Paul F. Regard
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Table des matières :
2 - Les passages de l’Écriture — la rédaction de l’écriteau
3 - Trois inscriptions différentes
5 - L’inscription selon Matthieu
9 - Complément sur l’inscription selon Marc
Un frère, maintenant auprès du Seigneur, disait un jour, à peu près en ces termes : « Dans la Parole de Dieu, la noix est exquise ; mais il faut se donner la peine de casser la noix ».
Aucun sujet ne rappelle autant ce mot que celui de la présente étude, malgré l’effort de simplification que l’auteur a fait.
Le Nouveau Testament mentionne en quatre passages. une fois dans chaque Évangile, l’inscription placée, selon la coutume romaine, au-dessus de la tête adorable du Sauveur crucifié. Nous lisons, en suivant l’ordre traditionnel des Évangiles dans nos éditions
1°
« Et ils placèrent au-dessus de sa tête son accusation écrite (ou : une inscription
indiquant le motif de sa
condamnation) : Celui-ci est Jésus
, le roi des Juifs
»
(Matthieu
27:37) ;
2°
« Et l’écriteau concernant le sujet de son accusation portait écrit (ou :
l’inscription indiquant le motif de
sa condamnation portait) : Le roi des
Juifs
» (Marc
15:26) ;
3°
« Et il y avait aussi au-dessus de lui un écriteau (ou : une
inscription)…. : Celui-ci est le roi des Juifs
» (Luc 23:38) ;
4° « Et Pilate fit (ou :
rédigea) aussi un écriteau, et le plaça (ou : fit placer) sur la
croix ; et il y était écrit (ou : il portait l’inscription) : Jésus
le Nazaréen, le roi des Juifs
» (Jean 19:19).
Jean ajoute immédiatement : « Plusieurs (ou : Beaucoup) des Juifs donc lurent (ou : lurent donc) cet écriteau, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était (ou : se trouvait) près de la ville ; et il était écrit en hébreu, en grec et en latin. Les principaux sacrificateurs (ou : grands prêtres) des Juifs donc dirent (ou : dirent donc) à Pilate : N’écris pas : Le roi des Juifs ; mais que lui a dit : Je suis le roi des Juifs. Pilate répondit : Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit » (Jean 19:20 à 22).
Le récit de la démarche des Juifs et la réponse du procurateur nous serviront plus tard. Arrêtons-nous pour l’instant à la fin du verset 20, c’est-à-dire aux mots « en hébreu, en grec, en latin ». Il convient d’ajouter au témoignage rendu par ce texte celui que fournit encore Luc 23:38, où nous lisons : « en lettres grecques, romaines et hébraïques ». Ces mots n’ont pas été cités d’emblée parce que les principaux manuscrits ne les offrent pas tous et que plusieurs éditeurs les ont rejetés. Ils paraissent cependant authentiques : ils se trouvent suffisamment attestés pour être adoptés, et, loin de répéter faiblement Jean 19:20 comme une glose introduite après coup dans le texte, ils ont, au contraire, une allure originale et vigoureuse.
Il y a, pour les chrétiens, un grand profit à méditer, pour ainsi dire au pied de la croix, ces passages qui leur permettent de mieux comprendre les qualités, les perfections, les souffrances, les gloires du Seigneur, et qui sont de nature à mettre, dans leur coeur et sur leurs lèvres, pour l’éternité, un quadruple cantique d’adoration, en harmonie avec la divine splendeur des quatre Évangiles.
Les versets qui viennent d’être passés en revue obligent à faire, dès l’abord, deux constatations importantes
1° L’inscription de la croix était rédigée en trois langues différentes ; en d’autres termes, il y avait trois rédactions.
2° Comme le texte du Nouveau Testament fournit quatre rédactions, une dans chaque Évangile, et qu’aucune de ces quatre rédactions ne se confond avec l’une des trois autres, il arrive nécessairement qu’une des quatre rédactions ne reproduit pas à proprement parler l’une des inscriptions de la croix.
Or l’élimination paraît facile à faire. Chacune des quatre rédactions présente un caractère original et spécifique qui ne se retrouve dans aucune autre, à part toutefois celle de Marc. Le texte de Marc ne fait pas autre chose que d’exprimer d’une manière sommaire la substance commune aux trois rédactions. Loin de découvrir, avec certains savants, dans l’Évangile selon Marc, le texte de l’inscription romaine, c’est-à-dire l’équivalent grec de la rédaction latine de l’inscription, nous devons, au contraire, constater que l’Évangile selon Marc n’offre aucune rédaction spécifique du titre de la croix. L’Évangile selon Marc en indique seulement la teneur générale. Cette absence d’une rédaction spécifique du titre de la croix dans le second Évangile n’est pas sans raison. — Nous reviendrons sur ce point à la fin de la présente étude.
Pour l’instant, nous avons constaté l’absence d’une rédaction spécifique dans Marc. Ce fait nous laisse en présence de trois langues et de trois rédactions spécifiques du titre de la croix. Les termes du problème qui nous occupe sont déjà singulièrement précisés. Ce problème, il s’agit maintenant de le résoudre, et de le résoudre avec quelque vraisemblance.
Le texte du Nouveau Testament affirme que l’inscription de la croix était rédigée en trois langues et désigne ces langues. Mais il n’indique nullement que les trois inscriptions aient été identiques jusque dans le menu détail. Il laisse, au contraire, apparaître certaines différences, les différences spécifiques dont nous avons parlé.
Aucune variante n’est sans signification dans la Parole de Dieu. Il est donc légitime de supposer, en suivant le texte très précis de chacun des trois Évangiles selon Matthieu, selon Luc, selon Jean (Marc étant laissé de côté pour la raison indiquée plus haut), trois rédactions semblables pour le fond, mais présentant d’instructives divergences de détail.
Dès lors, une question d’importance capitale se pose. Ces différences de détail ne sont-elles pas en harmonie avec le caractère et le contenu de chacun des Évangiles ? En répondant à cette question d’abord pour Matthieu, Luc et Jean, ensuite pour Marc, nous éclairerons aussi le problème des trois langues. Et nous expliquerons du même coup le titre, souvent mal compris, de chacun des quatre Évangiles selon Matthieu, selon Marc, selon Luc, selon Jean.
L’emploi de chacune des trois langues que l’Évangile selon Jean désigne par les mots « en hébreu, en grec, en latin » est en parfaite harmonie avec la substance propre et le sens profond de chacun des trois Évangiles selon Matthieu, selon Luc, selon Jean.
Les termes « en grec » (cf. Actes 21:37) et « en latin » ne comportent aucune incertitude. Il s’agit du grec, qui était la grande langue de civilisation de l’époque, et de la langue latine, qui était la langue officielle de l’empire romain, comme chacun sait. Le terme traduit par « en hébreu » offre en revanche une difficulté : s’agit-il à proprement parler de l’hébreu, langue savante et nationale des Juifs, ou bien de l’araméen, langue employée dans l’usage familier par la foule des Juifs restés en Palestine ? C’est assurément le propre de l’hébreu d’avoir, de bonne heure et sur de vastes territoires, cédé le pas à l’araméen comme langue parlée. La terminologie du Nouveau Testament laisse ici quelque hésitation.
Le terme « en hébreu », dans le Nouveau Testament, s’applique aussi bien à l’araméen (Jean 5:2 ; 19:13 et 17) qu’à l’hébreu proprement dit (Apocalypse 9:11 et 16:16). Pour Jean 19:20, il y a doute. Jean 19:13 et 17 invitent, d’une part, à choisir l’araméen pour le passage tout voisin de Jean 19:20. Il est, d’autre part, plus vraisemblable de supposer au-dessus de la tête du roi des Juifs, annoncé par les Écritures de l’Ancien Testament, une inscription proprement hébraïque.
Le texte, commenté plus haut, de Luc 23:38 ne jette aucune lumière sur ce point délicat. L’expression « en lettres… hébraïques » équivaut en quelque sorte à l’expression « en langue hébraïque ». Rien n’empêche en soi des expressions de cette sorte de s’appliquer dans la langue du Nouveau Testament à l’hébreu lui-même. Mais il n’est pas douteux que dans Actes 21:40 et 22:2, les mots « en langue hébraïque » ne désignent l’araméen. Si Paul avait pris la parole en langue hébraïque, la foule qui composait son auditoire ne l’aurait assurément pas compris. Il est en revanche difficile de dire si, dans Actes 26:14, l’expression « en langue hébraïque » signifie proprement « en hébreu » ou « en araméen ». Il s’agit probablement aussi de l’araméen.
Veut-on donner aux mots « en lettres hébraïques » de Luc 23:38 un sens absolument littéral, ce qu’aucune raison n’oblige à faire, et entendre « en caractères hébraïques », c’est sans avancer d’un pas sur le chemin de la difficulté. Le judéo-araméen de Palestine ne s’est-il pas écrit lui-même avec des caractères hébraïques, à la différence de l’araméen ordinaire, qui avait son alphabet propre ?
La phrase de Jean 19:20, « Plusieurs (ou : Beaucoup) des Juifs donc lurent (ou :lurent donc) cet écriteau », n’éclaire pas davantage la situation. Une pluralité de Juifs habitant Jérusalem et de Juifs de la Dispersion en séjour, pour la Pâque, dans la ville sainte ont lu l’inscription de la croix, les uns, sans doute, sous sa forme sémitique, les autres sous sa forme grecque ou sous sa forme latine. L’écriteau de la croix a été très lu. Mais il n’a sûrement été lu que par une élite dont la portion qui connaissait le sémitique pouvait probablement lire l’araméen et l’hébreu. La foule elle-même, en ce temps-là, ne savait pas lire. Bref, le « Plusieurs (ou : Beaucoup) » de Jean 19:20 ne nous tire pas d’embarras. Le point de détail dont il s’agit reste, somme toute, un peu obscur ; mais il n’importe guère.
Quoi qu’il en soit au juste,
il est certain que la traduction grecque de la rédaction sémitique du titre de
la croix doit être cherchée dans l’Évangile selon Matthieu. C’est dans cet
Évangile, non pas dans un autre, qu’elle trouve sa place naturelle. C’est à ce
texte qu’elle appartient en propre. La rédaction dont l’équivalent grec
est : « Celui-ci est (ou : est
bien) le roi des Juifs
» domine,
pour ainsi dire, tout l’Évangile selon Matthieu. C’est là le fait
essentiel qui seul importe.
Tout l’Évangile selon Matthieu, qui s’adresse, comme chacun sait, particulièrement aux Juifs, est bâti d’après un ordre de preuves tendant à démontrer que Jésus, le personnage si clairement annoncé par les Écritures de l’Ancien Testament, est bien le roi des Juifs, le Messie promis. Il est possible d’expliquer tout l’Évangile selon Matthieu en prenant pour point de départ ou d’observation le titre de la croix, tant il est vrai que la rédaction donnée par Matthieu est en harmonie avec tout son Évangile !
La teneur de l’inscription conservée par Matthieu est précieuse à méditer. Le roi des Juifs, rejeté de son peuple et du monde, se trouve, sur le bois maudit, en butte à tous les outrages des méchants. Mais le Dieu souverain du ciel et de la terre, à travers la raillerie des faibles humains, proclame publiquement, du haut même de la croix ignominieuse, où le Messie, Sauveur du monde, est élevé entre deux brigands, les droits authentiques et la gloire royale de son Fils Jésus ! Et cette proclamation solennelle, conservée dans l’Écriture, retentit d’âge en âge, alliant à la concision vigoureuse de son éloquence le charme de sa sobre beauté.
Annoncé, méconnu, rejeté, crucifié, le Messie, débonnaire et humble de coeur, conserve la plénitude de sa dignité et demeure le roi des Juifs, le Roi des rois. Le sujet de tout le premier Évangile se trouve résumé d’avance, au-dessus de la tête du Sauveur, sur la croix.
L’inscription du titre de la croix, sous la forme caractéristique que nous trouvons dans l’Évangile selon Matthieu, appelle aujourd’hui encore, à la repentance et à la foi, les Juifs spécialement et par surcroît les autres hommes. Et le choeur des rachetés chante dès ici-bas : Gloire au roi d’Israël ! Gloire au Roi des rois ! Gloire à Jésus !
Si l’Évangile selon Matthieu se présente comme l’Évangile du Roi-Messie et comme un texte destiné essentiellement aux fils d’Israël, il n’en va pas de même de l’Évangile selon Luc. Consacré surtout à la parfaite humanité du Sauveur, l’Évangile selon Luc s’adresse à tous les hommes indistinctement. La grâce de Dieu, dans ce texte, brille au même titre, et brille dans son admirable plénitude, pour tous les humains. Il résulte de là que le troisième Évangile nous conserve, selon toute vraisemblance, la rédaction grecque du titre de la croix.
Luc cite sans doute l’inscription rédigée dans la langue universelle de l’époque. Or la langue commune, c’est-à-dire générale, du 1° siècle, dans le bassin oriental de la Méditerranée et même au delà, n’est autre que cette admirable langue grecque qui a servi à la rédaction originale du Nouveau Testament lui-même.
À la différence de l’Évangile selon Matthieu, l’Évangile selon Luc ne mentionne pas le nom de « Jésus » dans l’inscription de la croix.
Voici la raison de cette différence manifeste. Pour les Juifs, le Messie était, comme nous l’avons rappelé, un personnage connu, attendu, annoncé par leurs textes sacrés, un personnage au sujet duquel il n’y avait pas besoin d’éveiller l’intérêt. Tout autre est le cas des Gentils. Les fils des nations n’attendaient pas un Roi promis. En conséquence, le troisième Évangile commence par intéresser les lecteurs à la personne et aux destinées de celui qu’il appelle « la sainte chose (ou : le saint être) qui naîtra » (1:35) et dont il va montrer, ce qui constitue sa tâche propre, la sainte et glorieuse humanité. Matthieu donne d’emblée (chapitre 1) la généalogie du Roi-Messie avec la venue duquel ses lecteurs étaient familiers. Luc ne donne la généalogie humaine du Sauveur qu’un peu plus tard (chapitre 3), après avoir tout d’abord éveillé l’intérêt général au sujet de celui qui devait être le restaurateur du genre humain.
La rédaction grecque du titre
de la croix est, elle aussi, en parfaite harmonie avec l’Évangile auquel elle
appartient. Dans les mots si expressifs : « Celui-ci est le roi des
Juifs
», et bien mieux encore dans la tournure, impossible à rendre en
français, que présente la phrase de l’original grec, l’humanité de Jésus brille
sous son aspect le plus complet, le plus riche, et le plus général.
Par la belle inscription conservée dans l’Évangile selon Luc, Dieu, dont la suprême sagesse commande, utilise et conduit tout, rend, à la face du monde, un témoignage éclatant à la gloire de son Fils, à l’honneur du Roi des rois, à la louange du Sauveur de tous les hommes. Et, par le douloureux sacrifice du Seigneur, Dieu manifeste sa grâce adorable à tous.
Le sujet de tout le troisième Évangile se trouve, lui aussi, lumineusement indiqué, sur le bois de la croix, au-dessus de la tête auguste et sainte du Fils de l’homme et du Fils de Dieu. L’inscription grecque de la croix domine tout cet Évangile.
Une telle inscription constitue, en faveur de l’humanité tout entière, une évangélisation d’une extrême solennité. Les saints de tous les peuples discernent dès maintenant la gloire incomparable du roi des Juifs. Et l’Église, dans l’attente des noces de l’Agneau, son futur Époux, chante déjà la majesté resplendissante et les grâces souveraines du Roi des rois !
Outre que l’Évangile selon Marc, comme nous l’avons constaté plus haut, n’offre pas de rédaction spécifique du titre de la croix, il est vain de chercher dans cet Évangile, ainsi qu’on l’a fait, l’équivalent de l’inscription latine. Marc explique parfois les usages juifs à des lecteurs sans doute domiciliés hors des limites de la Palestine (7:3 et 4 ; 12:42), et mentionne d’autre part, d’une touche rapide, comme une chose connue, l’inscription placée, selon la coutume romaine, sur la croix du Sauveur. Et le vocabulaire du second Évangile comprend un certain nombre de mots empruntés à la langue latine. Mais les préliminaires et les scènes du crucifiement n’ont rien de spécifiquement romain dans Marc.
Le côté romain de ce grand sujet apparaît, en revanche, avec netteté dans un autre Évangile, l’Évangile selon Jean. Avec et après la personne du Seigneur, c’est le procurateur Ponce-Pilate, c’est le pouvoir officiel romain qui se trouve au premier plan dans la partie de l’Évangile selon Jean qui raconte le procès et le crucifiement de Jésus. Très juif en d’autres endroits, l’Évangile selon Jean revêt au moment de la condamnation et du supplice du Sauveur un caractère éminemment romain. N’est-ce pas en un tel milieu qu’il convient de placer de préférence l’équivalent grec de la rédaction latine de l’inscription ?
En Jean 19:21 et 22, nous voyons les débats des Juifs avec Pilate au sujet du titre de la croix. Après avoir lâchement cédé aux Juifs et condamné au supplice notre adorable Seigneur et Sauveur JésusChrist tout en proclamant son innocence, ce qui était contraire à toute justice et à toute vérité, le procurateur romain, redevenu le maître, prend sur les Juifs, en les humiliant dans leur amour-propre national, une cruelle et inflexible revanche. Jésus n’était-il pas le roi d’Israël, malgré les dénégations haineuses de ces grands prêtres qui, pour obtenir la condamnation du Saint et du Juste, allèrent jusqu’à nier l’existence de leur Messie et à dire : « Nous n’avons pas d’autre roi que César » (Jean 19:15) ?
L’Évangile selon Jean place
vraisemblablement sous nos yeux la traduction grecque de l’inscription latine
de la croix. La rédaction de Jean 19:19, « Jésus le Nazaréen le roi des Juifs
» est assurément la plus complète, la
plus riche, la plus solennelle des trois inscriptions. Il nous reste à voir si
cette rédaction spécifique est, elle aussi, en harmonie avec le texte auquel
elle appartient, c’est-à-dire avec le sujet propre de l’Évangile selon Jean.
L’Évangile selon Luc nous montre sans cesse l’humanité du Sauveur. L’Évangile selon Jean nous présente avant tout la divinité du Seigneur. Selon l’Écriture, Jésus-Christ est à la fois Dieu et Homme. Les deux natures, la nature humaine et la nature divine, coexistent dans sa personne. Ce fait se trouve clairement révélé dans la Parole de Dieu. Mais une telle coexistence demeure pleine de mystère même pour la foi des chrétiens. Dieu le Père, d’après le Nouveau Testament, est seul à posséder le secret d’un tel mystère. C’est pour cette raison, sans doute, qu’au moment même où s’accomplit le rejet du Christ, nous lisons : « Personne ne connaît (ou : connaît pleinement) le Fils, si ce n’est le Père », tandis que le même verset ajoute en parlant du Père : « personne ne connaît (ou : connaît pleinement) le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils voudra le révéler » (Matthieu 11:27. Cf. Luc 10:22).
La divinité du Seigneur tient une place immense dans les écrits de Jean en particulier et dans le Nouveau Testament en général. Entre beaucoup de passages importants et bien connus, qu’il n’y a pas lieu de citer ici un à un, il convient cependant de choisir deux exemples typiques. À la fin de sa première Épître, Jean dit : « Or nous savons que le Fils de Dieu est venu, et (ou : et qu’) il nous a donné une intelligence afin que nous connaissions (ou : pour connaître) le Véritable, et nous sommes dans le Véritable, dans son Fils Jésus-Christ : lui est le Dieu véritable et la vie éternelle » (1 Jean 5:20). Paul écrit, d’autre part, aux croyants de Colosses : « Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par de vaines déceptions (ou : et sa vaine séduction), selon l’enseignement (ou : la tradition) des hommes, selon les éléments du monde, et non selon Christ, car en lui habite toute la plénitude de la déité corporellement » (Colossiens 2:8 et 9). En cet endroit comme en plusieurs autres, le texte de Paul précède chronologiquement et confirme doctrinalement celui de Jean.
Dans l’Évangile selon Jean, Jésus-Christ est véritablement un homme. Jean l’Évangéliste (1:30) appelle, en rapportant les paroles de Jean-Baptiste, Jésus « un homme ». Mais cet homme est le Fils du Père, le Dieu du ciel manifesté en chair, comme l’indiquent d’une manière formelle les versets 1, 2, 14 et 18 du chapitre 1, versets qui sont gravés dans toutes les mémoires et qu’il importe cependant de relire encore : « Au commencement était la Parole (ou : le Verbe) ; et la Parole était auprès de Dieu ; et la Parole était Dieu. Elle était « auprès de Dieu ». « Et la Parole devint, (ou : est devenue), chair et habita (ou : a élu domicile) au milieu de nous et nous vîmes (ou : avons vu) sa gloire, une gloire comme d’un fils (ou : pareille à celle d’un Fils) unique de la part du Père — pleine de grâce et de vérité ». « Personne ne vit jamais (littéralement : n’a jamais vu) Dieu. Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître ». La seconde Épître de Jean (verset 3) nomme notre Seigneur Jésus-Christ « le Fils du Père ».
L’étymologie du mot « Nazaréen », qui figure dans la rédaction de Jean 19:19, est loin d’être complètement claire. Quoi qu’il en soit au juste, il paraît hors de doute que ce terme, interprété en ethnique dès le 1° siècle, constitue une appellation d’origine (à distinguer, bien entendu, du lieu de naissance proprement dit, qui est Bethléem, comme chacun sait) et se trouve au moins ainsi rattaché au nom de la bourgade, obscure et méprisée, de Nazareth. Au début de son Évangile, Jean, qui n’omet pas de mentionner le père légal et putatif du Sauveur, s’exprime en ces termes : « Philippe trouve Nathanaël et lui dit : « Nous avons trouvé celui duquel Moïse a écrit dans la loi et duquel les prophètes ont écrit (ou : Celui dont Moïse, dans la loi, et les prophètes ont écrit, nous l’avons trouvé), Jésus, fils de Joseph, de Nazareth. Nathanaël lui dit : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth (littéralement : De Nazareth, peut-il venir etc.) ? » (1:46 et 47).
N’oublions pas que le Seigneur a passé, selon toute probabilité, à Nazareth vingt-huit années d’une vie qui en a compté trente-trois. C’est à Nazareth que le Sauveur a été élevé (Luc 4:16) et qu’il a pratiqué le métier de charpentier, ce semble, d’abord avec Joseph (Matthieu 13:55), ensuite seul (Marc 6:3). Ces faits montrent à quel point l’appellation de « Nazaréen » convient à Jésus.
Il est nécessaire d’ajouter aux données qui précèdent cette constatation importante : les textes de l’Ancien Testament et ceux du Nouveau Testament sont pleins les uns de prédictions, les autres d’allusions ou d’indications relatives aux radieuses splendeurs du règne de justice et de paix et à la gloire magnifique du Roi d’Israël. Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même a proclamé sa royauté au moment de son procès, avec une netteté qui ne laisse rien à désirer, ainsi que le montrent Matthieu 27:11, Marc 15:2, Luc 23:3, et surtout Jean 18:33 à 37.
Nous lisons dans le quatrième Évangile : « Pilate donc entra encore (ou : rentra) dans le prétoire, et appela Jésus, et lui dit : Toi, tu es le roi des Juifs ? Jésus lui répondit : Dis-tu ceci de toi-même, ou d’autres te l’ont-ils dit de moi ? Pilate répondit : Suis-je Juif, moi ? Ta nation et les principaux sacrificateurs (ou : Ton peuple et les grands prêtres) t’ont livré à moi ; qu’as-tu fait ? Jésus répondit : Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu, afin (ou : pour) que je ne fusse pas livré aux Juifs : mais maintenant mon royaume n’est pas d’ici. Pilate dont lui dit : Tu es donc roi ? Jésus répondit : Tu le dis que moi je suis roi (ou : Tu le dis toi-même : je suis roi). Moi, je suis né pour ceci, et c’est pour ceci que je suis venu dans le monde, afin de rendre témoignage à la vérité (ou : C’est afin de rendre témoignage à la vérité que, moi, je suis né, et c’est la raison pour laquelle je suis venu dans le monde). Quiconque est (ou : relève) de la vérité écoute ma voix » (Jean 18:33 à 37).
Ces versets nous font voir dans la royauté de Jésus un fait essentiel. En confessant sa royauté devant Pilate qui avait « le pouvoir de le faire crucifier » (Jean 19:10), notre adorable Sauveur a rendu à la vérité un témoignage magnifique (cf. 1 Timothée 6:13).
Quoi de plus glorieux sur la terre que cette royauté céleste et étrangère à ce monde qui s’annonçait et qui s’affirmait solennellement sans se réaliser ici-bas d’une manière immédiate, royauté que les quatre Évangiles affirment, mais dont l’Évangile selon Jean met plus que tout autre en lumière la nature profonde et la beauté supérieure ! L’Évangile selon Jean est aussi seul à mettre en contraste la gloire du roi des Juifs avec l’humilité d’un enfant de Nazareth. Ce contraste saisissant, nous le trouvons précisément exprimé dans la rédaction du titre de la croix.
En d’autres termes, l’écriteau de la croix, dans la rédaction donnée par l’Évangile selon Jean, qui traduit selon toute vraisemblance l’inscription écrite dans la langue officielle de l’empire, proclame, avec une puissance singulière, toute la valeur de la personne de notre Sauveur à la fois dans son ignominie et dans sa gloire. Oeuvre du procurateur romain, qui sans doute n’en mesurait pas la portée, elle unit néanmoins, et elle unit officiellement, ce qu’il y a de plus méprisé et ce qu’il y a de plus élevé ici-bas, le plus profond abaissement et la plus haute gloire, l’humiliation complète de cet homme de Nazareth en qui l’Évangéliste montre le Créateur de toutes choses, le Dieu du ciel manifesté en chair, et la dignité souveraine, la majesté suprême, la gloire magnifique de celui qui, condamné à mort et mis en croix, demeure cependant le roi d’Israël, le Roi des rois et le Seigneur de ceux qui commandent ! « Le salut vient des Juifs » ; et la royauté du « Messie » d’Israël, « Sauveur du monde » (Jean 4:22, 25, 26 et 42), domine, pour ainsi dire, la croix.
Le procurateur indique, sur la croix elle-même, conformément aux prescriptions du droit romain, le nom du supplicié et le motif de sa condamnation, et maintient, malgré la démarche et les protestations des grands prêtres indignés, le libellé établi par ses soins dans une intention évidente de revanche et d’ironie. Mais Dieu, dont la providence surpasse les usages des peuples et les actes des hommes, se sert de la coutume romaine et des dispositions de Pilate pour rendre un témoignage inéluctable aux droits méconnus de son Christ rejeté et fait concourir toutes choses à la gloire suprême du Fils de son amour.
Nulle part ailleurs nous ne
voyons le Seigneur aussi humilié et aussi glorieux que dans cet Évangile et
dans la rédaction qu’il offre du titre de la croix. Choeur des rachetés, sainte
compagnie, peuple d’adorateurs, incline ton front, courbe les genoux,
prosterne-toi dès maintenant devant le Roi de gloire ton Sauveur !
Contemple avec un respect infini l’abaissement et la majesté de ton Seigneur
mis ensemble en pleine évidence sur sa croix sanglante ! Loue la
magnificence de celui dont la dignité souveraine n’a pas été compromise par
l’ignominie du supplice et dont les destinées royales ne manqueront pas de
s’accomplir un jour sur la terre elle-même, tant il est vrai que le royaume
appartient à l’Éternel ! (cf. Psaume 22:28 et Abdias 21b). Et, dans la
certitude du bonheur céleste que Dieu t’a préparé, pour l’éternité, auprès du
Seigneur de gloire, rends grâces au Père lui-même, en lui présentant dès
ici-bas, ainsi qu’il te donne de la contempler, la personne auguste et meurtrie
du Bien-aimé qui sera dans tous les âges ta joie et ton cantique : « Jésus le Nazaréen le roi des Juifs
» !
La rédaction fournie par l’Évangile selon Jean, elle aussi, pourrait servir de base au commentaire de tout l’Évangile. Si la rédaction donnée par Matthieu est en harmonie avec le sujet spécial du premier Évangile et la rédaction conservée par Luc avec le contenu caractéristique du troisième Évangile, il en va de même de la rédaction relatée par Jean et des rapports qu’elle offre avec la substance propre du quatrième Évangile. Dans ces trois textes, un seul et même principe général a trouvé trois applications particulières. Les trois textes présentent la personne et racontent l’activité du Sauveur ; mais il y a entre eux de frappantes différences de point de vue ou d’aspect. Et ces différences, si sensibles ailleurs dans les textes, se manifestent avec une admirable netteté dans les trois rédactions du titre de la croix.
Le cas de Marc, en partie laissé de côté jusqu’ici, ne fait que confirmer l’exactitude des remarques précédentes.
Le seul Évangile qui ne fournit pas de rédaction spécifique du titre de la croix est aussi le seul qui n’offre aucune généalogie du Sauveur, aucune indication sur l’existence éternelle du Seigneur avant son incarnation. Une telle coïncidence vaut la peine d’être soulignée. N’est-elle point précisément en harmonie avec le sujet spécial de l’Évangile selon Marc ? Assurément. L’Évangile selon Marc est celui du parfait serviteur de l’Éternel. Et, si le service, l’activité, et la perfection d’un serviteur importent au plus haut point, qu’importent en revanche son origine ou sa généalogie ?
Ce texte contient peu de
morceaux qui lui appartiennent tout à fait en propre. Mais il abonde en
notations fines, précises et vigoureuses, et raconte avec une véritable
profusion de détails pittoresques le pieux ministère de celui qui, pour la
gloire de Dieu et pour le salut des hommes, a été obéissant jusqu’à la mort de la croix (cf. Philippiens 2:8). La croix de
notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, si humble dans la bienfaisante
activité de son service, malgré sa dignité de « roi des Juifs
», occupe une place considérable dans
le second Évangile. Marc nous a laissé en tout point, dans un rayonnement
merveilleux de lumière, de puissance et d’amour, le portrait du parfait
serviteur. Tous les détails que son Évangile est seul à présenter concourent à
cet effet d’ensemble avec une admirable harmonie.
L’absence d’une généalogie de Jésus-Christ au début de l’Évangile selon Marc et celle d’une rédaction typique de l’inscription de la croix au chapitre 15 se trouvent en plein accord avec la nature particulière de ce texte qui montre, lui aussi, la personne et l’activité du Sauveur, sous un certain aspect, aspect qui est propre à l’évangile selon Marc. Tout dans l’Évangile selon Marc, comme dans les trois autres Évangiles que contient le Nouveau Testament, invite dès ici-bas à l’adoration, et à l’adoration perpétuelle.
Les quatre Évangiles ont un fonds commun : les quatre Évangélistes présentent la personne et montrent l’activité de notre Seigneur Jésus-Christ. Mais les quatre Évangiles offrent des différences de point de vue ou d’aspect : les quatre Évangélistes font voir la personne et racontent l’oeuvre de notre Seigneur Jésus-Christ chacun du point de vue particulier où la sagesse de Dieu l’a placé pour contempler la personne et peindre les gestes de celui qui « est plus beau que les fils des hommes » et qui s’appelle « Merveilleux » (Psaume 45:2. Ésaïe 9:6), et dont toutes les paroles « sont esprit et sont vie », car il est « le Saint de Dieu » (Jean 6:63 et 69).
L’existence des quatre Évangiles que nous trouvons dans le Nouveau Testament nous permet de discerner avec une clarté sans pareille les grâces et les perfections de notre bien-aimé Sauveur, et d’admirer, ainsi qu’il se doit, les traits adorables du Seigneur de gloire sous plusieurs aspects dont l’importance est capitale.
Toutes les différences d’aspect et tous les détails spécifiques que chacun des quatre Évangiles place devant nos yeux sont en harmonie avec la majesté resplendissante et l’oeuvre immortelle du Sauveur plein d’amour dont les rachetés, au séjour de la béatitude suprême, chanteront l’histoire à travers la succession infinie des âges.
En d’autres termes, les quatre Évangiles qu’il a plu au « Père des lumières » (Jacques 1:17) de nous donner, un certain nombre d’années après l’ascension du glorieux Ressuscité, reflètent les traits adorables et l’oeuvre parfaite du souverain Crucifié dans le miroir grandiose de l’éternité. Ce miroir possède, pour ainsi dire, quatre faces, en rapport avec l’excellence magnifique et les caractères variés de celui dont le portrait s’offre ainsi, par la grâce de Dieu, à l’étude attentive et respectueuse de la foi.
Voilà pourquoi il y a dans le
Nouveau Testament, d’après le plan de Dieu lui-même, pour notre instruction
présente et pour notre joie éternelle, (ce sont les titres anciens de ces
quatre textes) un Évangile selon
Matthieu,
un Évangile selon Marc,
un
Évangile selon Luc
, un Évangile selon Jean.
Les quatre Évangiles du Nouveau Testament, dont tous les détails spécifiques ont une signification précise, nous renseignent sur le titre de la croix. Et, par une admirable disposition de la providence de Dieu qui soumet à son dessein les usages des peuples et les actes des hommes, le titre de la croix lui-même, avec ses trois inscriptions distinctes et la donnée générale qui les résume, annonce en quelque sorte, à la face du monde, le sujet des quatre Évangiles au-dessus de la tête auguste et meurtrie de l’Agneau royal.