Dieu sur la montagne. Cette constatation recule, pour ainsi dire, l’horizon devant nos yeux émerveillés et rend manifeste à notre vue, à une distance précédemment insoupçonnée, le sublime degré de perfection morale jusqu’où le Fils de l’homme poussait l’esprit de prière, de dépendance et de soumission à la volonté du Père.
Les trois Synoptiques nous montrent, de même, les gloires fulgurantes de la Transfiguration et la majesté resplendissante de notre Seigneur Jésus Christ sur la sainte montagne (Matthieu 17:1 à 8 ; Marc 9:2 à 8 ; Luc 9:28 à 36. Cf. 2 Pierre 1:16 à 19). Or, Luc est seul à spécifier le rôle de la prière dans cette scène capitale de la vie du Christ à la fin de son ministère en Galilée. Luc nous dit : « Il arriva, environ huit jours après ces paroles, qu’il prit avec lui Pierre et Jean et Jacques, et qu’il monta sur une montagne pour prier. Et comme il priait, l’apparence de son visage devint tout autre, et son vêtement devint blanc et resplendissant comme un éclair » (9:28 et 29). Tel est le rôle de la prière dans cet avant-goût magnifique de la glorification du Fils de l’homme.
Dans ces trois cas importants, l’Évangile selon Luc est seul à montrer, et montre avec un relief saisissant) le Seigneur en prière dans la beauté lumineuse de ses perfections morales.
Quatre textes du Nouveau Testament nous parlent des souffrances du Seigneur au jardin de Gethsémané (Matthieu 26:36 à 46 ; Marc 14:32 à 42 ; Luc 22:39 à 46 ; Hébreux 5:7 à 9). Les trois Évangiles mentionnent, à fois répétées, la prière fervente du Sauveur. Et l’auteur de l’Épître aux Hébreux décrit lui-même la douloureuse intensité des supplications du Christ.
Nous admirons, dans les trois Synoptiques, la façon dont le Fils épanche son coeur dans le coeur du Père, et dont le souverain restaurateur du genre humain, l’Homme saint, parfait, glorieux, qui ne pouvait souhaiter l’affreux abandon de son Dieu Fort pendant les trois heures de ténèbres, soumet sa parfaite volonté humaine à une autre volonté parfaite, la volonté divine. Mais, si Matthieu et Marc nous donnent certains détails que, pour sa part, Luc ne nous donne pas, en revanche, Luc est seul à nous dépeindre l’extrême angoisse du Sauveur en prière et les effets solennels de sa lutte spirituelle, sa sueur qui devient comme des caillots de sang, signe avant-coureur du sang expiatoire et rédempteur qui va être versé sur la croix, et les caillots de sang qui tombent sur la terre (verset 44), sur cette terre en la partie habitable de laquelle le Fils éternel, trouvant ses délices dans les fils des hommes, s’était réjoui avant les origines du monde, sur cette terre où rien, pas même le péché odieux et les suites amères du péché, n’avait pu rebuter son inaltérable amour (cf. Proverbes 8:30 et 31).
Aucun texte ne met en lumière la gloire morale, les perfections et les grâces de la nature humaine du Sauveur comme l’Évangile selon Luc.
La première et la dernière parole du Seigneur sur la croix, qui sont aussi des prières, complètent et couronnent ce merveilleux ensemble.
Le grand esprit de prière, d’obéissance et de soumission qui n’a cessé d’animer le Fils de l’homme pendant son ministère ici-bas, trouve son expression finale dans cette formule de dépendance suprême qui exprime et qui condense le secret de toute la vie terrestre du Sauveur et qui nous montre la sainte humanité du Seigneur parfaitement maîtresse de la mort elle-même : « Père ! entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23:46).
Gloire au Fils de l’homme remettant son esprit entre les mains du Père sur la croix ! Gloire à jamais !
La première des deux paroles d’Étienne lapidé rappelle d’une façon frappante la dernière des sept paroles du Seigneur sur la croix.
Le Sauveur mourant a dit : « Père ! entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23:46). La description du supplice d’Étienne contient ces mots : « Et ils lapidaient Étienne qui priait et disait : Seigneur Jésus, reçois mon esprit » (Actes 7:59).
Le texte du livre des Actes indique qu’Étienne a prononcé cette phrase mémorable en priant. L’invocation d’Étienne fait invinciblement penser au modèle donné par le Seigneur en personne. Heureux celui qui a reflété dans sa propre mort la gloire morale du Christ et qui nous laisse lui-même, à ce titre, l’exemple fidèle d’un témoignage dont l’éclat brille à travers les âges et jusque dans l’éternité !
Comparées à celles du Seigneur crucifié, les paroles du premier martyr, qui sont au nombre de deux, offrent d’intéressantes différences de détail. Elles présentent, d’autre part, l’ordre inverse. Ce fait, dont l’importance est manifeste, tient à des causes profondes dont le présent travail fournira l’explication au chapitre suivant.
Le Nouveau Testament ne nous dépeint ni le supplice de Pierre, ni le supplice de Paul, ces apôtres éminents, ces personnages considérables du christianisme primitif. Notre attention, de cette manière, ne se trouve pas détournée de la passion du Seigneur lui-même. Mais le Nouveau Testament ne manque pas de nous décrire la mort d’Étienne, ce témoin plus humble, mais non moins fidèle du Sauveur, afin de marquer, avec une netteté parfaite, la façon dont nous sommes appelés à glorifier Dieu en reproduisant, dans la mesure proposée à chacun, les caractères et l’exemple du Christ.
Le cas d’Étienne est fort instructif. Étienne était un homme plein de foi et de l’Esprit Saint, plein de grâce et de puissance. La sagesse avec laquelle il parlait sous l’action du Saint-Esprit se montrait irrésistible. Et son visage semblait pareil à celui d’un ange (Actes 6:5, 8, 10 et 15. Cf. le verset 15 avec Exode 34:29).
Avant de nous rapporter la lapidation et les suprêmes prières d’Étienne, le livre des Actes indique ce qu’il était, ce qu’il faisait, ce qu’il voyait, ce qu’il disait (7:55 et 56). Étienne était plein de l’Esprit Saint (cf. 6:5). Il avait fixé les yeux sur le ciel. Il voyait la gloire de Dieu, et Jésus à la droite de Dieu. Il parlait des cieux ouverts et du Fils de l’homme glorifié à la droite de Dieu.
La contemplation du Seigneur de gloire ne manque pas de produire des résultats grandioses. Le témoignage d’Étienne projette des feux magnifiques et s’impose dans tous les temps à la mémoire de tous les rachetés du Sauveur.
De l’exemple du premier des martyrs, Paul lui-même a largement profité et fait profiter ses frères. L’apôtre — qui, avant sa conversion, avait assisté et consenti au supplice d’Étienne (Actes 8:1) — écrit plus tard, dans sa seconde Épître aux Corinthiens : « Or nous tous, contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur en Esprit » (3:18).
Si le Nouveau Testament ne nous donne ni le récit du martyre de Pierre, ni le récit du martyre de Paul, ce précieux recueil nous laisse néanmoins voir avec une clarté remarquable les sentiments de dépendance, de prière et de foi qui ont animé ces deux grands apôtres jusqu’à la fin de leur vie terrestre. Ce sujet, qui est d’un grand intérêt, se rattache, en quelque sorte, comme la première parole d’Étienne lapidé, à la septième parole du Seigneur sur la croix.
L’apôtre Pierre, qui s’appelle lui-même « témoin des souffrances du Christ » et qui marque si bien qu’il y a pour chacun l’occasion de souffrir « comme chrétien » (1 Pierre 5:1 ; 4:16. Cf. 2:20 à 25), dit, en termes formels, dans sa première Épître, écrite, ce semble, peu de temps avant sa mort : « Que ceux donc aussi qui souffrent selon la volonté de Dieu remettent leurs âmes en faisant le bien, à un fidèle Créateur. » (4:19).
La seconde Épître de l’apôtre fait voir combien, « au moment de déposer sa tente », c’est-à-dire de quitter cette vie, Pierre songeait, non seulement pour lui-même, mais aussi pour tous les croyants, à la beauté d’« une riche entrée dans le royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ » (1:14 ; 10 et 11). Or, Étienne fournit l’exemple accompli d’une somptueuse arrivée auprès du Seigneur de gloire.
De son côté, l’apôtre Paul, durant les dernières années de son existence ici-bas, montre un grand souci de glorifier dans sa mort le Seigneur, en reflétant les caractères du Sauveur mourant. L’une des dernières Épîtres de l’apôtre — la dernière adressée à une collectivité — l’Épître aux Philippiens, marque cette préoccupation en termes d’une vigueur frappante. Confiant dans la prière des enfants de Dieu, ses frères, et dans l’abondance des ressources fournies par l’Esprit de Jésus-Christ, Paul dit avec une pleine assurance : « Christ sera magnifié dans mon corps, soit par la vie, soit par la mort » (1:20). Renonçant à tout « en vue de gagner Christ » (3:8), l’apôtre ajoute : « pour le connaître, lui, et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances, étant rendu conforme à sa mort, si en quelque manière que ce soit je puis parvenir à la résurrection d’entre les morts » (3:10 et 11).
Ce noble souci, l’apôtre l’avait non seulement pour lui-même, mais encore pour tous ses frères, comme l’indique expressément le verset 17 du chapitre 3.
C’est à ses frères que Paul dit au chapitre 2 : « Qu’il y ait donc en vous cette pensée qui a été dans le Christ Jésus, lequel, étant en forme de Dieu, n’a pas regardé comme un objet à ravir d’être égal à Dieu, mais s’est anéanti lui-même, prenant la forme d’esclave, étant fait à la ressemblance des hommes ; et, étant trouvé en figure comme un homme, il s’est abaissé lui-même, étant devenu obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix » (5 à 8).
Et cette préoccupation générale n’a pas manqué de produire un effet qui se rapporte, lui aussi, comme la première parole d’Étienne lapidé, à la septième parole du Seigneur crucifié. La seconde Épître à Timothée — la dernière en date de toutes les Épîtres de l’apôtre — la lettre écrite au moment où Paul pressentait son prochain départ (4:6), la lettre qui nous reste comme son testament spirituel, contient cette déclaration capitale, par laquelle l’apôtre confie en quelque sorte au Sauveur sa personne et son destin jusqu’à l’heure suprême : « Le Seigneur me délivrera de toute mauvaise oeuvre et me conservera pour son royaume céleste. À lui la gloire aux siècles des siècles ! Amen » (4:18).
L’étude particulière de chacune des paroles du Sauveur crucifié est pleine de fruits. Mais il ne saurait suffire de méditer une à une les paroles du Seigneur sur la croix. Il faut encore mettre en lumière la sublime harmonie du sujet qu’elles forment ensemble. Aux sept chapitres d’analyse qui viennent d’être consacrés à l’examen de chacune des sept paroles séparément doit succéder maintenant un chapitre de synthèse.
Les sept paroles du Seigneur sur la croix constituent un tout merveilleux. Dans cet ensemble, a la fois un et multiple, qui fournit un sommaire magistral du christianisme, chacune des paroles possède sa place propre et se laisse, en outre, grouper avec d’autres paroles en catégories distinctes.
Il n’y a pas lieu de revenir sur les trois subdivisions chronologiques qui ont été signalées dès le début de ce travail. L’intérêt qu’elles présentent a été indiqué à sa place légitime, dans l’Introduction. Et c’est, comme il convenait, d’après l’ordre historique qu’au cours de notre étude nous avons passé en revue la suite des sept paroles, une à une.
Il n’est pas utile d’insister sur le fait que certaines des sept paroles (la première, la quatrième et la septième) se trouvent spécialement adressées à Dieu, certaines autres (la deuxième et la troisième) à des créatures humaines, celles qui restent (c’est-à-dire la cinquième et la sixième) ne comportant pas d’adresse particulière.
Ce qui importe, c’est de répartir, d’après le contenu spirituel qu’elles offrent, les sept paroles du Seigneur sur la croix en deux grandes séries, dont l’existence et la séparation s’affirment avec une netteté d’autant plus impérieuse et plus éclatante qu’elles concordent avec les données chronologiques sur lesquelles reposent les précédents chapitres. Les deux séries qui s’imposent dans l’ordre moral et spirituel suivent, en effet, l’ordre historique, sans mélange et sans exception. Une telle concordance mérite d’être soulignée, car elle augmente singulièrement la précision et la clarté d’un sujet admirable entre tous.
Considérées par groupes, de ce point de vue capital, les sept paroles du Sauveur sur la croix se subdivisent et, ensuite, se réunissent de la manière que voici : Les unes résument les oeuvres de la vie et forment la première série. Les autres paroles indiquent les caractères de la vie et composent la seconde série. Réunies ensemble, les deux séries constituent la science pratique de cette vie chrétienne dont notre Seigneur Jésus-Christ se présente lui-même à notre foi comme le modèle parfait et comme la source intarissable.
De ces sept paroles, les trois premières :
« Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:34),
« En vérité, je te dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » (Luc 23:43),
« Femme, voilà ton fils » et « Voilà ta mère » (Jean 19:26 et 27),
montrent les oeuvres de la vie jaillissant en quelque sorte de la mort du Sauveur. Ce sont les manifestations efficaces de la grâce. Le pardon des offenses, l’accès du paradis, les liens qui unissent les âmes, s’offrent à nous comme les trois oeuvres maîtresses du christianisme.
De ces sept paroles, les quatre dernières :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Matthieu 27:46 et Marc 15:34),
« J’ai soif » (Jean 19:28),
« C’est accompli » (Jean 19:30),
« Père ! entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23:46),
décrivent la nature et les caractères de la vie chrétienne.
La douleur — absolue dans le cas du Seigneur abandonné de son Dieu pendant les trois heures ténébreuses de l’expiation — la soif, le labeur accompli, la dépendance vis-à-vis du Père céleste jusqu’à l’heure suprême de l’existence terrestre constituent la source des oeuvres de la vie.
Il importe de remarquer que, dans l’admirable suite des paroles que le Seigneur a prononcées du haut de la croix, celles qui concernent les oeuvres de la vie précèdent celles qui énumèrent les caractères de la vie chrétienne. Ce fait, d’une portée considérable, nous frappe au plus haut point, mais ne nous cause aucun étonnement. Il s’explique, en effet, d’emblée : Le Seigneur lui-même, assurément, n’avait pas besoin des vertus de sa mort pour accomplir les oeuvres de la vie. Il est tout naturel que la manifestation des oeuvres de la vie précède l’indication de la nature et des caractères de la vie dans le cas unique du Sauveur. N’était-il pas l’Homme saint, parfait, glorieux, exempt de tout péché ? (cf. 2 Corinthiens 5:21 ; Hébreux 4:15). N’était-il pas le Fils unique du Père, le Dieu du ciel manifesté en chair ?
Pour nous, que la grâce divine appelle, malgré notre faiblesse, à reproduire, s’il se peut en quelque mesure, les traits distinctifs qui ont brillé dans la vie et dans le sacrifice de notre Seigneur Jésus-Christ avec la plénitude inaltérable d’un éclat sans pareil, la pratique des oeuvres de la vie suit nécessairement la présence des caractères de la vie et la mort du Sauveur. Et l’ordre inverse s’impose avec évidence.
C’est ce que nous fait bien voir le livre des Actes, en nous racontant le martyre d’Étienne.
Les deux paroles prononcées par le fidèle témoin de Jésus-Christ :
« Seigneur Jésus, reçois mon esprit » (Actes 7:59),
« Seigneur, ne leur impute point ce péché » (Actes 7:60),
nous rappellent de très près deux des paroles du Sauveur sur la croix :
la septième : « Père ! entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23:46),
et la première : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » (Luc 23:34).
Pour la raison qui vient d’être indiquée, ces paroles se présentent à nous dans l’ordre inverse.
Outre cette différence d’ordre, il faut prendre garde aux différences de détail.
Prononçant sa première et sa septième parole, l’une avant, l’autre après les trois heures de ténèbres, le Sauveur crucifié s’adresse au Père. Étienne, les deux fois, invoque le Seigneur.
L’hommage rendu par Étienne à la seigneurie de Jésus Christ est d’une beauté émouvante. C’est bien là mourir pour le Seigneur et dépendre du Seigneur. Étienne, à ce titre, fournit l’illustration anticipée de l’enseignement donné plus tard par l’apôtre Paul dans son Épître aux Romains (14:7 à 9, spécialement 8). Étienne réalise, en quelque sorte, à l’avance que nous sommes à Christ et que Christ est à Dieu (cf. 1 Corinthiens 3:23).
Étienne ne remet pas son esprit avec cette maîtrise magnifique qui est l’apanage de l’Homme parfait. Étienne demande en toute humilité au Seigneur de recevoir son esprit.
Le Seigneur dit : « pardonne-leur » avec l’aisance et avec l’autorité propres à celui dont la parfaite volonté humaine concorde avec la volonté parfaite de Dieu. Étienne dit modestement : « ne leur impute pas ce péché » et laisse, comme il convient, le privilège de la décision au Seigneur lui-même. Le mot original traduit par « imputer » dans ce passage fait allusion aux balances du Seigneur.
La spiritualité si pure et si élevée, si sereine et si lumineuse du premier des martyrs est le fruit d’une communion supérieure avec le Seigneur de gloire. Et le témoignage d’Étienne nous montre les vertus que le Seigneur, à sa ressemblance personnelle et toutes proportions gardées, nous invite à mettre en pratique, nous aussi, chacun dans sa mesure.
Cet exemple et cet appel sont d’une grande solennité. Bénéficiaires de la vie du Christ et des résultats glorieux de sa mort sur la croix, nous sommes appelés jour après jour dans notre existence terrestre à manifester les caractères et à accomplir les oeuvres de la vie chrétienne. Dieu nous laisse encore dans ce monde précisément pour refléter les traits du Christ, notre Seigneur et Sauveur, son Fils unique et bien-aimé (cf. 2 Corinthiens 2:14 à 3:6 ; 4:6 à 10). Et c’est à cette fin que « notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ » (Tite 2:13) a dit lui-même, après son rejet, avant sa passion : « Apprenez de moi, car je suis débonnaire et humble de coeur » (Matthieu 11:29).
Étudiées une à une à la lumière des données générales qui les coordonnent historiquement, comme dans le corps de ce travail, groupées d’après un principe moral et spirituel, ainsi que dans le présent chapitre, en deux séries indiquant l’une les oeuvres, l’autre les caractères et la nature de la vie chrétienne, réunies ensuite et formant ensemble, par le rapprochement des deux séries, un sommaire magistral du christianisme, les sept paroles du Sauveur sur la croix constituent, de plusieurs façons, un sujet nettement déterminé, un sujet qui possède ses contours propres, qui se suffit à lui-même et qui offre une importance capitale.
Toutefois, la synthèse peut, en une certaine manière, s’élargir encore. Avant le Calvaire, il y a Gethsémané et la Voie douloureuse.
Les paroles du Seigneur au jardin de Gethsémané et sur la Voie douloureuse ne sauraient, à vrai dire, entrer par l’effet d’une simple addition dans l’admirable ensemble dont nous venons de marquer l’unité et de souligner la plénitude. Mais il est permis de montrer, selon l’Écriture, que les paroles de Gethsémané et celles de la Voie douloureuse fournissent comme un double prologue aux sept paroles de la croix.
Il est manifeste que les paroles de Gethsémané et celles de la Voie douloureuse permettent d’apprendre à l’école du Christ les conditions préalables de la vie chrétienne. Elles impliquent une sorte de préparation à l’étude de cette science pratique de la vie chrétienne qui se dégage si nettement des sept paroles du Sauveur sur la croix et qui forme un ensemble à part. C’est à ce titre — à ce titre seulement — qu’il y a lieu de parler d’un double prologue aux sept paroles de la croix, sans mêler des sujets indépendants.
Il convient de noter que les paroles du jardin de Gethsémané et celles de la Voie douloureuse ne se présentent pas sous la forme concise, et pour ainsi dire lapidaire, des sept paroles de la croix. Cette différence a son importance et ses raisons d’être. Ce sont les caractères spécifiques qu’elles possèdent d’une manière si accusée qui font des sept paroles de la croix un sujet unique, un tout à part.
Il y a sans doute un grand profit pour les rachetés du Seigneur à passer par Gethsémané et par la Voie douloureuse avant de se tenir en pensée sur le Calvaire, au pied de la croix.
Mais il ne faut pas chercher dans le présent travail une étude profonde et sensiblement complète des textes qui nous rapportent les paroles du Sauveur au jardin de Gethsémané ou sur la Voie douloureuse. Nous nous bornerons à de brèves remarques sur les faits qui se rapportent à notre sujet.
Les trois Évangiles Synoptiques relatent les paroles du Sauveur au jardin de Gethsémané (Matthieu 26:36 à 46 ; Marc 14:32 à 42 ; Luc 22:39 à 46). Ce triple récit invite à distinguer, d’une part, les communications du Seigneur à ses disciples, d’autre part, les supplications du Fils de l’homme à son Père.
Parmi les paroles du Sauveur à ses disciples, ce qui importe surtout au présent travail, c’est le verset 38 du récit de Matthieu : « Mon âme est saisie de tristesse jusqu’à la mort ; demeurez ici et veillez avec moi ». Ce verset trouve un équivalent dans le verset 34 du récit de Marc : « Mon âme est saisie de tristesse jusqu’à la mort ; demeurez ici et veillez ». Mais, après le mot « veillez », le texte de Marc ne contient pas les mots « avec moi ». Or, ces mots, qui constituent une donnée spécifique de Matthieu, offrent, pour la question qui nous occupe, un intérêt considérable. Car ils marquent avec une grande clarté la condition à laquelle le Seigneur nous destine.
Les mots « avec moi » expriment l’idée d’union et de participation avec le Seigneur, au moment critique où l’âme affligée du Sauveur réalisait toute la prochaine horreur de l’abandon de son Dieu au milieu des tourments du supplice de la croix pendant les ténèbres de l’expiation. Être avec le Seigneur en cette heure d’anticipation, de chagrin, d’angoisse et d’effroi est un honneur dont la lourde somnolence des disciples s’est montrée, par trois fois, incapable de discerner la grâce et de goûter l’excellence. Le résultat d’une telle attitude fut qu’à l’approche du crucifiement, tous les disciples — même Pierre, Jacques et Jean — abandonnèrent le Sauveur et s’enfuirent (Matthieu 26:56 ; Marc 14:50). Le Seigneur, dans sa détresse, a cherché des consolateurs et n’en a pas trouvé (cf. Psaume 69:20).
Il est équitable d’observer qu’en ce moment solennel, comme d’ailleurs sur la sainte montagne, les disciples n’avaient pas encore le Saint-Esprit comme Personne Divine en eux et avec eux. La comparaison des scènes de la Transfiguration dans les Évangiles avec la seconde Épître de Pierre (1:16 à 18) permet de mesurer l’intérêt pratique que cette remarque comporte. Et plusieurs des textes qui composent le Nouveau Testament attestent le parti que les disciples ont tiré plus tard d’événements et de circonstances dont ils n’avaient pas su profiter tout d’abord. Tous les rachetés du Sauveur se trouvent invités à séjourner par la pensée, avec le secours du Saint-Esprit lui-même, auprès du Seigneur souffrant dans ce jardin de Gethsémané, auquel l’Écriture donne une place en vue avant les scènes de la croix. Et notre sommeil aujourd’hui resterait sans excuse.
Le Nouveau Testament ne manque pas de montrer la douloureuse intensité des supplications adressées à son Père par le Sauveur au jardin de Gethsémané. Matthieu, Marc, Luc et l’auteur de l’Épître aux Hébreux nous renseignent sur ce point avec une abondance égale à l’importance de cette scène sans pareille. Voici leur quadruple témoignage :
« Et s’étant avancé un peu plus loin, il tomba sur sa face, priant en ces termes : Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Toutefois, non pas mon propre vouloir, mais le tien ! » (Matthieu 26:39), « Et s’éloignant de nouveau une seconde fois, il pria en ces termes : « Mon Père, si ceci ne peut pas passer loin de moi sans que je le boive, que ta volonté soit faite ! » (Matthieu 26:42), « Et les ayant quittés, s’étant éloigné de nouveau, il pria pour la troisième fois, tenant de nouveau le même langage » (Matthieu 26:44) ;
« Et s’étant avancé un peu plus loin, il se prosterna par terre, et il priait que, s’il était possible, cette heure passât loin de lui ; il disait : Abba, Père, toutes choses te sont possibles ; fais passer cette coupe loin de moi ; cependant, non pas mon propre vouloir, mais le tien ! » (Marc 14:35 et 36), « Et s’étant éloigné de nouveau, il pria, en tenant le même langage » (Marc 14:39) ;
« Et il s’éloigna d’eux lui-même à la distance approximative d’un jet de pierre, et, ayant ployé les genoux, il priait en ces termes : Père, si tu le veux, fais passer cette coupe loin de moi. Toutefois, que ta volonté se fasse et non la mienne ! » (Luc 22:41 et 42), « Et, entré dans l’angoisse de la lutte suprême, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des caillots de sang qui tombaient sur la terre » (Luc 22:44) ;
« Lui qui, durant les jours de sa chair, a présenté à celui qui pouvait le sauver du sein de la mort, des prières et des supplications accompagnées de cris vigoureux et de larmes » (Hébreux 5:7), et « quoiqu’il fût Fils, il a appris l’obéissance par les maux qu’il a soufferts » (Hébreux 5:8).
La triple prière du Seigneur au jardin de Gethsémané exprime et enseigne la soumission absolue à la volonté du Père céleste. Notre esprit éprouve quelque peine à concevoir une obéissance aussi parfaite. Tout est gloire morale dans cette scène à la fois poignante et grandiose.
Homme saint et parfait, le Sauveur ne pouvait pas vouloir l’odieux calice du courroux de Dieu contre le péché et contre nos péchés, ce calice inexorable qui comportait pour lui l’abandon et l’éloignement de son Dieu — et, par voie de conséquence, l’interruption de sa bienheureuse communion avec le Père — sans réponse, sans repos, sans secours, dans les mortelles angoisses et sous l’écrasante obscurité des trois heures de l’expiation.
Le jardin de Gethsémané nous fait voir, pour ainsi dire, deux volontés parfaites dont l’une se soumet à l’autre. Le jardin de Gethsémané nous montre la parfaite volonté humaine du Seigneur s’effaçant devant la volonté parfaite de Dieu avec une telle plénitude de grâce et d’obéissance, qu’en des circonstances aussi cruelles, loin d’apercevoir les traces d’un conflit, nous ne pouvons que constater l’existence et admirer la beauté d’un contraste saisissant.
Cette soumission absolue, en des conjonctures aussi graves et aussi troublantes, fournit un parangon de beaucoup supérieur à nos circonstances personnelles et à nos propres détresses. Cette soumission parfaite n’est autre que le modèle dont le Sauveur rejeté a dit avant sa passion : « Prenez mon joug sur vous » (Matthieu 11:29). Et le secours procuré par l’exemple du Seigneur comporte tant de lumière et de puissance que le Seigneur ajoute : « Car mon joug est aisé, et mon fardeau léger » (Matthieu 11:30). Si nous contemplons fidèlement le Seigneur, avec le pieux désir de refléter ses caractères, nous nous apercevons bien vite que le Sauveur nous soutient et nous entraîne dans l’élan de sa propre force, en portant lui-même notre fardeau.
Parmi les Évangélistes, Luc est seul à nous rapporter les paroles du Sauveur sur la Voie douloureuse :
« Et une grande multitude du peuple et de femmes qui se frappaient la poitrine et qui le pleuraient, le suivaient. Mais Jésus, se tournant vers elles, dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ; mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants ; car voici, des jours viennent, dans lesquels on dira : Bienheureuses les stériles, et les ventres qui n’ont pas enfanté, et les mamelles qui n’ont pas nourri. Alors ils se mettront à dire aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux coteaux : Couvrez-nous ; car s’ils font ces choses au bois vert, que sera-t-il fait au bois sec ? » (23:27 à 31).
Du verset 30, il y a lieu de rapprocher : « Et ils diront aux montagnes : Couvrez-nous ! et aux collines : Tombez sur nous ! » (Osée 10:8. Cf. Apocalypse 6:16).
Le Seigneur s’avançait sur la Voie douloureuse, bafoué, meurtri, affaibli par les suites cruelles du supplice de la flagellation et par les longues fatigues de son âme sainte. Il était parti pour le Calvaire, chargé de sa propre croix, selon l’usage (Jean 19:17). Mais, au sortir de la ville, Simon de Cyrène, qui revenait des champs, fut requis, ce semble en vertu de quelque droit de corvée, et contraint de porter la croix du Sauveur derrière Jésus (Matthieu 27:32 ; Marc 15:21 ; Luc 23:26). Et deux autres condamnés, qui étaient des malfaiteurs, étaient conduits au supplice de la croix en même temps que le Seigneur et faisaient partie du même cortège (Luc 23:32). Aucune aggravation n’était épargnée à l’ignominie du Fils de l’homme et du Fils de Dieu.
Une grande multitude accompagne le Sauveur, sur la Voie douloureuse. Les filles de Jérusalem donnent libre cours à l’expression de leurs sentiments naturels et pleurent sur lui. Elles ignorent leur état de chute, le sort réservé aux êtres coupables par la justice du Dieu saint et la signification profonde de la croix du Christ. Le Seigneur souffrant avertit et enseigne en termes frappants ces femmes pour le salut desquelles il va mourir, lui dont l’infâme supplice fait propitiation pour tous les humains (cf. Jean 12:32 et 33).
Les paroles du Sauveur sur la Voie douloureuse sont d’une beauté grave et forte : elles expriment avec une grâce et une puissance sans égales l’oubli de soi-même, l’oubli de ses propres maux, et l’intérêt profond du prochain.
L’oubli de soi-même et l’intérêt d’autrui sont les deux grandes leçons que le Seigneur nous apprend pour sa gloire, sur cette Voie douloureuse que l’Écriture nous invite à parcourir avec lui, par la pensée, et qui aboutit au Calvaire où le Sauveur, élevé sur le bois maudit de la croix, a prononcé ses sept paroles capitales.
Les considérations qui précèdent permettent de dresser, pour la clarté des idées, le tableau suivant :
Double prologue |
Gethsémané |
Union et participation avec le Seigneur Matthieu 26:38 |
Ce double prologue marque les conditions préliminaires de l’activité chrétienne |
Soumission parfaite à la volonté du Père Matthieu 26:39, 42, 44 Marc 14:36, 39 ; Luc 22:42 |
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Voie douloureuse |
Oubli de soi-même. Intérêt d’autrui Luc 23:28 à 31 |
Avant les trois heures de ténèbres |
1. Pardon des offenses Luc 23:34 |
1° série Ces trois paroles montrent les oeuvres de la vie jaillissant en quelque sorte de la mort du Sauveur. Ce sont les manifestations efficaces de la grâce |
2. Chemin du Paradis Luc 23:43 |
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3. Liens entre les âmes Jean 19:26 et 27 |
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Pendant les trois heures de ténèbres |
4. Douleur absolue Matthieu 27:46 ; Marc 15:34 |
2° série Ces quatre paroles indiquent la nature et les caractères de la vie chrétienne. Elles font voir la source des oeuvres de la vie. Dans le cas du Sauveur lui-même, la douleur est absolue. |
Après les trois heures de ténèbres |
5. Soif Jean 19:28 |
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Jean 19:30 |
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7. Dépendance suprême Luc 23:46 |
La réunion des deux séries constitue, pour ainsi dire, la science pratique de la vie chrétienne sur la terre.
L’ordre des deux séries est particulier au Sauveur, qui n’avait pas besoin des mérites de sa propre mort pour accomplir les oeuvres de la vie. Pour nous, comme le prouve le cas d’Étienne (Actes 7:59 et 60), l’ordre inverse s’impose.
Les sept paroles du Seigneur sur la croix fournissent un sommaire magistral du christianisme.
Le présent travail a été composé en vue d’éclairer et de faciliter l’étude de la Parole de Dieu. Il ne tend, en aucune façon, à en remplacer la lecture directe et personnelle, que tout croyant doit faire, assis par la pensée aux pieds du Seigneur, comme Marie (cf. Luc 10:39 et 42). Marie de Béthanie écoutait paisiblement la voix captivante du Sauveur et jouissait avec un pieux ravissement des grâces de sa personne adorable.
D’assez nombreux passages du Nouveau et de l’Ancien Testament se rattachent aux sept paroles du Sauveur sur la croix et aux enseignements qui en découlent. Il n’y a pas lieu d’énumérer ces versets un à un. Tout ami de l’Écriture peut les lire et les méditer, ainsi qu’il convient, dans l’intimité avec le Seigneur de gloire. Si le Sauveur a quitté ce monde pour retourner dans le ciel, auprès du Père, nous possédons, selon sa promesse, le Saint-Esprit, l’Esprit de vérité, cet autre Consolateur, dont le rôle salutaire consiste à prendre de ce qui appartient au Seigneur pour nous le communiquer. Et le Sauveur, avant de quitter les siens, n’a pas manqué de leur enseigner les bienfaits de la prière, dont le secours doit accompagner sans cesse l’activité de la foi et l’étude des sujets divins (cf. Jean 15 et 16).
Mais la lecture et la méditation de l’Écriture dans l’intimité avec le Seigneur de gloire conduisent à faire, sur l’esprit qui doit inspirer toutes les manifestations de la vie chrétienne, des remarques qui sont de la plus haute importance pour les enfants de Dieu. Ces considérations s’imposent, à vrai dire, comme le couronnement naturel d’une étude sur les sept paroles du Sauveur mis en croix.
Parmi les vices essentiels et fondamentaux qui ébranlent et qui menacent sans cesse la chrétienté figurent, d’une part, le relâchement doctrinal et moral, avec les formes variées de mondanité et de frivolité qu’il entraîne à sa suite ; d’autre part, l’absence ou l’affaiblissement de cet esprit évangélique qui se présente à nous comme le seul et véritable esprit chrétien parce qu’il est, par excellence, l’esprit de notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. Cette dernière déformation, moins apparente et moins commune que la première, mais plus subtile, et tout aussi dangereuse en son genre, est celle dont les ravages s’exercent même au sein des portions les plus éclairées, les plus vivantes et les plus fidèles de la chrétienté.
La vraie doctrine chrétienne, « la doctrine du Christ » (2 Jean 9 ; Cf. Jean 7:16), n’est autre chose que l’ensemble des vérités fondamentales du christianisme considérées et mises en pratique dans le rayonnement lumineux et vivifiant de la personne de celui qui est lui-même « la vérité », comme il est le chemin et la vie (Jean 1:14 et 17 ; 14:6 ; 17:17). La vérité, c’est l’expression parfaite de la pensée de Dieu, telle que nous la trouvons manifestée dans la personne du Christ, Parole de Dieu et Verbe incarné. Le Nouveau Testament nous offre comme une collection complète de portraits de la personne du Christ, portraits que nous sommes appelés à étudier, à admirer, à refléter avec le secours du Saint-Esprit, qui prend, comme nous l’avons rappelé, ce qui est du Christ pour nous l’annoncer, et qui, à ce titre, est appelé lui-même « la vérité » (1 Jean 5:7).
Les vérités les plus belles et les principes les plus corrects du christianisme perdent toute justesse et donnent lieu à de pernicieuses déviations aussitôt que nous cessons de les contempler et de les mettre en pratique dans le resplendissement chaleureux de la personne du Christ. La claire intelligence de ce fait est d’une importance capitale pour les serviteurs du Seigneur.
Dans celle de ses Épîtres qui est consacrée au ministère chrétien, l’apôtre Paul s’exprime en ces termes : « Notre capacité vient de Dieu qui nous a aussi rendus capables d’être des ministres de la nouvelle alliance 1 non pas de la lettre, mais de l’Esprit ; car la lettre tue. mais l’Esprit vivifie », et : « Or, le Seigneur est l’Esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, il y a la liberté » (2 Corinthiens 3:5 et 6 ; 17). Et l’apôtre Jean dit formellement : « Quiconque vous mène en avant et ne demeure pas dans la doctrine du Christ, n’a pas Dieu. Celui qui demeure dans la doctrine, celui-là a le Père et le Fils » (2 Jean 9. Cf. Jean 7:16). Ces citations montrent toute l’attention qui doit être donnée à « la doctrine du Christ » et à « l’Esprit du Seigneur ».
« La grâce et la vérité vinrent par Jésus-Christ » (Jean 1:17). Et Jésus-Christ dit à ceux qui ont cru en lui : « Si vous persévérez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira » (Jean 8:31 et 32). Pour reproduire dans notre vie chrétienne et pour manifester, devant les croyants et devant tous les hommes, les caractères distinctifs du Seigneur de gloire, qui est l’expression parfaite de la pensée divine, nous avons besoin d’être affranchis de tout ce qui n’est pas conforme à sa personne et à son enseignement. Nos tendances particulières et nos défauts naturels doivent s’effacer complètement à l’école du Sauveur, selon l’admirable formule de Jean-Baptiste : « Il faut que lui croisse et que moi je diminue » (Jean 3:30).
Or, le Seigneur a dit : « Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi, car je suis débonnaire et humble de coeur » (Matthieu 11:29). Ces sublimes paroles — qui résument toute la vie et toute l’activité terrestres du Sauveur, et par lesquelles notre modèle, le divin Maître, nous invite expressément à son école — le Seigneur de gloire les a prononcées en Galilée au temps où, méconnu dans sa dignité royale et frustré des honneurs et des privilèges qui devaient être son apanage, il se voyait avec douleur ouvertement rejeté par son peuple qu’il aimait ; mais ce sont les scènes de Gethsémané, de l’arrestation, du procès et du crucifiement du Sauveur qui en fournissent la plus riche illustration.
La soumission humaine du Seigneur à la volonté divine de son Père s’est affirmée dans sa plénitude magnifique au jardin de Gethsémané. La douceur et l’humilité de coeur du Seigneur, entre le moment de son arrestation et celui de sa mort — au milieu de l’injustice, de la souffrance, de la détresse suprêmes — ont brillé d’un éclat sans pareil. L’étude doctrinale et pratique des sept paroles du Sauveur sur la croix, qui fournissent, comme nous l’avons montré, un sommaire magistral du christianisme, est une partie essentielle de la tâche que le Seigneur de gloire, en disant : « Apprenez de moi, car je suis débonnaire et humble de coeur », propose à tous ses rachetés.
Notre activité au service de Dieu est « chrétienne » dans la stricte mesure où elle se conforme à l’enseignement et à l’exemple du Christ. Les événements et les circonstances ne nous autorisent jamais, en aucun cas, ni sous aucun prétexte, à délaisser le modèle et les instructions du Seigneur pour agir, envers nos frères ou envers les hommes, autrement que dans la puissance de cet esprit évangélique que le Sauveur a préconisé durant sa vie terrestre et qui a paré de ses grâces bienfaisantes le ministère du Seigneur lui-même.
Seul le spectacle de Jésus Christ crucifié est propre à nous maintenir, comme il convient, dans la fidélité à l’état d’esprit indiqué et à la ligne de conduite tracée par le Seigneur. En cas d’écart, seul le spectacle de Jésus Christ crucifié peut nous ramener à la connaissance et à la pratique de la vérité.
Aux Galates qui avaient entendu décrire les scènes de la croix et qui s’étaient néanmoins laissés détourner du pur et unique « évangile du Christ », l’apôtre Paul écrivait : « Je m’étonne de ce que vous si promptement de celui qui vous a appelés par la grâce de Christ, à un évangile différent, qui n’en est pas un autre ; » et : « Ô Galates insensés, qui vous a ensorcelés, vous devant les yeux de qui Jésus Christ a été dépeint, crucifié au milieu de vous ? » (Galates 1:6 et 7 ; 3:1).
Il y a, d’après le Nouveau Testament, un seul christianisme, comme il y a un seul évangile, « l’Évangile du Christ ». Et nous sommes, pour notre part, d’autant plus responsables de ne pas nous en éloigner que nous possédons, dans l’Écriture, une collection de peintures de Jésus-Christ crucifié dont l’ensemble forme un tout complet en harmonie et parfait en beauté. Et ces portraits sont d’autant plus instructifs et plus précieux pour nous qu’ils sont parlants : le Nouveau Testament nous apporte, en effet, l’immortel et saisissant écho des sept paroles que le Seigneur de gloire, notre Sauveur, a prononcées du haut de la croix…
Tout notre effort de chrétiens doit tendre à connaître le Christ et à nous placer, pour ainsi dire, à son propre point de vue. La connaissance pratique du Christ est, en vérité, le faîte du christianisme.
Au chapitre 2 de sa première Épître, l’apôtre Jean parle en termes touchants des membres de la famille de Dieu. Tous sont des enfants, que l’apôtre réunit dans les versets 12 et 28. Cependant, les enfants qui composent la famille de Dieu se trouvent répartis en plusieurs catégories. Il y a des pères. Il y a des jeunes gens. Il y a de petits enfants. Et l’apôtre s’adresse, par deux fois, à chacun de ces groupes de personnes. Lorsqu’il s’agit des jeunes gens et des petits enfants, Jean ne manque pas de faire de longues additions à ce qu’il avait dit dans la première série de paroles. Mais, dans le cas des pères, l’apôtre répète, purement et simplement, ce qu’il avait dit tout d’abord : « Je vous écris, pères, parce que vous connaissez celui qui est dès le commencement » (13) et : « Je vous ai écrit, pères, parce que vous connaissez celui qui est dès le commencement » (14). Celui qui est dès le commencement, c’est Jésus Christ lui-même, c’est Jésus Christ manifesté en chair, c’est Jésus Christ en personne (cf. 1:1 à 4). Les pères ont acquis la connaissance pratique de la personne du Seigneur. Et si, dans sa seconde série de paroles, l’apôtre ne dit rien de plus à l’adresse des pères, c’est, de toute évidence, parce qu’il n’y a rien à ajouter à la connaissance du Christ.
L’apôtre Paul recherchait et prescrivait aussi la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ : « pour le connaître, lui, la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances » (Philippiens 3:10).
Daigne le Dieu tout-puissant, le Père des lumières, auteur de toute grâce excellente et de tout don parfait, nous accorder la sagesse d’en haut, qui a été manifestée ici-bas en Jésus-Christ (cf. Jacques 1:17 ; 1:5 et 3:17), et nous rendre capables, durant cette vie mortelle pendant laquelle il nous appelle à son service, de penser et d’agir selon l’esprit du Sauveur qui a dit : « Apprenez de moi ; car je suis débonnaire et humble de coeur » !
Puissent l’étude et la méditation des sept paroles du Seigneur sur la croix rendre plus intime la connaissance et plus sensible l’importance de son esprit, en attendant le jour où nous serons « manifestés devant le tribunal du Christ » (2 Corinthiens 5:10) ! Nous sommes sans doute faibles et bornés ; mais la voix du Seigneur ressuscité après les tourments et l’ignominie de la croix dit à chacun de nous, du haut des splendeurs du ciel, comme à l’apôtre Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans l’infirmité » (2 Corinthiens 12:9).
Que si, reflétant ici-bas dans notre infirmité l’esprit et les caractères de notre Sauveur, nous sommes incompris de nos frères et méconnus du monde, nous sachions trouver dans l’amour et dans la communion du Seigneur de gloire notre consolation et notre récompense !
Bientôt les rachetés du Sauveur quitteront pour toujours les misères de leur vie présente et les déceptions de la terre. Ils se trouveront réunis tous ensemble dans les joies de la résurrection, dans l’allégresse du sanctuaire céleste, dans les félicités de la maison du Père. Au séjour de la vérité et de la lumière, toutes leurs idées seront justes, claires, harmonieuses. Et tous leurs sentiments seront vrais, nobles et purs. Ils loueront Dieu avec un saint ravissement, au milieu de son propre bonheur. Et leurs voix unies formeront un choeur dont l’inaltérable concert célébrera, à travers l’infinité des siècles éternels, les grâces, les perfections, les gloires du Seigneur, du Sauveur débonnaire et humble de coeur, qui a dit sur le bois maudit et douloureux de la croix :